« Les calculs sont pas bons Kévin »

Publié le 03/02/2023
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VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - Les négociations conventionnelles sont au point mort et le parlement vote des lois qui risquent de faire voler en éclat notre système de santé… Le manque de cohérence en deviendrait presque risible…

Août 2019. Une vidéo devient virale sur le net. Celle d’une jeune femme se disputant avec son petit ami, Kévin, à qui elle reproche de ne pas la faire assez rêver en ne mettant pas assez de « paillettes dans sa vie », en lui disant que « les calculs [de ce qu’il dépense pour elle] sont pas bons, Kévin ».

Inès Reg a ce don d’humoriste naturelle au point de laisser croire une fraction de seconde qu’il ne s’agissait pas d’un sketch mais d’une authentique vidéo d’un couple en mode téléréalité.

Torts partagés

Je me demande si notre ministre de la Santé et nos députés ne chercheraient pas à embrasser la même carrière, sans avoir le même talent.

Nous manquons de médecins, et ce, de par les décisions iniques cumulées de tous les dirigeants qui se sont succédé depuis près de 30 ans. Les prévisions ont toujours été alarmistes. Mais la temporalité entre les résultats consécutifs aux décisions qui auraient pu nous éviter de foncer droit dans le mur et celle des élections rythmées tous les cinq ans n’est pas la même. Pourquoi le pouvoir en place prendrait-il le risque de voir ses successeurs, qui plus est potentiellement dans l’opposition, récolter les lauriers de réformes qu’ils n’auraient pas mises en place ?

Les médecins ne sont pas totalement innocents dans l’affaire. Il faut bien reconnaître que le clientélisme a eu de belles années. Quand l’offre médicale était supérieure à la demande, il fallait se démarquer de son confrère pour attirer plus de patients. C’est ainsi que les médecins il y a 30 ans se déplaçaient à n’importe quelle heure du jour, de la nuit, soirs et week-ends, même pour un simple mal de gorge, et quittaient leurs vies de famille le temps d’une consultation impromptue, pourvu que les patients voient en eux les sauveurs sur qui ils pouvaient compter en permanence.

Et ainsi de voir fleurir aujourd’hui les adages « c’était mieux avant », « les médecins d’avant, eux, avaient le sens du devoir », et d’autres « les jeunes médecins ne veulent plus travailler comme je l’ai fait moi » ou je ne sais quelle référence au « serment d’hypocrite » dans lequel il serait donc vraisemblablement écrit qu’un médecin est corvéable à merci.

L’Assurance-maladie, persuadée que tous les médecins depuis lors n’ont eu de cesse que de vouloir s’enrichir en fraudant, a renforcé les contrôles, créé les délits statistiques, et multiplié de façon exponentielle les contraintes administratives, sans se préoccuper du changement de notre société et de la perte de temps médical, responsable actuellement d’une partie de la carence d’offre de soins, offre devenue largement inférieure à la demande.

Drive-in de la santé

Mais plutôt que de miser sur une vraie politique de prévention, dont la branche assurantielle est bel et bien inexistante malgré la présence d’un ministre censé être le premier en posséder le titre, nous continuons à garder le même logiciel qu’il y a 30 ans : il faut pouvoir répondre à n’importe quelle demande de soins dès qu’elle apparaît (et, mettons-nous d’accord, je n’évoque pas ici les urgences vitales qui, bien entendu, ne peuvent ni ne doivent attendre la moindre minute pour être prises en charge).

À bien y regarder, cette réponse immédiate, comme une forme de Drive-in de la santé, m’a fait m’interroger. Le service d’accès aux soins (SAS) implique qu’un patient qui n’aura pas eu de rendez-vous avec son médecin traitant déclaré pourra bénéficier d’un rendez-vous dans les 48 heures avec un autre médecin qui aura bloqué des créneaux de consultation spécifiquement pour ce SAS. Ces consultations, en contrepartie de ce blocage, seront rémunérées à hauteur de 40 euros, contre les 25 habituels.

C’est donc à dire que si un médecin est consulté par un patient plus âgé, avec plusieurs pathologies, devant donc passer par définition plus de temps avec lui qu’avec un patient ne consultant que pour une simple fièvre, il sera rémunéré 25 euros. Alors que le patient passant par le SAS pour un rhume ou la prescription d’un arrêt de travail pour Covid, puisque celui-ci vient d’être supprimé dans sa version automatique, sera facturé 40 euros.

Je ne sais pas si nos dirigeants veulent se lancer dans une carrière d’humoristes. Mais ils sont beaucoup moins drôles qu’Inès Reg, même si, là aussi, « les calculs sont pas bons, Kévin ».

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin