Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre de la Santé
Comme beaucoup de professionnels de santé ayant commencé leur carrière dans les années quatre-vingt-dix, il m’est difficile de rester silencieux devant la déliquescence constante de notre système de santé depuis plusieurs années. Je suis médecin allergologue en exercice exclusif depuis 2001 après treize ans et demi d’exercice de la médecine générale.
En 2024, 11 % des Français n’ont pas de médecin traitant (rapport du Sénat mars 2022). Le délai actuel moyen pour un RV chez un généraliste est de trois jours. Sans rentrer dans les détails et subdivisions par spécialité de l’annuaire des professions de santé de l’Ordre des Médecins, la moyenne est de 339 médecins pour 100 000 habitants (en 2021) avec une moyenne de 150/100 000 pour les généralistes. Cette moyenne globale était de 330 pour 100 000 en 2010 et 327 pour 100 000 en 2004. Dans les années 1990, à densité sensiblement égale on parlait de pléthore médicale, et avait été mis en place le mécanisme d’incitation à cessation anticipée d’activité (MICA) jusqu’en 2003. Le nombre de généralistes a baissé de 11 % depuis 2010. En réponse à cette situation, la réponse arithmétique, qui consiste à dire qu’il faut augmenter le nombre de médecins est dépassée.
Un problème sociétal aussi
Le problème n’est pas seulement arithmétique : c’est aussi un problème sociétal. La nouvelle génération, dans beaucoup de métiers dont la médecine, aspire à plus de temps libre pour la vie familiale et privée. Le monde a changé, et le métier de médecin qui s’interface de plus en plus avec les technologies numériques s’est complexifié. La relation avec les patients a évolué également, dans une société dominée par internet ou l’on a parfois l’impression de savoir sans savoir. L’aura du médecin peut s’en trouver ternie ce qui par effet rétroactif négatif peut inciter les jeunes médecins à moins s’investir dans la profession. L’augmentation récente du nombre d’agressions de médecins n’est pas là pour arranger les choses.
L’augmentation annoncée du nombre de médecins ne suffira donc pas à résoudre le problème. Ce qui est certain en revanche c’est qu’augmenter indéfiniment le numerus clausus/apertus, qui croît régulièrement depuis le début des années 2000, outre les problèmes de capacités de formation des CHU qui risquent d’être débordées, va aboutir à une génération de médecins à mi-temps qui verra ses revenus et peut-être son prestige diminuer. Mentionnons au passage qu’un médecin à mi-temps, c’est moins de pratique et d’expérience qu’un médecin à temps plein : l’art médical est un peu comme la musique, plus on pratique plus on est performant.
Ce qui est prioritaire à ce jour et qui devient urgent, c’est l’accès aux soins de la population, et des mesures efficaces doivent être rapidement mises en œuvre pour satisfaire cet objectif principal de santé publique. Face à ce nouveau paradigme où la population d’une manière générale souhaite plus de temps libre pour la famille ou à titre personnel et ceci dans la majorité des professions, le problème est complexe et devra mobiliser toutes les bonnes volontés, et un financement également à la hauteur de l’enjeu (tout comme pour les hôpitaux), en résumé, des décisions courageuses et ambitieuses.
Quelques pistes de réflexion
- Une convention spécifique réellement plus avantageuse pour les médecins qui s’installent dans les déserts médicaux, au-delà des incitations financières actuelles, à défaut de prendre des mesures plus énergiques de régulation à l’installation qui ont toujours soulevé un tollé chez les syndicats médicaux. On doit cependant constater que trop de libéralisme a en partie entravé les effets positifs du libéralisme pour la population avec l’apparition des déserts médicaux. Les mesures de régulation à l’installation existent déjà depuis longtemps pour les pharmaciens et les kinésithérapeutes.
