THEATRE - « Fin de partie », de Samuel Beckett

Quintessence d’une œuvre

Publié le 01/06/2011
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Crédit photo : D. MEAS

QU’EST-CE QUI FAIT qu’un spectacle donne le sentiment d’un achèvement ? Qu’est-ce qui fait que tout sonne juste, évident et que le public, le très divers public d’un grand théâtre privé, fait un triomphe à la représentation ? Le travail, l’intelligence, le respect scrupuleux mais inventif en même temps des indications de l’auteur. Ici, tout correspond à ce que voulait Beckett, mais tout est autre.

Cela éclate au regard dès que le rideau du théâtre de la Madeleine se lève : les murs gris béton – mais sous l’enduit, au fond, on devine les briques dont il est question dans la pièce ou on les imagine... – ne semblent pas devoir finir. Ils sont d’une hauteur prodigieuse. Décor de Jacques Gabel, lumières de Joël Hourbeigt. Tout est en place. Les fenêtres, l’escabeau bientôt et, au centre, le fauteuil-trône de roi, sans autre divertissement que le recommencement et le renoncement, de Hamm, encore sous son drap et visage sous le linge…

De cette pièce dont Beckett eut l’occasion de dire qu’elle était celle qui lui déplaisait le moins, le spectacle propose un accomplissement rigoureux et hallucinant. On a le sentiment que jamais on ne l’avait si bien entendue. C’est peut-être illusion : les grandes mises en scène de ce chef-d’œuvre atroce et sarcastique, désespéré et noir, qui date de 1957 mais a été « révisé » par l’écrivain lui-même à l’occasion de deux productions, en 1967 à Berlin puis en 1980 à Londres, ne manquent pas. Mais ici, on retrouve l’univers de Françon et ces gris et ces volumes dignes des « Pièces de guerre », de Bond et l’univers de Beckett porté par des interprètes de haute flamme : Serge Merlin, Hamm, inquiétant et insaisissable, Jean-Quentin Châtelain, Clov, cassé et bouleversant, et les parents dans leurs poubelles, Nag, Isabelle Sadoyan, et Nagg, Michel Robin.

Embarqués.

Pas de « résumé » qui vaille. Que l’on connaisse l’ouvrage ou qu’on le découvre, il y a sur ce plateau les mille et unes actions d’un « drame » véritable qu’il faut revivre. Le public rit beaucoup et c’est ce qu’avait espéré Beckett. Langue drue, prosaïque, langue de France avec ces formules populaires et sa sophistication discrète, à déguster, ébahi ! Ici, ce sont des timbres, des voix, des souffles qui sont également orchestrés par Alain Françon. Serge Merlin, à qui le public de la Madeleine fit un triomphe la saison dernière dans Thomas Bernhard, poète-flamme et enfant intrépide, Jean-Quentin Châtelain, dans le parcours très difficile de celui qui est le serviteur, le souffre-douleur, l’esclave, le rejeton sans doute, il bouleverse. Michel Robin, fascinant de justesse dans l’insensé et l’enfantillage aussi, Isabelle Sadoyan, note féminine, la mère, flouée, maltraitée, digne pourtant. Mais foin de psychologie ! On est embarqués, ils sont embarqués. Le directeur du théâtre, Frédéric Franck, ose : il offre le meilleur au public et le public est là.

Théâtre de la Madeleine (tél. 01.42.65.07.09 ou 0892.68.36.22, www.theatremadeleine.com), à 21 heures du mardi au samedi, 16 heures dimanche. Jusqu’au 17 juillet. Durée : 1 h 40 sans entracte. Le texte (Éditions de Minuit) est republié dans le programme avec dossier et photos.

ARMELLE HÉLIOT

Source : Le Quotidien du Médecin: 8975