IL SAIT nous prendre par les sentiments, Nils Tavernier. Après s’être notamment lancé dans « l’Odyssée de la vie » (récit des neufs mois de grossesse) et s’être penché sur « le Mystère des jumeaux », il s’est invité dans la vie de quelques familles qui ont eu le malheur de devoir recevoir l’annonce du handicap de leur enfant. Une fois de plus, il a réussi à glisser sa caméra sensible dans l’intimité de ces personnes meurtries, sans voyeurisme.
C’est lui-même qui parle, on entend sa voix, au début du film (43 minutes), annoncer la couleur. « J’ai voulu montrer le courage, la détermination, les doutes parfois aussi » de ces parents face au dramatique diagnostic. « C’est tellement insupportable, comme annonce, insiste le Dr Isabelle Desguerre, neuropédiatre à l’hôpital de Necker, à Paris, qui apparaît dans le documentaire au cours d’une consultation. On brise l’image de l’enfant qui a la vie devant lui. Je crois que si l’on devait apprendre quelque chose aux médecins, ce serait de donner immédiatement des points d’appui aux parents, où ils pourront devenir acteurs, comme prendre des rendez-vous, mettre rapidement en place une kinésithérapie, etc. Il faut leur donner les moyens d’optimiser cette information. Et nous soignants, devons nous adapter aux réactions des parents, qui divergent. ».
La peur de lâcher.
Dans leur salon, dans leur jardin, au volant de leur voiture, les parents racontent. Ils racontent l’errance diagnostique. « Pour se battre, il faut savoir contre quoi », résume une maman, qui a dû assumer « énormément de démarches pour obtenir un fauteuil, puis le financement ». Une autre mère exprime sa colère mais reconnaît très vite que, de toute façon, « il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de dire cette nouvelle », fondamentalement inacceptable. Une autre encore parle du temps qu’il faut pour accepter de faire le deuil de l’enfant qu’était sa fille avant le couperet. Ainsi que son angoisse face aux éventuels effets secondaires des médicaments et à l’espérance de vie de sa petite Alice.
Le papa, sans pudeur, se confie à son tour. « D’abord c’est le choc, puis, c’est un truc qui t’arrive sans que tu t’en rendes compte : tu t’émiettes. Avec le risque proche de l’explosion en plein vol. Je crois que je ne suis pas loin de ce moment-là. (...) J’ai l’impression d’être accroché à un arbre par une main et je me demande quand ça va lâcher. »
Nils Tavernier a également tendu son micro aux enfants, à leurs frères et sœurs et à leurs petits copains. Les langues, parfois volontairement sèches entre membres de la même famille, se délient devant la caméra. Alexis ose : « Je voyais qu’elle était différente de nous », en parlant de sa sœur jumelle. « J’aurais bien voulu la voir (l’avoir ?) non handicapée ». La maman poursuit : « Je n’arrête pas de dire à Marie (l’autre fille de la fratrie) : vas-y, déconne, fais un truc dingue. Mais elle ne veut pas. Alors tout va bien. » Le meilleur ami de Benjamin, jeune adolescent en fauteuil, dit qu’il rêve de le revoir marcher mais convient lucidement que « cela dépend des progrès de la science ».
Quand les témoignages deviennent trop douloureux, presque « inentendables », le documentariste lâche une touche d’humour, dans la parole innocente du petit Matis, par exemple, qui, le corps entièrement coincé dans un appareil, n’hésite pas à donner ses plans de carrière, avec détails : « Je serai pompier car j’aime éteindre le feu, ou bien gendarme, car j’aime mettre les gens en prison, ou bien policier, parce que… j’aime mettre les gens en prison. ». Alice, elle, prévoit plus tard de porter des chaussures à talons et que son métier, ce sera l’amitié.
Un océan impraticable.
« Nils s’est approprié notre travail en nous suivant dans les consultations pendant ces huit mois », se réjouit le Pr Olivier Dulac, neuropédiatre à Necker. « Nous, nous avions beaucoup à apprendre sur ce que l’on fait et nous avons effectivement appris des choses, essentiellement sur tout ce qui se passe en dehors de l`hôpital. Nous avons découvert la joie de ces enfants, à l’école, à la maison. Il fallait que ce soit quelqu’un qui ne soit pas technicien des soins pour nous observer. »
L’idée d’une sorte de guide pour les parents germait dans la tête du Pr Dulac depuis un moment. « Une éducatrice m’avait confié qu’elle était de plus en plus sollicitée par des parents sur la façon d’expliquer aux frères et sœurs ce qui allait se passer après l’annonce du diagnostic. » De son côté, le cinéaste Tavernier ainsi que Pascal Jacob, président de l’association I = MC2 *, souhaitaient participer à une exposition en préparation au Musée d’histoire naturelle sur la vie et le handicap. « Il s’agit de décrire des émotions qui sont trop fortes pour que l’on puisse les aborder en se penchant simplement au-dessus d’un livre, le format du film est donc apparu finalement plus approprié », explique le Pr Dulac.
Nils Tavernier, lui, a trouvé les familles « très perdues, face au handicap, à l’accompagnement, aux soins, à la loi aussi. J’ai vu des gens face à un océan impraticable. »
Le film puis le livre.
Ce film, présenté en avant-première aux Focales de la Fondation caisses d’épargne pour la solidarité (rencontres organisées tous les deux mois autour d’un artiste), pourrait être diffusé par des chaînes de télévision. Il a vocation à devenir « maillon d’une chaîne autour de ces situations difficiles ». « Si mon film peut aider à faire en sorte qu’il se dégage une volonté politique ou médicale à mieux entourer les familles dans ces moments-là, alors je serai heureux », insiste le cinéaste, qui dit avoir « reçu des leçons de vie humaine pendant huit mois. J’ai l’impression en tout cas que le temps d’écoute que j’ai passé avec ces familles n’a pas été néfaste. Cela me manque d’ailleurs, j’ai très envie de prolonger ce travail. »
Le film doit déboucher sur un livre qui devrait être, selon les vœux du documentariste, « très accessible ». Sans l’ambition d’en faire un guide, il proposerait des témoignages, qui pourraient avoir un écho chez certains parents. « Je veux faire de ce livre quelque chose d’utile, pour les familles mais aussi pour les toubibs, car je crois, non je suis sûr, que l’accompagnement des parents au moment de l’annonce du diagnostic fait défaut. ».
* L’association I = MC2 s’emploie à former les professionnels à l’accompagnement des personnes handicapées. www.iegalemc2.org.
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