Comment attendre 12 à 15 ans pour développer de nouvelles stratégies diagnostiques ou thérapeutiques ? Comment progresser dans les maladies chroniques (beaucoup de malades) ou les maladies rares (peu de malades) sans revoir nos méthodes ? Beaucoup de progrès ont été faits mais lentement. Des innovations doivent être mises en œuvre : essais évaluant plusieurs médicaments en même temps ; essais évaluant plusieurs maladies ayant des marqueurs communs ; plateformes comme l’essai anglais Recovery pour traiter le Covid-19 avec de nombreux centres collaborateurs et une évaluation simultanée de plusieurs médicaments ; recueil prospectif de données de vies réelles dans la plupart des spécialités ; utilisation de biomarqueurs (cliniques, pathologiques, physiologiques) comme cibles thérapeutiques en immunologie, génétique ; critères de jugement basés sur des données obtenues par des capteurs plutôt qu’un examen clinique. Prédire l'avenir, c’est se tromper. Ce sont les visions de Vivek Subbiah, un cancérologue américain, exposées dans la revue Nature medicine (1).
Des développements dans le Covid-19 ont été rapides, centrés sur le patient avec une collaboration des acteurs. Avons-nous besoin de répéter les mêmes essais dans de nombreux pays pour générer des données sur chaque population ? Est-il possible d’harmoniser des pratiques entre pays ? Les responsables des industries, sociétés de recherche clinique, universités, établissements de santé, agences d’évaluation devraient travailler ensemble pour aller plus vite et avec des objectifs communs centrés sur les patients. Une façon de faire qui a permis d’éviter les écueils habituels aboutissant à des milliers d’essais randomisés jamais terminés, des essais obsolètes quand les résultats arrivent…
La sous-exploitation des données de vie réelles
Vivek Subbiah insiste sur la sous-exploitation des données de vie réelles, issues de registres administratifs, de dossiers cliniques électroniques, de données générées par des patients, des boîtiers et capteurs portables. Il aurait pu commenter un gaspillage lié au Covid-19. Deux articles du Lancet et du NEJM ont été rétractés, donc invalidés. Un fait rare posant les questions de la fiabilité et de la robustesse de ces sources de données et bénéficiant aux lobbies de l’hydroxychloroquine. Relisez la cause de la rétractation de ces études : « Non accès aux données sources ». Sans investigation, nous n’avons aucun argument pour dire qu’il s’agissait d’une fraude, ou d'un message colporté par certains. Dans la publication du Lancet, il s’agissait d’une analyse en temps réel de 96 000 dossiers médicaux de 670 hôpitaux dans le monde. C’est un bon nombre comparé aux petits effectifs des essais cliniques. Les données de vie réelle apportent des informations rapides. La conclusion était claire, mais est arrivée trop tôt (mai 2020) : « Nous n'avons pas été en mesure de confirmer un avantage de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine, lorsqu'elles sont utilisées seules ou avec un macrolide, sur les résultats hospitaliers pour le Covid-19. Chacun de ces régimes médicamenteux était associé à une diminution de la survie à l'hôpital et à une augmentation de la fréquence des arythmies ventriculaires lorsqu'il était utilisé pour le traitement du Covid-19 ».
Le propos de Vivek Subbiah est étendu à la médecine basée sur les faits (Evidence Based Medicine [EBM]), et aux recommandations qui sont partiellement obsolètes lors de leur diffusion. La pyramide EBM n’est que la partie émergée d’un iceberg dans lequel on trouve : immunologie, génomique, protéomique, métabolomique, microbiote, épigénétique, données massives, biologie computationnelle, données de vie réelle, intelligence artificielle, manipulations du génome, nouvelles technologies, etc. Il reconnaît que tout cela demande développement, standardisation, évaluation, et beaucoup d’efforts… Il ne propose pas d’échelle temporelle pour mettre en œuvre ces changements et apporte des questions sans réponse. Les normes et règles de la conduite de la recherche clinique ont peu évolué depuis 30 ans et des innovations n’ont pas été intégrées dans nos pratiques. Dans une ère de ressources limitées, des collaborations entre tous les acteurs pourraient diminuer les coûts de développement des nouveaux produits… Est-ce un rêve ? Il existe des freins sociaux et une résistance au changement de tous les acteurs. Tout ne sera pas si facile, car nous ne savons pas si les apports de l’intelligence artificielle ne vont pas créer des risques nouveaux.
(1) Vivek Subbiah. The next generation of evidence-based medicine. Nature Medicine 2023;29:49–58
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