ARTS - Au Louvre, « Rembrandt et la figure du Christ »

Jésus fait homme

Publié le 29/04/2011
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Crédit photo : JACQUEMART-ANDRÉ/INSTITUT DE FRANCE/SCALA

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Crédit photo : RIJKSDIENST VOOR HET CULTUREEL ERFGOED

C’EST À LA TOUTE fin du XVIe siècle que l’on vit arriver massivement à Amsterdam des communautés juives venant de la péninsule ibérique et d’Europe centrale. Fuyant l’Inquisition, elles trouvèrent refuge dans la cité portuaire, et s’y intégrèrent complètement dès 1630. On assista alors à un véritable épanouissement du judaïsme dans la ville. Les juifs, fidèles à la religion de leurs ancêtres, se mêlèrent en même temps aux Chrétiens reformés, dans un climat de grande tolérance. Amsterdam devint la « Nouvelle Jérusalem ». Cette intégration singulière du peuple juif coïncide avec la vie de Rembrandt (1606-1669). Elle n’est pas étrangère à la tournure que prend son œuvre. Dans les années 1640-1650, le maître de Leyde réalise une série de peintures représentant des « Têtes de Christ » et rompt avec la tradition de l’art chrétien. Peintes en atelier, d’après un modèle pris sur le vif, ces œuvres cassent l’image sacrée de la figure divine. Le Christ est ici humanisé puisqu’il s’agit d’une figure… humaine. Certains historiens d’art ou exégètes ont toujours eu tendance à « judaïser », parfois un peu hâtivement, l’œuvre de Rembrandt. Ce dernier ayant porté aux juifs un respect et un intérêt sans pareils, on s’interroge : le modèle ayant posé était-il juif ? L’exposition tente de donner des pistes pour répondre à cette énigme et à la question : « Comment peut-on peindre le Christ d’après nature au XVIIe siècle ? »

Modernité.

Rembrandt fut donc à l’origine d’une nouvelle représentation christique. Autour de ses « Têtes de Christ », bouleversantes de puissance symbolique et d’intensité dramatique, d’autres toiles (magnifique « Pèlerins d’Emmaüs », du musée du Louvre, récemment restaurée), ainsi que des estampes et des dessins viennent compléter le parcours. Les feuilles dessinées présidaient à la réalisation d’une toile, en tant qu’études, ou bien se suffisaient à elles-mêmes, œuvres à part entière ou exercices de style. Leurs traits sont vigoureux ou gracieux, plein d’éclat et d’équilibre. Quant aux estampes, elles témoignent du talent de graveur, de la maîtrise technique et de la diversité stylistique et iconographique dont faisait preuve l’artiste, l’un des maîtres historiques de la gravure, après Dürer. Rembrandt joue avec la matière, les effets de planéité ou de profondeur, de velouté ou de rudesse, les irrégularités d’encrage, les opacités ou les transparences, les modelés et bien sûr les fameux clairs-obscurs.

Des inventions et des hardiesses donnent à ces gravures une modernité extraordinaire On ne manquera pas la « Pièce aux cent florins », peut-être la plus célèbre des eaux-fortes de Rembrandt, ou encore « la Résurrection de Lazare ». Chaque fois, Jésus, les saints et les figures sacrées sont peints dans leur vérité, dans celle de l’homme qui souffre, qui doute, qui vit dans l’humilité ou dans la douceur. On est loin ici des Christ de gloire, idéalisés, de Rubens ou de la Renaissance italienne. Les Christ de Rembrandt inspirent le recueillement, la sérénité, la délicatesse, et évidemment la mélancolie. Une profondeur psychologique habite ces œuvres. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer de l’éclat ou de l’équilibre, des audaces ou de la grâce, de la subtilité ou de la liberté.

Musée du Louvre, Hall Napoléon, tél. 01.40.20.53.17. Tlj sauf mardi, de 9 à 18 heures (mercredi et vendredi jusqu’à 22 heures). Jusqu’au 18 juillet. Catalogue, coéd. musée du Louvre Éditions/ Officina Libraria, 39 euros ; Album de l’exposition, coéd. musée du Louvre Éditions/Officina Libraria, 6,90 euros.

À venir : « Rembrandt et son cercle », Institut néerlandais, 7e, du 30 juin au 2 octobre.

DAPHNÉ TESSON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8952