Éditorial

L'AME et Hippocrate

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Publié le 17/11/2023
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« Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate que j’ai prononcé ». Ils sont 3 500 médecins à avoir signé cette « déclaration de désobéissance » à la suite de la suppression de l’aide médicale d’État par le Sénat (AME). Pourquoi cette prise de position dans le débat public ? Dans le cadre de la loi immigration, les élus ont voté sa transformation en aide médicale d’urgence (AMU), entendant limiter les abus. « Une profonde erreur » et même « une faute », a jugé le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. Dans l'hémicycle, sa ministre déléguée aux Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, avait défendu ardemment cette prestation pour les étrangers sans-papiers, soulignant que le dispositif « ne donne pas lieu à des dérives spectaculaires ou de soins de confort ».

Dans la foulée du vote du Sénat, les critiques du secteur médical se sont multipliées. L’Ordre a rappelé que « la lutte contre toute intolérance » se situait au « cœur de l'engagement de médecin », citant les débats sur la prise en charge des soins selon le statut migratoire de certains malades. Les fédérations hospitalières ont dénoncé « l'hérésie » de la suppression de l'AME. « Au-delà du devoir d’humanité, c’est un enjeu majeur de santé publique », a souligné Lamine Gharbi, président de la FHP. Le patron de la FHF, Arnaud Robinet, a évoqué de son côté « le risque de répercussions graves sur l’hôpital public, ses équipes, son fonctionnement et sa situation budgétaire ». Dans nos pages, les représentants de libéraux s'expriment aussi. Le Dr Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde, alerte : « Remettre en cause l’AME est en totale rupture avec toutes les données médicales, économiques ou même sociologiques montrant que c’est un dispositif de santé publique indispensable ».

De fait, si la réforme votée par le Sénat était adoptée – le texte sera examiné à l'Assemblée nationale le 11 décembre –, le « panier de soins » remboursé serait significativement écorné. Dans le cadre de l’AME, la prise en charge à 100 % concerne tous les soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs Sécu, à l’exception d’une aide médicale à la procréation, des médicaments remboursés à 15 % et des cures thermales. Pour l’AMU, les sénateurs ont recentré la couverture gratuite sur la prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës ; les soins liés à la grossesse et ses suites ; les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive. Avant d'y ajouter « les soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ». Bref, un changement complet de paradigme pour cette aide médicale qui a bénéficié à quelque 420 000 personnes pour 1,2 milliard d'euros en 2022.

 


Source : Le Quotidien du médecin