À l'Opéra de Paris, création française de « A Quiet Place »

Bernstein pas si calme !

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Publié le 25/03/2022
L’Opéra de Paris rend justice à Leonard Bernstein (1918-1990) en faisant entrer au Palais Garnier son opéra « A Quiet Place » avec tous les égards dus à l'immense compositeur américain.
Mise en scène de K. Warlikowski

Mise en scène de K. Warlikowski
Crédit photo : BERND UHLIG/OPÉRA DE PARIS

Bernstein n’était entré à l’Opéra de Paris que par la petite porte du ballet, deux chorégraphies de Jerome Robbins. Justice lui est aujourd'hui rendue grâce au directeur Alexander Neef, qui avait annoncé dès sa nomination sa volonté de privilégier la musique américaine. Si « West Side Story » (1957) fut une réussite considérable à Broadway et au cinéma, Bernstein s’est appliqué au long de sa carrière à prouver qu’il était surtout le compositeur d’une musique plus « sérieuse » et spirituelle. De fait, « A Quiet Place », œuvre tardive (1983) qui a peiné à rencontrer le succès et fut plusieurs fois remaniée, combine tous les genres d’écriture auxquels il s’est adonné, du musical à la religiosité, en passant même par la technique sérielle.

C’est l’histoire d’une famille américaine disloquée, qui se déchire lors des funérailles de sa matriarche. Et quelle famille ! Le flamboyant fils gay a entretenu des rapports incestueux avec sa sœur avant de la marier à un de ses amants. Le père évolue de la haine à la compassion pour le destin de ses deux enfants et de son gendre. Krzysztof Warlikowski s'offre quelques ajouts, dont le personnage de la défunte et du fils enfant, qui parcourent l’action de façon muette et efficace. De mémoire, c’est la première fois que le metteur en scène polonais n’est pas conspué au rideau final. Très actif à l’Opéra sous le directorat de Gérard Mortier il s’y est fait plus rare, même si sa mise en scène culte d’« Iphigénie en Tauride » y est régulièrement reprise. « À Quiet Place » est pour lui une aubaine, collant à ses obsessions esthétiques. La scène des funérailles, encadrée par les films de l’accident et de la crémation, est un exemple de direction d’acteurs millimétrée avec figurants et silhouettes criants de vérité. L’action s’arrête un moment quand Junior regarde à la télévision un des « Young’s People Concerts », acte majeur pédagogique de Lenny Bernstein, dans lequel il explique à des enfants, avec un pouvoir de séduction et de conviction jamais égalé, la valeur attractive de la musique.

Pour mener « A Quiet Place » à la perfection musicale, on a fait appel à Garth Edwin Sunderland pour l’adaptation de la partition et du livret et à Kent Nagano, qui l’a déjà dirigée et enregistrée. La distribution est parfaite, avec Russell Braun, Gordon Bintner, Frédéric Antoun et Claudia Boyle. Magnifique réalisation qui, on l’espère, restera durablement au répertoire. (Opéra Garnier, jusqu'au 30 mars)

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin