Vu par le Dr Matthieu Calafiore

Si les injonctions paradoxales étaient rémunérées, nous serions riches…

Publié le 10/05/2024
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Pour sauver notre système de santé il faudrait tout faire… Et son contraire ?

Quand on regarde les pays d’Europe du nord en matière de santé, leur niveau de dépense par habitant est inférieur à celui qui prévaut en France. Et, de surcroît, les statistiques de ces pays montrent que la population, bien que « coûtant » moins à la collectivité, est en au moins aussi bonne santé que nos compatriotes français ! Plusieurs pistes d’explications sont possibles à cette différence contre-intuitive (car pour les pouvoirs publics français, faire mieux en dépensant moins apparaît comme le saint Graal, ou l’Arlésienne dont on parle sans cesse mais qu’on ne voit finalement jamais…). Tout d’abord le niveau de remboursement à soins identiques n’est pas le même en France et dans ces pays d’Europe du nord. Niveau inégal mais, une fois encore, une population au moins en aussi bonne santé que nous. L’explication est sans doute ailleurs…

Les soins premiers mis en avant

À bien y regarder, l’organisation de leur système de santé met en avant les soins de premiers recours, qu’on appelle soins primaires ou soins premiers. Les patients entrent dans le système de soins par ces professionnels. Il y a bien entendu les médecins généralistes, mais aussi les autres professions paramédicales à qui des tâches spécifiques sont assignées, par délégation ou partage de tâches, décidées en concertation. Les patients ont le moins possible recours aux soins secondaires ou tertiaires, à savoir les confrères des autres spécialités, l’hôpital voire l’équivalent de nos CHU. Le niveau de rémunération desdits professionnels y est supérieur au nôtre, avec, j’insiste, un niveau de dépenses de santé inférieur par habitant.

En France aussi, on a placé le médecin généraliste au centre du dispositif… sur le papier. Car le patient qui ne passerait pas par le premier maillon de la chaîne de soins pourra être reçu par les confrères de deuxième ou de troisième lignes, d’autant plus rapidement qu’il pourra s’acquitter d’un montant non remboursable d’honoraires. Plus surprenant encore semble-t-il, le généraliste qui filtre les demandes en ne laissant accéder aux maillons suivants du système que les patients en ayant réellement besoin, se voient rémunéré de manière identique… Là où les confrères des deuxièmes et troisièmes lignes pourront coter une majoration de rémunération.

Les généralistes veulent donc travailler mieux et moins, sans travailler moins

Les pouvoirs publics français souhaiteraient que les médecins généralistes puissent exercer davantage cette fonction de « gate keeper », comme l’appellent nos collègues européens. Et de donner à ces généralistes toujours plus de tâches à accomplir, sans en retirer une seule autre. Les généralistes se disent prêts à assumer quelques tâches supplémentaires de coordination des soins, mais à condition de leur retirer quelques actes dont leur niveau de formation est bien au-delà de celui demandé pour les réaliser. Mais attention, dès que vous prononcerez les mots « délégation de tâches », ces mêmes généralistes, débordés, vous feront parfois les gros yeux en vous disant qu’il ne s’agirait pas non plus de leur ôter la réalisation d’actes moins complexes qui, dans un système de paiement à l’acte, permettent d’équilibrer la rentabilité financière des cabinets. Les généralistes veulent donc travailler mieux et moins, sans travailler moins.

Le retour de l’accès direct aux soins de deuxième et troisième lignes

Et de leur côté les pouvoirs publics constatant que la démographie sera bientôt pire que la catastrophe annoncée il y a 20 ans, veulent donc que les médecins travaillent davantage, voient davantage de patients complexes, souffrant de polypathologies, pour coordonner les soins et faire en sorte d’utiliser au mieux nos ressources de santé. Et pour ce faire, ils vont… expérimenter le retour à l’accès direct aux soins de deuxième et troisième lignes. Souhaiter donc que les ressources soient mieux utilisées, mieux régulées par les soins premiers tout en permettant de ne pas passer par ces mêmes soins premiers. Réguler, coordonner, rationaliser… Sans réguler, ni coordonner ou rationaliser.

Certains patients aussi ne seraient pas en reste de ce « French paradox » : il faudrait contraindre les médecins à travailler en tant que fonctionnaires, afin de s’assurer qu’ils rendent suffisamment service à la population. Les soumettre donc à un cadre plus strict de travail, avec des horaires plafonnés à 48 heures par semaine notamment. Là où la moyenne horaire de travail de ces mêmes médecins est de plus de 50 heures actuellement. Il faudrait donc les forcer à travailler plus tout en les obligeant à travailler moins.

Les recettes d’ailleurs fonctionnent mais nous ne les appliquons pas. Tout criant à hue et à dia que notre système se meurt de son immobilisme. In french we say « injonctions paradoxales » and I think it’s beautiful…

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du Médecin