Résistant, combattant ou collabo en 39-45

Bravoure et lâcheté des médecins dans les semaines terribles de mai-juin 1940

Publié le 04/08/2020
Louis Senlecq, Jean Roux, René Patay… Ces médecins sont les héros des jours sombres qui ont vu l’invasion de Paris par l’Armée allemande. Ces comportements sont loin d’être une généralité dans les hôpitaux parisiens, désertés, à l’approche de l’envahisseur. Cet été, « le Quotidien » retrace l'histoire de médecins qui se sont illustrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Crédit photo : DR

Lorsque les Allemands entrèrent dans Paris au petit matin du 14 juin 1940 pour défiler sur les Champs-Élysées, ils ne trouvèrent pour public que… les cameramen des Actualisées télévisées allemandes dont les images illustrent tous les anniversaires depuis 80 ans. Mais, en tout cas, aucun civil, lesquels ne refirent leur apparition dans les rues que courant juillet/août après avoir déserté domicile et poste de travail en juin.

À quelques exceptions près : médecins demeurés sur place, fonctionnaires, élus locaux ou volontaires de la Croix rouge, de la Défense Passive ou simples bénévoles émus par la détresse des réfugiés passant devant leur porte. Il y en eut, mais – on le sait aujourd’hui – en proportion largement minoritaire tout au long de la progression des troupes de la Wehrmacht. Souvent propriétaires d’une voiture automobile, les médecins étaient avantagés sur la ligne de départ de l’exode, et, plus tard, tant qu’ils réussissaient à trouver de l’essence.

Les médecins maires, héros des jours sombres

Les médecins maires furent assurément les héros de ces jours sombres.

- Le Dr Louis Senlecq, maire de L’Isle-Adam (Seine-et-Oise de l’époque, Val d’Oise aujourd’hui), avait à faire enterrer le 11 juin, 112 soldats français, « morts pour rien » dans un combat de défense de la capitale finalement déclarée « ville ouverte ». Il avait simultanément invité à la prudence le groupe de jeunes gens venus de Pontoise pour « récupérer » les armes abandonnées sur le champ de bataille en prévision d’une éventuelle résistance armée.

- Le Dr Jean Roux, retiré à Mortagne-au-Perche (Orne) après 40 années de médecine parisienne, aurait pu se contenter, à 76 ans, de savourer une retraite paisible. Mais il se trouva à partir du 10 juin le seul médecin encore présent à une vingtaine de kilomètres à la ronde. Les réfugiés se pressaient chez lui et sa cave hébergea par moments jusqu’à 250 personnes pas forcément très vaillantes. Son petit-fils fait revivre cette histoire sur un site mémoriel [1].

- Le Dr René Patay, médecin biologiste de Rennes, ami de Céline et président du syndicat d’Ille-et-Vilaine, appelé à devenir maire à la Libération de la ville fut occupé pendant des jours à procéder à l’inhumation du millier de victimes du bombardement de la gare du 17 juin où un train de munitions évacuées de Dunkerque avait été atteint par une bombe, semant la terreur sur des kilomètres à la ronde.

Ces trois personnages de légende avaient pour point commun d’avoir connu de tout près la Grande guerre, souvent dans les « autochir », ces ambulances venues chercher les blessés au plus près de la ligne de front. On pourrait également citer au nombre de ces héros tombés dans l’oubli un autre chirurgien parisien du nom de Henri Delivet, engagé volontaire malgré son âge de à 55 ans, opérant sans relâche à l’hôpital mixte du Mans débordé par les blessés civils et militaires échoués sur la route de l’exode.

L’inventaire exhaustif de ces actes de bravoure reste à réaliser quand celui des défections a déjà commencé d’être instruit, dès le mois de septembre 1940, lorsque la population – médecins compris — avait trouvé le chemin du retour après l’exode. Et il avait commencé à la Une de Paris-Soir du 27 septembre 1940, soit deux mois et demi après la survenue des faits.

Le Val-de-Grâce déserté

Signée du journaliste Michel Ardan, dont l’histoire n’a pas retenu d’autre signature et dont il est bien possible qu’il s’agissait d’un pseudonyme, l’enquête révélait abruptement que le 14 juin au matin, 16 médecins se trouvaient à leur poste sur un effectif théorique de 200 ! On savait les Allemands aux portes de la capitale la veille au soir et il était bien évident que le Val-de-Grâce - principal hôpital aux armées dans Paris - constituait une étape obligée dans leur plan de marche stratégique.

Le reportage cite un « ordre du jour » du médecin colonel commandant le service de santé aux armées de la place militaire de Paris exprimant « ses remerciements et son admiration à ceux qui, animés du plus haut sentiment du devoir, ont eu à cœur de faire vaillamment face à une situation qui, le 13 juin et les jours suivants, se présentait comme véritablement tragique et de se dépenser sans compter auprès de nos blessés. Médecins-chefs chirurgiens, médecins, pharmaciens, officiers d’administration, dentistes, infirmiers, infirmières, personnel civil, restés sur place, fidèles à leur poste, ont rivalisé d’activité, d’intelligence de science et de dévouement pour rétablir une situation que trop de défaillances avaient rendue angoissante et que leurs efforts conjugués ont permis de rétablir dans des conditions inespérées. Ce sera la fierté de ma vie de m’être trouvé dans un pareil moment placé à la tête de tels hommes ; ce sera leur fierté à tous, n’écoutant que leur devoir d’humanité d’avoir, en présence du vainqueur, donné un tel exemple d’abnégation et d’esprit de sacrifice ».

