LIVRES - Entre sensualité et sexualité

La libido des livres

Publié le 13/05/2013
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FRANCK RUZÉ est un écrivain de 43 ans aux apprentissages variés, incluant les arts appliqués et la musique, mais aussi la science (avec un master d’ingénierie physique de la santé), un auteur qui, depuis « 0 % », paru il y a dix ans sur le thème de l’anorexie et de la valorisation d’un corps dit parfait, traite avec bonheur de questions de société, qui touchent les jeunes filles en particulier. Dans « l’Échelle des sens » (1), il aborde de façon très lucide et très clinique le sujet de la prostitution de jeunes filles. Comme Tennessee, étudiante en psychologie, qui préfère vendre son corps, plutôt que de travailler au McDo, pour payer ses études – et son psychanalyste. « Je suis feignante, et je me déteste », résume-t-elle à l’un des clients de l’agence d’escorting venu acheter sa virginité. Elle ne croit ni en l’amour ni aux sentiments et son corps n’est pour elle qu’une machine et l’hymen un rouage que l’on répare avec un bistouri. On devine au fil des pages ce que cette maîtrise cache de peurs et de solitude.

Écrit pour attirer l’attention sur le désarroi de jeunes filles qui sont prêtes à tout pour construire leur avenir, le livre se distingue par un style direct et des dialogues sans fard qui visent avant tout l’authenticité, parfois entre des protagonistes qu’on tarde à identifier. Le lecteur est ainsi doublement interpellé, par le fond et par la forme.

Les cougars.

Il n’y a pas de racolage non plus, ni de scènes torrides, dans le nouveau roman d’Anne Bragance, « Escort Boys » (2). En mettant en scène un garçon de 25 ans d’origine bourgeoise, ingénieur chimiste, qui a été conduit presque naturellement, après la mort de sa mère adorée, à tenir compagnie à de riches et généreuses amies de celle-ci et à se glisser parfois dans leur lit, elle s’intéresse d’abord au sort des femmes qui redoutent les outrages du temps qui passe et craignent la solitude.

La solitude est un thème qu’Anne Bragance a souvent abordé dans la trentaine de ses romans et recueils de nouvelles. Elle le renouvelle ici en montrant que ce sentiment est le mieux et plus tristement partagé du monde. Il y a d’un côté ce jeune homme « au corps longiligne d’athlète marathonien », sur le berceau duquel de bonnes fées se sont penchées, et, d’un autre côté, ces femmes qui ont choisi de privilégier leur carrière professionnelle au détriment de leur vie privée, qu’il appelle affectueusement ses « vieilles fées ». Des cougars sur lesquelles l’auteur se penche avec compréhension et compassion, tandis que le jeune séducteur malgré lui s’efforce de trouver, dans ce milieu de marché et de comédie, sa propre vérité.

Être viril aujourd’hui.

Enrique Serna, écrivain mexicain connu et reconnu (« la Peur des bêtes », « Quand je serai roi »), s’attaque, dans « Coup de sang » (3), à travers les aventures de trois hommes, au problème sensible de l’orgueil masculin, autrement dit du bon fonctionnement et du pouvoir de leur membre viril.

Lorsqu’un modeste garagiste abandonne sa famille et son pays pour suivre une chanteuse dominicaine, qui le met sur la paille et en fait son domestique ; lorsqu’un obscur comptable, victime d’une impuissance permanente, découvre, à l’approche de la cinquantaine, le Viagra et en devient l’esclave ; lorsqu’un acteur porno sur le déclin tombe éperdument amoureux d’une jeune fille et ne peut plus accomplir sa tâche ; lorsque ces trois-là se croisent à Barcelone, ville carrefour et ville folle, en résulte une tragi-comédie érotique menée tambour battant, drôlement jouissive dans sa démesure et sa crudité mais sans obscénité. Enrique Serna dresse une sorte d’état des lieux de la virilité aujourd’hui, entre machisme et romantisme, en passant par la marchandisation des corps.

Pornographie sur Internet.

Après avoir connu un immense succès aux Pays-Bas, d’où son auteur, Peter Buwalda, est originaire, « Bonita Avenue » (4) conquiert le reste du monde. Il s’agit d’un premier roman ambitieux, un roman noir qui mêle l’argent et le sexe, la puissance planétaire du Web et celle des faux-semblants, qui nous mettent dans des bulles toujours prêtes à éclater.

Le récit se noue dans une petite ville des Pays-Bas, dans une famille modèle, où le chef du clan, Sigérius, à la fois grand mathématicien et grand sportif, en passe d’être nommé ministre, a élevé les deux filles de sa seconde épouse. Tout se passe à merveille, sauf que l’aînée des jeunes filles, Joni, et son compagnon Aaron, ont créé en secret un site Internet de photos pornographiques, pour lesquelles Joni pose complaisamment et qui leur rapporte beaucoup d’argent, tandis que Sigérius, dans le plus grand secret aussi, passe des heures à surfer sur des sites pornos. Une nuit, il reconnaît sa fille dans une des créatures de rêve virtuelles. Cette révélation marque le début de déchirements et de violences et signe la dispersion de la famille, des environs de Bruxelles à la Californie et à la France.

Au-delà de l’histoire, qui dénonce une société où personne n’est ce qu’il paraît être et où chacun enfonce l’autre pour servir ses intérêts, « Bonita Avenue » se démarque par sa construction. L’intrigue évolue sous la forme de spirales entourant chaque personnage et s’étendant à mesure que l’auteur ajoute un détail ou un souvenir, qui, eux-mêmes, évoquent d’autres détails ou souvenirs et aspirent chaque fois le lecteur vers une autre réalité. Un récit très maîtrisé.

(1) Albin Michel, 197 p., 15 euros.

(2) Mercure de France, 192 p., 16,80 euros.

(3) Métailié, 335 p., 20 euros.

(4) Actes Sud, 511 p., 23,80 euros.

MARTINE FRENEUIL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9241