Jouer pour soigner, éduquer et chercher

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Publié le 03/11/2016
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Victime d’une commotion cérébrale en 2009, la californienne Jane McGonigal est persuadé qu’elle s’est complètement rétablie grâce jeu qu’elle a créé « Jane la combattante » : en effectuant des exercices intellectuels et physiques et en interagissant avec ses amis, elle a gagné les points selon l’arborescence qu’elle avait mise au point et en un an elle a recouvré sa santé. Depuis, elle multiplie les conférences pour convaincre ses auditoires que les jeux vidéo permettent de se sauver dans la vraie vie et même qu’ils sauveront le monde. Son « Institut pour le futur » développe aujourd’hui d’autres « aventures » : pour perdre du poids, arrêter de fumer ou… gagner dix ans d’espérance de vie !

Un bénéfice documenté

« Elle force le trait, mais elle a raison de le faire », estime Idriss Aberkane. Le filon du jeu vidéo appliqué à la santé est fortement exploité et fait l’objet de publications dans les revues scientifiques : Candy Crush permet de réduire de 5 à 25 % les envies de grignotage, de cigarette ou de sexe, selon une étude publiée l’an dernier dans « Addictive Behaviors » ; Tetris atténue le stress consécutif à un événement choquant, rapporte un article paru dans « Psychological Science » ; SnowWorld diminue de moitié la douleur des grands brûlés pendant leurs soins selon une équipe de l’université de Washington ; Bejeweled Blitz amoindrirait durablement de 57 % les signes d’anxiété, attestent des chercheurs de l’East Carolina University.

Glanées dans les revues scientifiques, les évaluations des effets des jeux concordent : jouer soigne. Développé par Genius Serious Games, mis au point au sein du LabCom Brain e-Novation de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, Voracy Fish propose la rééducation fonctionnelle des membres supérieurs d’un patient post-ACV, en le faisant incarner un poisson vorace et solitaire qui évolue dans un univers 3D à la recherche d’un trésor. Il est disponible gratuitement sur le site Curapy. Issu du projet REHAB e-NOVATION, le jeu TOAP Run améliore la marche et l’équilibre des Parkison grâce à la récolte d’items lors d’un parcours où il faut éviter les obstacles (tests cliniques effectués au sein de l’ICM de La Pitié-Salpêtrière).

Bref, jouer soigne. Et éduque le public : le serious game LudoMedic dédramatise l’hospitalisation des enfants, le Secret de l’Amarante sensibilise les patients aux infections nosocomiales, « Happy night », créé par la ville de Nantes, s’inscrit dans le cadre d’une campagne de prévention de sur la consommation d’alcool par les jeunes. Quantité de jeux sérieux ciblent des pathologies dans des buts de prévention ou d’information sur les soins.

La recherche aussi est investie par la ludosphère. Alors que les chercheurs de l’université de Washington échouaient depuis dix ans à trouver la structure tridimensionnelle de la protéase rétrovirale du virus M-PMV (Mason-Pfize monkey virus), ils ont mis en ligne en mai 2008 un jeu vidéo expérimental baptisé Foldit, sur le repliement des protéines. Trois semaines plus tard, la revue « Nature Structural & Molecular Biology » publiait enfin la structure 3D de l’enzyme, structure que les ordinateurs n’arrivaient pas à identifier et que les joueurs de Foldit ont découverte en jouant avec des puzzles. « C’est un exemple qui a été validé parmi beaucoup d’autres, commente Idriss Aberkane. La gamification qui utilise des éléments de serious games dans des contextes de recherche n’en est qu’à ses débuts. Après le jeu sérieux, voici le jeu génial ! »

Ch. D.

Source : Le Quotidien du médecin: 9531