À l'Opéra Bastille, une mise en scène audacieuse de Lydia Steier

Salomé classée X

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Publié le 21/10/2022
La nouvelle production de « Salomé » à l’affiche de l’Opéra de Paris, grande réussite musicale, va certainement faire date par sa mise en scène scandaleuse et radicale.
Elza van den Heever dans le rôle-titre

Elza van den Heever dans le rôle-titre
Crédit photo : AGATHE POUPENEY/ONP

« Salomé », de Richard Strauss d’après la pièce d’Oscar Wilde, n’a jamais été un opéra pour enfants sages. La vision quasi infernale qu’en donne l’Américaine Lydia Steier pour ses débuts à l’Opéra de Paris mériterait même d’être classée X, si l’on en croit le message reçu par les spectateurs ayant réservé : « Certaines scènes présentant un caractère violent et/ou sexuel explicite peuvent heurter la sensibilité d'un public non-averti. Merci de votre compréhension » ! De fait, ce spectacle, d’une extraordinaire technicité de mise en scène, est un violent coup de poing, quasiment deux heures d’orgie sanglante et de folie meurtrière dignes des séries les plus provocantes de l'époque.

Si Salomé entame sa longue descente aux enfers dans une blouse blanche, ses parents, le Tétrarque Hérode et la reine Hérodiade, ont une cour digne d’un club échangiste sadomasochiste. À ce banquet orgiaque, on se livre à des massacres d’esclaves, que l’on voit entrer nus ruban cadeau à la taille et ressortir sous forme de cadavres démembrés que des serviteurs en tenue antiatomique jettent dans une fosse à chaux vive. Les scènes sexuelles abondent, quand la cour descend vers la citerne où est enfermé saint Jean Baptiste : Salomé se masturbe sur la citerne au plus fort de sa scène de séduction frustrée ; la Danse des sept voiles est un dépucelage en règle par Hérode de la jeune princesse, suivi d’une orgie collective dont elle ressort ensanglantée… Les spectateurs sont certes prévenus, mais on ne peut s’empêcher de se poser la question des limites à la surinterprétation d’une œuvre qui, créée en 1905, était déjà plus qu’explicite dans son livret et dans sa musique, tout en conservant une merveilleuse ambiguïté dramaturgique.

Musicalement, c’est une grande réussite, avec une distribution quasi parfaite. Elza van den Heever débute dans ce rôle périlleux et s’en tire avec les honneurs, car si elle n’a pas beaucoup de puissance dans le médium, elle a chanté une scène finale d’une absolue beauté. L’Hérode costumé en fétichiste libidineux n’est pas pour une fois un chanteur en fin de carrière, mais John Daszak, un formidable ténor à la voix puissante et expressive. Karita Mattila (qui fut Salomé sur la même scène en 2003) est une Madame de bordel SM, cocaïnomane, poitrine à piercings à l’air, qui compense ses failles vocales par un jeu hallucinant de vérité. Le Jochanaan de Iain Paterson est parfois un peu brutal, mais tous les seconds rôles sont magnifiquement tenus, du Narraboth de Tansel Akzeybek aux cinq juifs, dont la scène cacophonique est formidable.

Mais le meilleur de la soirée est dans la fosse avec le merveilleux Orchestre de l’Opéra de Paris, chauffé à blanc par la chef australienne Simone Young, qui en tire un flot sonore sublime tout en mettant en valeur sans exagération les détails instrumentaux étranges dont est truffée la musique. Sa Danse des sept voiles est proprement envoutante. Au chahut final traditionnel des premières bastillanes, on a bien compris qu’au-delà des acclamations bien méritées pour Salomé, les enthousiastes couvraient de loin les protestataires. Âmes sensibles s’abstenir, certes mais on ne peut que s’incliner, malgré la liberté d’interprétation de la conclusion du drame, devant la réussite technique et la lisibilité du travail de Lydia Steier.

(Opéra Bastille, jusqu'au 5 novembre, operadeparis.fr. Retransmission le 27 octobre à 20 heures sur L'Opéra chez soi, medici.tv, et dans les cinémas UGC et indépendants ; le 4 novembre à 21 heures sur Mezzo live HD ; le 30 novembre à 19 heures dans les cinémas CGR ; et le samedi 19 novembre à 20 heures sur France Musique)

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin