Buenos Aires

Une capitale aux portes de la pampa

Publié le 18/04/2019
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Buenos Aires2-Café La Biela

Buenos Aires2-Café La Biela
Crédit photo : BRUNO BARBIER

Buenos Aires1-Statue Belgrano

Buenos Aires1-Statue Belgrano
Crédit photo : PHOTOS BRUNO BARBIER

Buenos Aires-Fresque Rivero

Buenos Aires-Fresque Rivero
Crédit photo : BRUNO BARBIER

Buenos Aires-Monument José de San Martin

Buenos Aires-Monument José de San Martin
Crédit photo : BRUNO BARBIER

En parlant d’eux-mêmes, les Argentins disent : les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas… et nous d’un bateau. Ainsi, la mélodie du tango fut-elle composée jadis par un juif polonais sur l’entrepont d’un cargo mixte. La mesure est à trois temps, les paroles relatent toutes sortes d’impasses sentimentales. Le violon est italien, le bandonéon vient de Hambourg et le chanteur est né à Toulouse.

Quand Carlos Gardel (né Charles Romuald Gardès), un émigré toulousain, vint la faire connaître en France dans les années 1920, cette danse traînait une funeste réputation liée à la prostitution. Il est vrai que le tango était devenu la bacchanale des lupanars de l’ancien quartier dissipé de La Boca. En 1882, une rébellion proclama même la sécession de ce quartier italien vis-à-vis de l’État argentin, et hissa le drapeau génois. Faubourg haut en couleur, enchevêtrement invraisemblable et coloré de petites maisons en bois et en tôle ondulée. Ripoliné à souhait – trop sans doute –, La Boca est devenu le haut lieu du tourisme qu’il faut fuir aux heures de grande fréquentation.

Aujourd‘hui, de nombreux restaurants de Buenos Aires se transforment en piste de danse à la fin de la semaine. Infatigables, les couples roulent et tanguent comme des bateaux ivres toute la nuit. Foot et tango, un double défoulement.

Comme un damier

La capitale de l’Argentine, dont le nom évoque la sainte des Bons Vents, s’étend à l’infini sur un immense damier à l’espagnol. Dix-huit millions d’habitants, dont trois millions intra-muros, soit près de la moitié de la population du pays. La Babylone du continent latino-américain est aux portes d’une pampa infinie. Là, il y a de tout. Des minéraux à profusion, du pétrole. Des bœufs et encore des bœufs, et aussi quelques moutons pour varier le menu du monde entier. C’est le désert le plus riche du monde. Quatre mille kilomètres entre les canicules tropicales de la province de Misiones jusqu’aux solitudes glacées de la Terre de Feu.

Dominée par un immense obélisque, l’avenida 9 de Julio – 300 m de large – coupe la capitale en deux et va jusqu’au port sur le grand estuaire du Rio de la Plata. Toutes les rues de la ville se croisent à angle droit comme celles de Manhattan. Les noms des 48 quartiers (San Telmo, Palermo, Montserrat, La Boca, Recoleta…) évoquent l’histoire souvent oubliée de la cité.

Promenade initiatique au cimetière de la Recoleta en plein cœur du quartier chic de la ville. Un grand show post-mortem où s’alignent des tombeaux panthéons. La tombe la plus visitée – et aussi la plus fleurie - est celle d’Eva, l’épouse de l’ancien président Juan Domingo Perón. Après une errance digne d’un roman policier, le corps d’Evita, morte en 1952 à 33 ans, a été enterré dans le caveau de la famille Duarte en 1976.

Dans les cafés

Les Porteños (« Ceux du port », Portègnes en français) s’expriment toujours dans la rue. Que ce soient les mères qui ne cessent de réclamer le retour des disparus sur la Place de Mai, les graffitis politiques qui inondent les murs, ou ceux qui clament leur amour pour Juan Perón. Mais les cafés sont les lieux de prédilection. On y passe de longues heures à triturer son âme et à ordonner les parenthèses. Le Tortoni, l’un des plus célèbres, accumule tous les clichés des beaux-arts flamboyants : des portes jumelles, des vitraux, des colonnes ocre, des sièges de cuir rouge, des tables basses en faux marbre, des ventilateurs, des tableaux, des bustes et des plaques de bronze. Les vieilles dames et les serveurs sont tels qu’on les imagine. C’est le Florian revisité par le Café de la Paix et le Sacher de Vienne.

Le café La Biela, la bielle, était, comme son nom l’indique, fréquenté par des champions du sport automobile, comme Fangio, cinq fois champion de Formule 1. Pour être sûr qu’on ne s’est pas trompé d’adresse, l’intérieur est tapissé de photos en noir et blanc de coureurs célèbres et de pièces de voitures. On a aussi installé à une table les statues hyperréalistes de Jorge Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares, les deux gloires littéraires du pays.

Un autre écrivain a vécu non loin de là, dans un appartement situé au 6e étage de la Galerie Güemes, vaste pâtisserie Art Nouveau qui donne dans la rue Florida. Antoine de Saint-Exupéry, directeur d’exploitation de la Compagnie générale Aeroposta Argentina de 1929 à 1931. Ici, il a écrit « Vol de nuit » et rencontré son épouse Consuelo Cunsin. Dans une lettre écrite plus tard à sa mère, l’auteur du « Petit Prince » cherche à se « consoler du Sahara et de Buenos Aires, qui est un autre désert ».

Bruno Barbier

Source : Le Quotidien du médecin: 9742