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Dossier

Futur des rémunérations

Paiement à l’acte, forfaits : un équilibre à trouver

Par Aurélie Dureuil - Publié le 19/09/2022
Paiement à l’acte, forfaits : un équilibre à trouver


Dante Busquets/ Adobe stock

Point clé des futures discussions autour de la convention médicale, la rémunération des médecins fait l’objet de beaucoup d’attentes de la part des libéraux. Revalorisation du G, simplification de la nomen­clature, paiement à l’acte, forfaits, incitations financières… De nombreuses questions devront être tranchées. Comment s’écrira alors la future rémunération ?

Revalorisation de certains actes comme la visite longue, développement des forfaits… La rémunération des médecins libéraux a connu quelques évolutions ces dernières années, bien loin de satisfaire les attentes des praticiens. Le futur des rémunérations s’avère d’ores et déjà l’enjeu clé des négo­ciations qui vont s’ouvrir sur la convention médicale 2023 avec l’Assurance maladie.

« Il faut une rémunération qui soit structurante pour le système et qui aide pour l’accès aux soins, une rémunération à la fois attractive pour les médecins généralistes et qui valorise de façon très marquée la fonction de médecin généraliste traitant », plaide le Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. Mais surtout, elle appelle à « un investissement massif ». « Il faut que les politiques se rendent compte du sentiment d’abandon, alors qu’il n’y a rien eu pour la ville dans le Ségur de la santé », alerte-t-elle. Signé en juillet 2021, l’avenant 9 à la convention médicale s’appuyait sur une enveloppe de près de 800 000 euros pour la médecine de ville, loin des plus de 8 milliards mis sur la table pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des Ehpad dans le cadre du Ségur.

Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, constate, lui, que « nous sommes là où nous ont amenés les précédentes conventions. Les niveaux de rémunération, la complexité des consultations des médecins généralistes font que nous voyons le nombre de salariés augmenter, le nombre de libéraux diminuer et de plus en plus de médecins généralistes se diriger vers des niches. Le modèle économique pour les libéraux n’est pas viable. La situation actuelle n’est plus acceptable pour l’accès aux soins. Nous devons modifier et innover dans nos organisations professionnelles. Or, aujourd’hui, nous n’en avons pas les moyens ».

Revaloriser les actes…

Une des premières attentes est ainsi la revalorisation des actes. À commencer par le G (consultation en cabinet avec majoration médecin généraliste). « Il est fixé à 25 euros depuis 2016 », rappelle le Dr Duquesnel, en pointant l’inflation qui n’épargne pas les médecins généralistes. Le Dr Philippe Boutin, à la tête d’une MSP à Poitiers, membre du bureau de la CSMF, renchérit : « Économiquement, ce n’est pas viable du fait du prix de l’acte qui est resté bloqué pendant des années. Le niveau de rémunération est complètement insuffisant. On s’en sort parce qu’on multiplie les heures mais les jeunes générations ne veulent pas de cet exercice ».

Si le tarif de la consultation n’a pas bougé, la visite à domicile a, elle, connu une revalorisation en 2022 avec la signature de l’avenant 9 à l’été 2021. Le tarif a en effet été porté à 70 euros pour la visite longue pour les patients de plus de 80 ans en ALD, dans la limite d’une fois par trimestre. « Pour le maintien à domicile des personnes âgées, il va falloir élargir cette revalorisation qui n’est aujourd’hui applicable qu’aux plus de 80 ans », note le Dr Giannotti. L’avenant 9 comprenait également l’élargissement des consultations complexes. Début 2022, c’est la rémunération plancher des astreintes des médecins dans le cadre de la permanence des soins ambulatoire (PDSA) qui a été revalorisée. Mais le Dr Duquesnel avertit : « De plus en plus de médecins généralistes se dirigent vers des niches où ils ne sont pas médecins traitants, comme la PDSA. On va alors voir deux types de médecins libéraux ».

... et simplifier la nomenclature

Outre la revalorisation des actes, les syndicats plaident pour une simplification de la nomenclature. « Chaque convention, avenant aggrave la complexité de la nomen­clature. En cotant bien tout ce qu’ils font, les médecins généralistes amélioreraient leur rémunération de 20 %. On ne peut pas passer 5 à 10 minutes par consultation à savoir comment bien coter », estime le Dr Duquesnel. Il rappelle la position de la CSMF en faveur d’une hiérarchisation à quatre niveaux. Chez MG France, le Dr Giannotti renchérit : « Les médecins généralistes utilisent très peu toute la nomenclature car ils n’y comprennent rien. Et ils ne sont donc pas rémunérés à la hauteur de ce qu’ils font ». Ainsi, MG France « milite pour trois niveaux d’actes : la consultation normale, la consultation plus complexe et la consultation équivalant à la visite longue. Il faut tout mettre dans ces trois niveaux avec des cahiers des charges », explique sa présidente.

Développement des forfaits, passage obligé ?

