ARTS - À Paris, au musée du Luxembourg

Cranach, ou le « réalisme surnaturel »

Publié le 11/02/2011
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Crédit photo : COLLECTION PRIVEE

CRANACH est, avec Dürer, Holbein et Grünewald, l’un des emblèmes de la Renaissance germanique. Ses œuvres illustrent à merveille les caractéristiques du nouveau courant artistique qui se développa à l’époque outre-Rhin, et qui assura brillamment la transition entre le Moyen Âge et la Renaissance. Les panneaux, dessins et gravures de ces artistes du XVIe siècle naissant sont animés d’une force souveraine. La maîtrise technique dont fit preuve Cranach, la virtuosité, la véracité, la violence que dégagent certaines scènes, le traitement minutieux des paysages qui en composent l’arrière plan… : l’ensemble de ces traits pose les fondements d’un art d’une profondeur et d’une vigueur exceptionnelles.

L’exposition du musée du Luxembourg, riche d’environ 75 œuvres, fait la lumière sur les rapports qu’entretinrent Cranach et ses contemporains d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie. Ainsi, ses travaux côtoient-ils ceux des peintres de son époque, Dürer, Metsys, Lucas de Leyde, Jacopo de’ Barbari…

Après une formation de quelques années dans l’atelier de peinture de son père, Cranach est engagé, en 1505, à la cour du prince électeur de Saxe, à Wittenberg. Pendant près de cinquante ans, il sera l’artiste officiel du souverain Frédéric le Sage, multipliant les portraits des princes et des dignitaires de son entourage. Puis, en 1508, à Anvers et à Malines, à la cour de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, Cranach résidera plusieurs années. Il s’y trouvera fortement influencé par la peinture flamande. C’est néanmoins un style personnel que développe le peintre allemand, un style d’une puissance et d’une grâce étonnantes. Ses portraits et ses compositions animées de personnages historiques, mythologiques ou religieux sont fascinants. Par la perfection de leur expressivité, par les symboles utilisés, par les couleurs éloquentes qu’il introduit dans ses œuvres, Cranach fait parler d’eux-mêmes ces types humains.

La première salle de l’exposition nous apprend d’emblée que Cranach fut un peintre à succès, un « homme d’affaires » à la tête d’un grand atelier qui répondait à de nombreuses commandes, un artiste qui s’illustra à la fois dans la peinture et dans la gravure. À la suite de Dürer, il éleva la technique de la gravure, encore primitive, au rang d’un art majeur. Il s’inspira d’ailleurs de ce dernier (notamment de son panneau d’Adam et Eve), pour ses estampes.

Tentations.

Les « nus » de Cranach restent les œuvres les plus connues et les plus célébrées du peintre. C’est dans ses multiples représentations de nus féminins (surtout des figures mythologiques telles que Vénus, Diane, ou des nymphes), son sujet de prédilection, que son art se manifesta de la manière la plus intime et personnelle. Cranach glorifie les formes de la femme avec un érotisme troublant. Les couleurs des chairs sont tantôt mordorées, tantôt rosées, tantôt laiteuses. Les poses sont sensuelles. Les corps, lascifs, se trouvent représentés dans leur apothéose. Mais en même temps, le peintre nous exhorte à ne pas céder aux tentations (grâce à des inscriptions en latin présentes sur certaines compositions…). Le message moralisateur tempère ainsi les postures érotiques.

Cranach fut le créateur d’un nouveau style. Un mélange d’élégance et de lyrisme, de raffinement et d’audaces. La vérité et l’utopie se côtoient dans chacune de ses œuvres. On pourrait rapporter à Cranach la formule qu’utilisait Huysmans à propos de Grünewald : le « réalisme surnaturel ».

« Cranach et son temps », musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 6e, tél 01.40.13.62.00. Tlj de 10 à 20 heures (vendredi et samedi jusqu’à 22 heures). Entrée : 11 euros (TR : 7,50 euros). Jusqu’au 23 mai. Catalogue, coéd. RMN-Grand Palais / Skira Flammarion, 300 p., 39 euros.

DAPHNÉ TESSON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8905