L’État doit prendre ses responsabilités pour assurer l’accès aux soins à tous les Français
- Éviter autant que faire se peut le développement des cabines de téléconsultation comme substitut. Pour l’instant il y a des médecins au bout de la ligne, mais l’IA n’est pas loin et peut s’engouffrer rapidement dans la brèche, une fois que les problèmes d’assurance seront maîtrisés. Ce serait dommageable pour la qualité des soins, la médecine étant avant tout un colloque singulier entre le médecin et son patient et l’IA un outil qui devra aider les médecins mais aucunement se substituer à eux.
L’État doit prendre ses responsabilités pour assurer l’accès aux soins à tous les Français. La création de dispensaires médicaux d’État, avec conditions de salaire attractives, est une solution à étudier dans les déserts médicaux profonds, quand les communes ne peuvent se permettre de le faire, et qu’il n’y a pas de solution de MSP libérale en place type Ramsay santé. Ceci donnerait un élémentaire accès aux soins à la population et permettrait aussi de casser la « pompe à vide » que constitue l’absence de médecin dans un territoire. Évidemment il faudra assortir ceci de mesures de désenclavement physique (trains, transports) pour les conjoints de médecins afin de leur permettre de travailler facilement, ou à défaut de faciliter grandement le télétravail.
On ne peut pas indéfiniment s’appuyer sur les pharmaciens. Ils font déjà des vaccins même hors contexte d’épidémie, or la vaccination était l’occasion pour le médecin de faire un point prévention avec son patient, une occasion de perdue pour une bonne médecine générale.
Pour ceux qui seraient indignés par une évolution du système de santé vers une part d’exercice salarié, on ne pas peut dire qu’il y a de nos jours un réel libre choix du médecin car les patients prennent par défaut le/la médecin qui accepte de les prendre en charge, donc de facto notre système n’est pas mieux à ce point de vue qu’un système nationalisé à l’anglaise. D’ailleurs la nouvelle génération de médecins, pour les raisons ci-dessus évoquées semble aspirer de plus en plus à un exercice salarié : confort administratif et sécurité au travail, aspect collégial du travail : peut-être ces nouveaux modes d’exercice contribueront-ils à redonner le feu sacré à la médecine générale.
- Enfin, introduire encore plus de critères humanistes dans la sélection des étudiants en médecine. Il faut certes une base scientifique solide pour la médecine mais jusqu’alors on a beaucoup sélectionné des petits « cracks » des QCM, intelligents certes mais qui n’ont pas forcément les qualités d’empathie optimales d’un bon médecin. Introduire la psychologie, favoriser encore des passerelles entre la profession d’infirmier(e) , de kinésithérapeute, de pharmacien, et la médecine serait certes une bonne chose.
Il faudrait le courage de prendre certaines mesures urgentes. Ce sont les patients qui en sortiront gagnants.
En conclusion : la médecine générale devrait rester le pivot du système de santé, et les réformes entreprises, avec un internat beaucoup plus formateur, la spécialité en médecine générale, l’entrée à l’université des professeurs en médecine générale étaient une bonne impulsion. C’est très triste de voir les prérogatives régaliennes du médecin généraliste s’effacer progressivement avec l’assentiment tacite des syndicats médicaux et l’inaction des gouvernements successifs, au détriment de la bonne prise en charge des patients. La noble mission de la permanence de soins a été dégradée dans certains secteurs, avec les conséquences évidentes que l’on sait sur les services d’urgence. Le système libéral était celui qui offrait le meilleur aux patients. Il est déjà très tard pour agir en profondeur mais tout n’est peut-être pas encore complètement perdu sachant que les nouveaux modes d’exercice salariés peuvent s’inscrire dans une totale complémentarité. Il faudrait le courage de prendre certaines mesures urgentes même si elles rencontrent beaucoup de détracteurs y compris dans la profession médicale. Ce sont les patients qui en sortiront gagnants.
Je vous prie d’agréer Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre, l’expression de ma haute et respectueuse considération.
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