Mais faut-il conserver une organisation essentiellement basée sur le paiement à l’acte ? Depuis quelques années, les forfaits se développent mais restent très minoritaires dans la rémunération des médecins français. La répartition serait d’environ 84-85 % de rémunération à l’acte et 15-16 % au forfait, confie Julien Mousquès, directeur de recherche à l’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) sur l’axe Organisation et régulation des soins et services de santé.

Il invite par ailleurs à distinguer trois paramètres dans la rémunération : le montant, à qui sont alloués les ressources et le mode. Quel que soit le mode de rémunération, le montant est corrélé à la notion d’enveloppes. Sur l’allocation des ressources, il distingue deux modèles : celui où on alloue les ressources aux individus, comme le paiement à l’acte, et celui où les ressources sont allouées à une organisation qui les réalloue en interne, comme une maison de santé. Enfin, le mode de rémunération, Julien Mousquès observant de grandes tendances entre le paiement à l’acte et la forfaitisation.

« La rémunération à l’acte va orienter vers une forte productivité, une grande quantité d’actes et à l’inverse ne va pas favoriser une grande productivité sur la taille de la patientèle », souligne le directeur de recherche. Il pointe le risque de « consultations plus courtes en durée et de moindre qualité, et l’inflation des actes qui ne sont pas forcément utiles ». Au contraire, la forfaitisation « va pousser à augmenter la taille de la patientèle, ajuster au mieux le nombre de contacts et laisser plus de place à certains types de soins et de services comme l’éducation, le dépistage, la prévention… », indique Julien Mousquès. Il souligne néanmoins les risques de favoriser le fait « d’adresser les patients (complexes) à d’autres » afin de conserver « les ressources pour votre patientèle médecin traitant ».

Le modèle de paiement combiné

Dans un rapport sur les réformes des modes de financement et de régulation publié en janvier 2019, la task force dirigée par Jean-Marc Aubert (alors à la tête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques et aujourd’hui président d’IQVIA France) dessinait un modèle de paiement combiné.

Pour les soins de ville, il partait du constat que la coordination entre les professionnels de santé de ville et ceux des établissements de santé restait insuffisante. Et fixait l’objectif de poursuivre et amplifier la « diversification des modalités de financement des soins de ville ». « Pour les médecins généralistes, une première évolution concernerait la mise en place de forfaits de suivi de certaines pathologies chroniques. Ces forfaits se substitueraient au paiement actuel à l’acte : ils permettraient de renforcer encore le rôle clé du médecin traitant dans le suivi et l’organisation des soins, en renforçant l’incitation sur des soins de qualité. Le paiement à la qualité et à la pertinence serait revu et renforcé », indiquait alors le rapport, tout en préconisant que « le paiement à l’acte (reste) majoritaire, bien que moins important qu’aujourd’hui ».

Aujourd’hui, Jean-Marc Aubert observe : « Nous allons arriver progressivement à la diversification des rémunérations des professionnels de santé. Mais qui dit diversification ne dit pas forcément remise en cause du modèle du médecin libéral. » Il invite par ailleurs les médecins à la vigilance pour « lutter contre le risque d’augmentation des obligations. L’erreur serait de lier les rémunérations à toutes les obligations au lieu de discuter de paiement de services qui permettrait à chacun de s’adapter en fonction du contexte et de ses préférences ».

« Nous avons été très échaudés par rapport à une rémunération qui pouvait paraître alléchante dans le cadre de forfaits. Nous avons pris conscience de tout le danger. Au fil d’un avenant où on met en place un forfait sur la base du volontariat, puis de l’avenant suivant où, si on ne coche pas une case, on perd l’intégralité du forfait structure… », partage le Dr Duquesnel.

Vers d’autres modes de rémunération ?

D’autres modes de rémunération pourraient-ils voir le jour ? Les expérimentations Peps et Ipep portent sur de nouveaux modes de rémunération. « Ipep s’inspire du modèle Accountable Care Organization (ou organisation de soins responsable, expérimentation américaine qui associe le paiement à des mesures de qualité et de réduction des coûts, ndlr), qui va pousser l’offreur de soins à mettre en place des organisations communes et des contrats incitatifs. Cela se met en place dans les structures pluriprofessionnelles. Peps est un système de forfaitisation en fonction de la taille et des caractéristiques de la patientèle », explique Julien Mousquès. Il invite, lui, à laisser le temps de l’expérimentation. « Nous sommes dans la phase de suivi de la mise en place des incitations », note-t-il. Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam, cite de premiers « éléments très positifs » pour ceux « qui se sont lancés » dans ces expérimentations. « Ce sont des modèles un peu particuliers. Nous voyons bien que ce n’est pas généralisable et que ça ne peut fonctionner que pour des professionnels intéressés par ce type d’exercice. Tous ceux qui sont partants, nous les accompagnerons. Cette convention n’a pas vocation à rendre ces dispositifs obligatoires », confie-t-elle.