Est-il possible de prendre en charge davantage de patients « médecin traitant », et si oui comment ? À l'heure où six millions de personnes n'ont toujours pas de généraliste traitant attitré, le syndicat MG France a rouvert ce débat lors d'un colloque entièrement consacré à cette question en décembre.
L'équation n'est pas simple. De 2012 à 2021, le nombre de généralistes (et MEP) libéraux exclusifs est passé de 64 000 à 57 000 tandis que le nombre d'omnipraticiens en activité mixte et salariés a augmenté. Indice de la pénurie, le taux de patients de plus de 17 ans sans médecin traitant est passé de 9,8 % en 2017 à 11 % en 2021 (+1,2 point), précise Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins à la Cnam. « De plus en plus de patients sont sans médecin traitant car ce dernier est parti à la retraite », précise-t-elle. Autre donnée qui « interpelle », 620 000 patients en affection longue durée (ALD) n’ont pas de médecin référent…
Des forfaits pour les pathologies chroniques
La situation démographique sera particulièrement tendue pendant quelques années avant l'arrivée des renforts issus de l'ouverture du numerus clausus. « On n'a pas le choix, assume le Dr Pascal Gendry, président d'AVECSanté. Il va falloir qu'on augmente le nombre de patients dont on doit s'occuper ! On ne peut pas laisser une partie de la patientèle sur la touche, sans accès à un médecin traitant et une équipe ». Le généraliste mayennais met en avant le modèle de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) qu'il porte depuis des années afin « d'absorber une patientèle plus importante en faisant un peu moins d'actes et moins d'hospitalisations ».
Pour déployer davantage de MSP (il en existe déjà 1 889 en fonctionnement en juin 2021), le Dr Gendry milite pour un financement conventionnel supplémentaire et une baisse de la part du paiement à l’acte « qui ne permet pas de changer les façons de travailler ». « Il faut des forfaits d'équipe pour les pathologies chroniques, des financements collectifs d'équipes à la qualité, la performance ou l'efficience. Il faut aussi réorganiser les soins primaires et financer des organisations nouvelles (protocoles, locaux et systèmes d'information). Et quand c'est négocié, l'accueil du patient peut se faire par une infirmière en pratique avancée (IPA), un kiné ou une sage-femme », énumère le président d'AVECSanté. Il souhaite aussi une gratification accrue des nouvelles missions des médecins dans les MSP, qu'il s'agisse de la coordination, du management ou de la supervision des parcours. Côté formation, l’exercice coordonné pluripro en équipe « doit devenir la norme », plaide AVECSanté, pour qui « il est temps d’en faire un pilier de la formation initiale. »
Mode « accompagné »
La recette du travail en équipe, le Dr Alain Aumaréchal, généraliste à Vendôme (Loir-et-Cher), l'a appliquée au sein de son cabinet. Il travaille en mode « accompagné » avec une secrétaire, une assistante médicale (0,8 ETP), une infirmière Asalée et une autre en pratique avancée (0,8 ETP chacune). Le patient est accueilli par l'assistante médicale avant de voir le médecin, mais son suivi au long cours sera supervisé par l'infirmière Asalée et l'IPA. « Cela me permet de prendre en charge plus de patients : je suis passé de 2 000 patients en 2013 à 3 000 patients en juillet 2021. Pour autant, ma charge de travail en soins n’a pas augmenté, et ma charge mentale s'est allégée car je ne suis plus seul », indique le Dr Aumaréchal.
Dans le registre salarié cette fois, le centre municipal de santé de Pantin (Seine-Saint-Denis) fait ses preuves pour prendre en charge davantage de patients précaires. Dans un quartier avec « 50 % de personnes étrangères non assurées », la structure fonctionne avec 20 généralistes et 10 spécialistes, 13 infirmières et 20 secrétaires. Cinq dentistes et sept assistantes dentaires complètent l'équipe. « Nous sommes sur le ratio européen d’un administratif pour deux soignants », précise le Dr Didier Duhot, généraliste et directeur du centre. Cette organisation permet de faire « beaucoup de soins non programmés, de la santé publique, des interventions dans les écoles », et de suivre une file active de 30 000 patients dont 3 000 patients « médecin traitant ».
Dégager du temps médical
« Que des infirmières ou des IPA travaillent avec des médecins, c’est l’avenir, défend Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales (Igas). En Suède, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni, cela fonctionne ainsi. Il faut passer par l’équipe, mais tout en sachant qui est le capitaine et qui est l'entraîneur. » « Il faut surtout rendre la coopération pérenne », insiste Henri Bergeron, coordinateur scientifique de la chaire santé de Sciences Po, qui juge nécessaire de « réhabiliter le management » des médecins à la tête des structures pluripro.
Alors que les négociations préparatoires autour de la future convention se profilent, un des objectifs sera de « dégager du temps médical », assume Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, pour qui les équipes sont « le cœur du débat ». « Je suis attaché à la notion de médecin traitant, mais je suis à l’aise avec la notion d'équipes traitantes », a-t-il insisté lors du colloque.
MG France évalue de son côté le « sous-investissement sur la médecine générale » à cinq milliards d’euros par an dans notre pays par rapport à la moyenne de l’OCDE. « En rattrapant cette différence on pourrait donner une secrétaire et un assistant à chaque généraliste français, calcule son président, le Dr Jacques Battistoni. De quoi contribuer à améliorer l’offre de soins sur tous les territoires en permettant au médecin généraliste d’accepter plus de patients et d’être ainsi mieux payé. »