Renouveler ou réévaluer une ordonnance ?

Publié le 25/03/2022
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VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - C'est la dernière trouvaille de cette campagne présidentielle : gagner du temps médical pour rendre supportable la pénurie de médecins. Mais encore faudrait-il que les conseillers santé expliquent aux candidats qu'on ne peut pas déléguer n'importe quoi. Le cas de la prescription en est une bonne illustration.

Crédit photo : DR

Il y a quelques jours, l’un des programmes pour la santé d’un candidat à l’élection présidentielle a souhaité libérer du temps médical pour répondre au problème de l’accès à un médecin traitant d’une partie de la population.

Certes, la délégation de tâche et l’exercice coordonné sont l’avenir de notre profession. Mais ne nous y trompons pas, les tâches déléguées doivent l’être auprès des professionnels qui en ont la compétence. Par exemple, un kinésithérapeute saura mieux qu’un généraliste quels types de mouvements réaliser dans le cadre d’une rééducation. C’est son métier. Il est donc normal que les prescriptions soient désormais laissées à l’appréciation du kinésithérapeute concernant le nombre de séances ou les techniques utilisées. Autre exemple, mis en application pendant la pandémie, c’est la vaccination. L’acte technique d’insérer une aiguille dans le deltoïde, vérifier l’absence de retour veineux, puis presser le piston pour injecter le contenu de la seringue est clairement à la portée de tous. Professionnels de santé… ou non. Nous parlons d’un acte technique simple.

Mais l’indication de la vaccination, en d’autres termes, quel vaccin administrer chez quel patient, à quel moment… Bref, comment choisir le bon vaccin pour chaque patient, cela relève d’une décision nécessitant des compétences médicales. Dans ce cas précis, la délégation de tâche peut avoir lieu pour l’acte technique, mais pas pour la décision de l’indication ou non d’un vaccin.

Sempiternelle arlésienne

Cette sempiternelle arlésienne de la délégation de tâches envers d’autres professionnels de santé semble, de prime abord, louable. Mais il n’en est malheureusement rien, car elle montre la parfaite méconnaissance du métier de généraliste.

Les pouvoirs publics semblent estimer que le médecin généraliste pourrait gagner du temps médical si on lui enlevait le présupposé chronophage « renouvellement » d’ordonnance. Là encore, il nous faut appeler un chat, un chat. S’il s’agit de « renouveler » l’ordonnance précédente ad integrum, la compétence nécessaire est de savoir recopier une ordonnance (avec éventuellement la compétence déchiffrage et la compétence écrire correctement en recopiant si elle est manuscrite), ou de savoir cliquer sur « imprimer » dans le logiciel ad hoc. Il me semble que la compétence « cliquer sur l’icône imprimer » est à la portée de presque tout le monde, professionnel de santé ou non. Cette opération dure quelques secondes. Sont-ce donc ces seules quelques secondes que l’on voudrait faire gagner aux généralistes ?

Un médecin qui reçoit un patient ne fait pas que « renouveler » (alias « imprimer ») l’ordonnance. Il « réévalue » le traitement. Chaque consultation bien menée doit faire l’objet d’une balance bénéfice/risque pour chaque ligne de traitement. Évaluer et réévaluer sa pertinence, son intérêt pour améliorer la durée et/ou la qualité de vie du patient. Cela nécessite des compétences qui sont l’apanage du corps médical, et c’est tout l’objet de si longues études pour former un professionnel de santé.

Pour être totalement honnête, il nous faut, nous médecins, balayer devant notre porte et reconnaître que, parmi nous, certains reconvoquent des patients dont le traitement semble bien équilibré tous les mois, alors que ceux-ci pourraient l’être tous les trois, six ou douze mois selon les cas. Gagner du temps médical peut être réalisé par ce biais, pour qui ne travaille pas déjà de la sorte.

Mais, ne soyons pas dupes, gagner du temps médical se fera surtout par la diminution de la charge administrative. Il ne faudrait pas que l’idée, pourtant légitime, de nous faire gagner ce temps ne soit en fait qu’un leurre destiné à masquer le fait que nous enchaînons les mauvaises décisions pour notre système de santé depuis 1995 où il a été décrété que pour dépenser moins pour la santé, il fallait simplement qu’il y ait moins de médecins en activité.

Déléguer le « renouvellement » d’ordonnance, c’est vouloir partir du principe que la réévaluation n’aurait que peu d’intérêt. Par contre, le déléguer permettrait à coup sûr de donner l’illusion de gommer une partie de la carence en offre de soins. Cela serait une pensée magique visant à libérer des créneaux de rendez-vous pour que des patients puissent plus facilement trouver un médecin… Tellement plus simple que d’augmenter les capacités de formation des universités, plus simple que de nommer de nouveaux enseignants pour former ces professionnels en devenir… C’est enfin tellement méconnaître la médecine générale que d’ignorer que les patients consultant un généraliste, poussent la porte de leur cabinet pour 2,4 motifs de consultation en moyenne. Enlever le motif « réévaluation » de traitement ne fera que diminuer ce nombre et non le réduire à néant. Et si, pour une fois, les candidats étaient conseillés par des professionnels de terrain qui sont vraiment au contact des patients ?

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin