Docteur ès aliens

#5 Famille

Publié le 18/12/2020
Article réservé aux abonnés

Résumé : Un vélo, voilà qui devrait leur permettre d’avancer plus vite ! Mais Abe s’affaiblit et Tim n’est pas sûr d’arriver à temps. Surtout qu’un nouvel obstacle se dresse entre eux et leur but…

Par réflexe, je donne un coup de frein. Nous sommes sauvés de ma stupidité par l’âge de notre moyen de transport, dont les freins ne répondent plus, sans doute depuis Clovis. Le vélo doit m’envoyer un signe. Il ne faut pas s’arrêter, il faut accélérer, autant que je le peux ! Et je me mets à pédaler comme je n’ai jamais pédalé de ma vie. Nous passons à toute allure devant les miliciens médusés. Pas le temps de vérifier s’ils nous suivent, je n’ai pas beaucoup de doute à ce sujet, j’entends déjà des hurlements de rage derrière moi. Une détonation se fait entendre dans l’air, l’un d’entre eux possède une arme à feu.

Je fonce toujours, nos vies en dépendent. En temps normal, je trouverais suicidaire de rouler à cette vitesse sans protection dans les rues de Paris, mais je n’ai plus le luxe de la prudence. Nous tournons au coin d’un bloc d’immeuble, dans un dérapage plus ou moins contrôlé qui me donne des sueurs froides. Les grilles de l’ambassade ne sont plus qu’à quelques dizaines de mètres, droit devant nous. J’aperçois Sarah qui nous fait des grands signes. Comment a-t-elle fait pour arriver avant nous ? C’est ce que j’aimerais bien savoir. Cette femme est une véritable magicienne.

J’entends un nouveau coup de feu qui claque dans l’air, au moment même où nous passons en trombe les portes de la cour de l’ambassade. Sauvés, nous sommes sauvés. Je freine avec les pieds, malgré la douleur qui remonte dans mes jambes, pour éviter que nous ne foncions dans le mur.

Dès que le vélo s’arrête, je nous sens glisser à terre tous les deux, Abe et moi. Dans un brouillard étrange, je vois Sarah qui se précipite vers nous, avec d’autres gens portant des brancards. J’ai froid, comme si tout mon corps était engourdi, et j’ai du mal à garder les yeux ouverts.

Espèce d’abruti ! hurle Sarah. Tu ne pouvais pas arriver jusqu’ici sans te faire tirer dessus ?

C’est bizarre, j’ai l’impression qu’il y a des larmes dans ses yeux. Sarah ne pleure jamais, ce n’est pas le genre. Et personne n’a tiré sur Abe, j’en suis sûr.

Ah, ça y est, mon cerveau sort de sa léthargie et mon corps se réveille, et avec lui la douleur. Ce n’est pas Abe qui s’est fait tirer dessus. La balle l’a frôlé au bras, avant de s’enfoncer entre mes côtes. Il y a vraiment beaucoup de sang, songé-je cliniquement. Trop de sang, beaucoup trop.

Sarah s’affaire autour de moi. Je pose une main sur les siennes.

Non, Abe d’abord. Lui, tu peux encore le sauver.

Elle secoue la tête.

Ferme-la. On va sauver tout le monde.

Je rassemble tout ce qu’il me reste de force pour lui sourire.

— Ça va aller, dis-je doucement.

Je tourne la tête vers Abe. Les immenses globes noirs de ses yeux qui ne clignent jamais sont posés sur moi. Il a toujours été calme, compétent, fiable. Il lève ses mains à huit doigts et signe mon nom : « Tim ». Il dit tant de choses avec ces trois lettres.

Je ferme les yeux. C’est dommage que nous n’ayons pas su les comprendre, ils auraient pu tant nous apprendre. Puis, avec un souffle à l’odeur de sang, je sombre dans le néant.

Quand j’ouvre les yeux, le visage pincé de Sarah est penché sur moi.

Ah, tu n’es pas encore tout à fait mort, finalement, fait-elle d’un ton neutre.

Abe… murmuré-je.

Abe va bien, et l’œuf qu’il porte aussi. Toi, un peu moins, mais tu survivras.

L’œuf ? Mais alors… l’écho que j’entendais avec mon stéthoscope, je ne l’ai pas imaginé ? Je tente de me redresser.

Ne bouge pas, tu vas faire sauter tes points de suture. Félicitations, Tim, tu vas être tonton.

Laetitia Beau navigue le plus souvent dans les eaux agitées de l’animation pour enfants. Elle fait aussi du chant et du théâtre, sa troupe est spécialisée dans les opérettes d’Offenbach. Durant le temps que ces activités lui laissent, elle écrit des histoires pour les petits et les grands dans les genres de l’imaginaire, peuplées de dragons et de visiteurs venus d’ailleurs.

Laetitia Beau

Source : Le Quotidien du médecin