Les films de la quinzaine féminins et féministes

Des femmes sages et un homme

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Publié le 10/03/2023
Des femmes vedettes du nouveau film de François Ozon, d'un thriller dans la montagne suisse, d'une fable très intelligente et d'un documentaire artistico-politique-sanitaire. Et parmi les sages-femmes, un jeune homme.
« Toute la beauté et le sang versé »

« Toute la beauté et le sang versé »
Crédit photo : PYRAMIDE FlLMS

* « Mon crime », de François Ozon

Après le pesant « Peter von Kant », François Ozon revient pour notre bonheur à la comédie, façon « 8 femmes  », adaptant une pièce à succès de 1934 signée Georges Berr et Louis Verneuil. Une adaptation libre, comme il se doit, permettant un regard contemporain sur les relations hommes-femmes tout en jouant des références au cinéma des années 1930 : le féminisme de #MeToo dans la légèreté des screwball comédies hollywoodiennes. « Mon crime » (titre de la pièce et du film) est l'histoire de deux jeunes femmes sans le sou, une actrice accusée du meurtre d'un producteur célèbre (Nadia Tereszkiewicz, César du meilleur espoir féminin pour « les Amandiers ») et son amie avocate au chômage qui va la défendre (Rebecca Marder). Coupable ou pas, on le découvrira au fil du procès et de rebondissements qui font défiler une galerie de personnages savoureux. Joués avec gourmandise par Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Michel Fau, Daniel Prévost et quelques autres. la reconstitution de l'époque, à travers des costumes qui doivent aussi beaucoup à des souvenirs cinématographiques et théâtraux (Sarah Bernhardt pour l'actrice du muet jouée par Isabelle Huppert) donne un côté agréablement désuet à ce film sur des jeunes femmes sans peur.

* « Seule : les dossiers Silvercloud », de Jérôme Dassier

Un suspense porté par Asia Argento, quasiment seule, comme le titre l'indique, à lutter dans une maison isolée de la montagne suisse, contre une menace qui se précise peu à peu. Le film bénéficie de la mise en scène de Jérôme Dassier sur un scénario complexe, de la voix de Jeanne Balibar (et de sa présence fugace) et de la beauté des paysages de neige.


* « Women Talking », de Sarah Polley

Dans une communauté religieuse très stricte, des femmes sont droguées et violées pendant leur sommeil par des hommes de leur entourage. Le point de départ de « Women Talking » est inspiré par ce qu'ont réellement vécu des femmes d'une communauté mennonite de Bolivie entre 2005 et 2009. La romancière canadienne Miriam Toews, elle-même élevée dans la religion mennonite puis excommuniée, en a tiré « Ce qu'elles disent », dans lequel elle imagine que quelques femmes doivent choisir au nom de toutes entre trois options, rester et pardonner, rester et lutter ou partir. Adapté à l'initiative de l'actrice et productrice Frances McDormand, le film réalisé par Sarah Polley « sur le mode de la fable » met donc en scène un quasi huis-clos, où une dizaine de femmes presque toutes illettrées – avec un homme pour transcrire les débats –, agitent tous les arguments, portant sur le pardon, la foi, la domination masculine, la communauté, la liberté et ce qu'elle implique... Par exemple, si l'on part, que faire des enfants, des garçons, déjà endoctrinés pour tenir les filles quantité négligeable... « Women Talking » est porté par ses comédiennes, Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley et les autres, et une mise en scène proche des visages et des attitudes, avec des respirations extérieures aux belles couleurs sombres. Des images pour tous les sexes.


*« Sage-Homme », de Jennifer Devoldere (à partir du 15)

Trop loin dans le classement de première année pour faire médecine, Leopold se résigne à opter pour le cursus de sage-femme, misant sur la passerelle qui au bout de deux ans permet de rejoindre la filière convoitée. Vivant dans un milieu exclusivement masculin – sa mère est morte, il est l'aîné de 4 garçons – et plutôt macho, il cache la vérité à son entourage. C'est par ses yeux, et sous la conduite d'une sage-femme passionnée incarnée par Karin Viard, que l'on découvre le monde de l'obstétrique. Un monde filmé avec un grand désir d'authenticité à Nancy au CHRU de Brabois et dans les locaux de la fac de sciences, Karin Viard, excellente, ayant elle-même fait un stage de sage-femme. Malgré des aspects dramatiques, « Sage-Homme » est une comédie et l'on suit avec sympathie, voire empathie, ce jeune homme déterminé joué par Melvin Bloomer, le JoeyStarr de la série « le Monde de demain ». De quoi peut-être susciter d'autres vocations de sage-homme.

*« Toute la beauté et le sang versé », de Laura Poitras (à partir du 15)

Photographe et artiste visuelle de renommée internationale, Nan Goldin a connu les années sida et survécu à l'addiction à l'OxyContin, antidouleur qui lui avait été prescrit pour une tendinite, contrairement à des centaines de milliers d'Américains victimes des overdoses et violences de ce qu'on a appelé la crise des opioïdes. Elle en a fait son combat depuis 2017, contre la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma, qui commercialise l'OxyContin avec un marketing offensif et pratique l'artwashing en étant mécène de grands musées dans le monde. Elle cofonde le collectif PAIN (Prescription Addiction Intervention Now), qui manifeste notamment dans les musées et demande entre autres la légalisation des sites de consommation à moindre risque et l'accès au naloxone, traitement d'urgence des surdoses. Ce combat passe aussi par le cinéma, avec « Toute la beauté et le sang versé », réalisé par Laura Poitras (oscar du documentaire en 2015 pour « Citizenfour »), qui fait le lien entre le militantisme, la vie et l'œuvre d'une artiste très politique. Un film couronné à Venise par le Lion d'or.


 

 

 

Renée Carton
En complément

Source : Le Quotidien du médecin