IDEES - Une théorie critique de la modernité

En quatrième vitesse

Publié le 05/06/2012
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IL EST TRÈS facile de repérer tout ce qui, dans notre simple vie quotidienne, est sous le signe de l’accélération, surtout si, comme l’auteur, on eu un contact avec la civilisation américaine. Les athlètes courent et nagent de plus en plus vite, il y a les fast-foods, le speed-dating, les siestes éclairs... Même nos voisins, note curieusement l’auteur, semblent emménager et déménager de plus en plus fréquemment.

Accentuant son emprise sur son thème, Hartmut Rosa pointe l’accélération technique à partir de la rapidité des communications et télécommunications, simplement. Mesuré en fonction du temps nécessaire pour le parcourir, l’espace entre Londres et New York s’est rétréci. De la navigation à voile aux avions à réaction, on est passé de trois semaines à huit heures. Un espace qui se comprime, comme l’a montré Paul Virilio, le monde devient exigu, jusqu’aux « non-lieux ».

On en dirait autant de notre vie professionnelle. Un métier la remplissait jadis totalement, qui se transmettait dans le respect aux enfants, alors que, de plus en plus, trois ou quatre activités occupent nos existences aujourd’hui. De même, nos connaissances en matière de vie pratique, d’utilisation des appareils domestiques se périment à vitesse grand V.

Il en résulte que nous perdons une sorte de familiarité avec les objets. « Alors que mon téléphone portable, ma radio portative, mon iPod ou autres deviennent de plus en plus intelligents, la distance entre eux et moi se creuse inévitablement », dit H. Rosa. Plus profondément, il en résulte que je deviens aliéné par rapport aux choses que je possède, non pas, comme on le disait il y a quelques décennies, par l’emprise consumériste, mais par le fait que ce que je possède en propre m’est devenu « alienus », autre.

Désenchantement.

Pourtant, si tout s’accélère dans la modernité, le temps lui-même, note l’auteur, ne s’accélère pas. Une heure reste socialement une heure. Les grossesses, les grippes, les saisons et les temps de l’enseignement n’accélèrent pas. Ce sont mes comportements liés à la concurrence capitaliste qui nous poussent sans cesse au-delà de nous-mêmes, dans un manque permanent, une « famine temporelle » paradoxale. Nous « bourrons » le temps, envoyant 10 e-mails, dont 8 ne sont pas indispensables et contribuent à nous ligoter.

Un livre cruellement vrai sur le désenchantement du monde, qu’il faut compléter par l’« Éloge de la lenteur » de Carl Honoré (Marabout).

Hartmut Rosa, « Aliénation et accélération », La Découverte, « Théorie critique », 142 p., 16 euros. 

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9136