ARTS - À Marseille, l’orientalisme en Europe

L’Orient, du réel au fantasmé

Publié le 17/06/2011
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Crédit photo : MUSÉE DE LA VILLE DE STRASBOURG/N. FUSSLER

CE FUT un âge d’or. Au XIXe siècle, la fascination pour l’Orient connut un essor sans précédent chez les peintres et les sculpteurs. La campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801) fut à l’origine de cet engouement. Certains artistes, associés aux expéditions scientifiques, rapportèrent, dans un formidable travail d’inventaire du pays, des vues de ruines, de monuments pharaoniques, de déserts baignés d’une lumière éclatante (Léon Cogniet, « Campagne d’Égypte - Bataille d’Heliopolis » ; Carl Werner, « À l’entrée du Temple d’Abou Simbel. »...). L’égyptomanie atteignit des sommets.

Dans les années 1830, les peintres font le voyage en Orient. Horace Vernet et Chassériau posent leurs chevalets en Algérie, Marilhat en Égypte et Delacroix à Tanger. Ébloui par le Maroc, ce dernier exalte dans ses œuvres la couleur et la lumière. Une énergie et une fougue inondent ses toiles du Maghreb (comme « la Chasse au tigre »). Ses « Femmes d’Alger dans leur intérieur », à l’opposé de l’imagerie stéréotypée, livrent une vision poétique du thème du harem. Ingres, qui, lui, ne voyagea jamais en Orient, évoque largement les sérails de femmes dans son œuvre, tout comme Jean-Léon Gérôme. Le peintre « pompier » fit preuve pour sa part d’une très grande minutie en exprimant la vérité de ce qu’il voyait, loin de l’Orient fantasmé des peintres de la génération précédente. Ses scènes de harem sont néanmoins empreintes d’une « sensualité orientale » onirique. Elles mélangent étrangement les conventions et les hardiesses.

L’Espagne, « porte de l’Orient », ainsi que le rappelle l’exposition, fut pour certains peintres, le lieu de la première rencontre avec l’exotisme. C’est ainsi que l’Alhambra fut un monument volontiers admiré et célébré par les artistes (« Patio à l’Alhambra » d’Achille Zo, « le Palier des exécutions à l’Alhambra » de Grenade de Boislecomte…).

Ethnologie.

Les peintres qui s’intéressèrent aux pays du monde arabe y trouvèrent l’inspiration pour témoigner de l’histoire, de la politique et de la religion, dans des batailles, des scènes de genre et des paysages bibliques (Horace Vernet livre une « Première Messe en Kabylie » d’un grand intérêt et le peintre turc Osman Edhem Pacha Zadeh Hamdy-Bay met en scène avec force détails une Instruction coranique). Ils portèrent également leur regard sur les mœurs, les coutumes, la géographie et la nature (voir les superbes « la Mer morte », de Léon Belly, « le Simoun. Souvenir de Syrie » de Jean-François Portaels et « Au pays de la soif » de Fromentin). Ils servirent à merveille l’avènement de l’ethnologie, à l’image du sculpteur Charles Cordier, grand représentant de la sculpture ethnographique, fasciné par l’ailleurs, et mu par une démarche scientifique et par une curiosité toujours en éveil.

L’exposition propose de belles découvertes emblématiques des différents mouvements artistiques qui s’enchaînèrent alors, du romantisme de Delacroix au modernisme de Kandinsky et de Paul Klee, en passant par l’impressionnisme de Renoir (de ce dernier, voir la lumineuse « Fête arabe à Alger. La Casbah de 1881 ») et par le réalisme de Maurice Bompard, Léon Bonnat et Isidore Pils…

En plus d’un siècle, l’Orient aura été pour les peintres non seulement un sujet de découverte qui nous a valu des œuvres d’un réalisme puissant, mais aussi un prétexte au rêve et au fantasme d’où sont nés des chefs-d’œuvre d’une sensibilité rare.

« L’orientalisme en Europe : de Delacroix à Matisse », Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité. Tlj sauf lundi, de 10 à 18 heures (vendredi jusqu’à 22 heures). Jusqu’au 28 août. Catalogue, 312 pages, 39 euros, coédition Éditions de la RMN et du Grand Palais /Ville de Marseille.

> DAPHNÉ TESSON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8984