Le reste de l’article détaillait – pratiquement service par service, ce qui dit aussi la qualité de « l’informateur » - l’ampleur des désertions de poste : « On nous assure qu’il y avait, le 13 juin au matin, sinon le 12 au soir, plus d’une centaine de médecins de tous grades dans cet établissement. Il y avait aussi 70 médecins auxiliaires qui terminaient leurs études, en stage depuis 2 ou 3 mois mais dans différents services […] Le 14 au matin, si presque toutes les infirmières militaires étaient toujours présentes le médecin chef L… avait la douloureuse surprise de ne retrouver que 14 médecins autour de lui et 2 ou 3 auxiliaires anesthésistes. Au centre stomatologique, le “patron” lui-même avait disparu avant l’aube. On l’attendrait encore pour la visite si quelqu’un ne s’était avisé d’aller faire un tour au garage où l’on put constater” de visu” que la voiture du médecin colonel L… n’était plus là. Le 4 septembre, ni sa voiture ni cet officier n’étaient rentrés. Or […], le jeudi 13 juin, M. L… avait réuni tout son monde, l’avait harangué, lui avait expliqué en détail que Toubib était synonyme de tabou aux yeux des belligérants ».

Liberté de circuler… mais prisonniers quand même

L’argument employé par l’officier s’avéra donc inopérant mais il n’était pas complètement faux et avait d’ailleurs alimenté beaucoup de querelles d’officiers déjeunant aux mêmes mess. Les médecins s’y prétendaient à l’abri du statut de prisonnier de guerre au motif des dernières « Conventions de Genève », adoptées après la Grande Guerre de 1914-18.

La première, celle protégeant les blessés et malades, datait de 1864, complétée en 1906, puis en 1929, celle sur les prisonniers de guerre datant de la même année. Mais l’exemption dont se prévalaient les képis rouges avait mal résisté à l’intransigeance allemande qui fit valoir que la seule tâche dévolue aux médecins qu’elle venait à capturer consistait à prendre soin de leurs compatriotes prisonniers. Avec tous les égards évidemment dus à leur rang en Offlag (camps d’internement des officiers alliés) – dont la liberté de circuler — mais… prisonniers quand même.

Le 14 juin, les médecins militaires affectés au Val de Grâce avaient donc eu tout le temps d’en être dûment instruits par leurs collègues envoyés au front, et pour certains, déjà parvenus outre-Rhin. Le journal ne nous instruit pas des sanctions ultérieurement prononcées contre ces « paniquards » quand les civils se montrèrent plus bavards. L’Assistance publique (AP) de Paris mais, globalement, tous les établissements se trouvant sur la route de la Wehrmacht, avaient été majoritairement désertés de leur personnel médical soignant. À Paris, Serge Gas, patron de l’AP, avait bien promis la sévérité mais sa détermination avait fondu à la lecture des effectifs… restant à sa disposition.

La quête de boucs émissaires

Quant à l’opinion publique, la presse avait rapidement trouvé d’autres coupables, tellement plus « scandaleuses » : trois infirmières de l’hôpital psychiatrique d’Orsay désignées à la vindicte publique pour avoir euthanasié cinq de leurs pensionnaires en fin de vie qu’elles désespéraient de rendre à une « liberté » qu’elles savaient précaire. Cela s’était passé dans à peu près tous les établissements psy du pays avec des conséquences prévisibles… ou inconnues, mais souvent fatales aux bénéficiaires, en tout cas toujours péjoratives.

Le phénomène doit évidemment être replacé dans la quête de « boucs émissaires », toujours d’actualité dans ce type d’évènement historique. Comme d’autres catégories de la population, la médecine eut ses héros et ses salauds mais surtout une majorité de syndromes de « lâcheté ordinaire ».

Un des témoins disparus en serait Jean Moulin, préfet de Chartres à l’époque et confronté à sa première situation de Résistance lorsque l’officier allemand ayant investi la préfecture voulut lui faire signer une forme de reconnaissance publique de la responsabilité des troupes coloniales dans le meurtre de populations civiles. Le refus, poli mais ferme, de l’intéressé lui valut un séjour dans le cachot improvisé de la cave du concierge de l’hôpital où il était invité à cohabiter avec « un de ces noirs dont il semblait tellement apprécier la compagnie ». Moulin avait pris le parti de se trancher la gorge avec un tesson de bouteille trouvé sur place, sans parvenir à ses fins, son colocataire ayant donné l’alerte.

Un médecin généraliste courageux fut mandé sur place : le préfet évoquant le nom du Dr Foubert dans ses mémoires [...] quand la fille du Dr Viette prétend qu’il s’agissait de son père. Et qu’importe au final, quand le seul véritable chirurgien de la ville, le Dr Jacques de Fourmestraux, une figure du syndicat des spécialistes, était également sur place sans doute occupé à d’autres tâches de sauvetage puisque, lieutenant-colonel de la Réserve, il fut cité, pour cela, à l’Ordre de la Division par le Général Huntziger l’année d’après.

Ce jour-là, alors que l’orgueil français subissait son pire revers du siècle, les médecins avaient quand même sauvé la flamme de la Résistance.

Appel à témoignages

Des histoires comme celle qu’il évoque aujourd’hui pour « Le Quotidien », Jean-Pol Durand en a des collections à raconter. Voilà dix ans que cet ancien rédacteur en chef du « Quotidien du Médecin » mène une recherche méthodique sur les médecins acteurs, parfois martyrs, de la Seconde Guerre mondiale. Son projet est de leur rendre hommage, en dressant un mémorial à ces confrères connus et inconnus.

Vous avez connaissance d'un médecin qui mériterait de figurer dans ce mémorial ? Vous pouvez contacter Jean-Pol Durand à l'adresse redaction@quotimed.com

[1] Le Dr Jean Roux

[2] Jean Moulin, Premiers combats, préface du Général de Gaulle, Éditions de Minuit, 1947

Jean-Pol Durand

Source : lequotidiendumedecin.fr