À Nîmes, photos de tatouages

L'étonnant travail d'un médecin des prisons

Par
Publié le 02/09/2019
Article réservé aux abonnés
Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, le Dr Charles Perrier a photographié et étudié les tatouages des détenus, avec leur complicité. Ces travaux sont exposés jusqu'au 27 octobre au Musée du Vieux Nîmes*.

« Aux Armes de Lyon » : étalée sur le haut des omoplates, l’écriture tatouée surplombe un emblème immense, particulièrement réussi, que l’on devine celui de la capitale des Gaules. Ce dos photographié en 1897 à la prison de Nîmes est celui d’un détenu condamné à 14 mois de prison pour vol et abus de confiance. « C’est aux travaux publics (de la prison, NDLR) que fut exécuté le tatouage (finement dessiné) que cet homme porte sur le dos. Seize heures y furent consacrées par un ami qui n’exigea aucun salaire. » L’annotation du Dr Charles Perrier est clinique et précise. L’exposition « Tatouages », présentée à Nîmes dans le cadre d’une exposition délocalisée des 50es Rencontres photographiques d’Arles, est la mise en lumière de son travail de médecin à la prison de Nîmes entre 1887 et 1911.

L’homme est féru de médecine légale. Reprenant les techniques d'anthropométrie judiciaire mises au point par Alphonse Bertillon, il mesure oreille, nez, et visage des détenus, et il note – la pratique est marginale à l’époque – que nombre d’entre eux sont tatoués. Durant son service au sein de la prison, le Dr Perrier fera, avec le concours des détenus, plus de 800 observations statistiques et réalisera 318 tirages papier et 314 plaques de verre de ces tatouages, permettant ainsi aux prisonniers d’admirer, parfois pour la première fois, les œuvres ornant leur dos ou leur mollet. « Sur les 859 détenus observés, 346 ont été tatoués avant leur arrivée à la maison centrale », est-il précisé.

Pour son travail, le Dr Perrier classe ces détenus en fonction de la nationalité, de l'âge, du délit et du nombre de condamnations. La majorité des tatoués a entre 16 et 30 ans. On apprend également que la plupart des tatouages ont été réalisés dans l’armée, la marine ou en prison.

Les thèmes des tatouages sont des représentations féminines, souvent nues, des armes militaires, ou des ancres, symboles de la marine marchande. « Souvenir d’Afrique » est-il tatoué sur un torse au-dessus d'un lion. Plus grivoise, l’inscription « Pour les dames » réhaussant un lapin affirme une virilité déclinée à l’envi sur les bras, le torse ou le cou des détenus. « Enfant du malheur », lit-on sur le bras d’un homme à l'existence cabossée…

Un praticien apprécié

« En prison, les meilleurs clients du dessinateur en tatouages sont souvent les naïfs, faciles à duper, mais aussi les récidivistes, et surtout les tatoués », écrit le Dr Perrier dans son ouvrage « Du tatouage chez les criminels », paru en 1897. Sur 2 314 tatouages répertoriés, « plus d’un quart a été réalisé en prison », détaille le médecin, qui, sans complaisance, juge le tatouage comme « une pratique ridicule ».

Particulièrement apprécié des détenus, le Dr Perrier est lui-même régulièrement caricaturé par ces derniers. L’exposition rend également hommage aux prisonniers en exposant divers dessins. Sur l’un d’eux, le médecin est représenté dans une posture amusante où il fesse un maton devant un collègue hilare. En 1906, un détenu nommé Cathelain lui écrit un poème. Commençant par « Maudit soit le jour où je vins en ce monde/Pour souffrir sans trêve ni pardon », il s’achève par un hommage au médecin : « Et je me souviendrai qu’il existe sur terre/Un homme généreux, qu’il faut aimer toujours ! »

* « Tatouages - Le fonds Charles Perrier, médecin des prisons », jusqu’au 27 octobre,du mardi au dimanche de 10 à 18 heures.

www.nimes.fr

Guillaume Mollaret

Source : Le Quotidien du médecin