Au-delà des guerres de chapelle, le Congrès de l’encéphale a permis de hiérarchiser les différentes approches médicamenteuses en psychiatrie, notamment dans la dépression bipolaire. Cette 18e édition a aussi été l’occasion de souligner le manque de médicaments disponibles en France pour certaines pathologies comme le TDAH de l’adulte et de s’interroger sur les prescriptions d’antidépresseurs au long cours.
« Reconstruire, refonder ». C’est autour de ce thème que s’est tenue la 18e édition du Congrès de l'encéphale (Paris, 22-24 janvier 2020). Alors que la discipline a connu ces dernières décennies de nombreux combats idéologiques, la volonté affichée des organisateurs était de réfléchir à de nouvelles bases pour que la psychiatrie puisse « répondre aux défis cliniques, thérapeutiques et sociétaux qui lui sont lancés ». Avec notamment toute une réflexion sur les approches psychopharmacologiques.
Dépression bipolaire : pas d’antidépresseurs en monothérapie
La dépression est le versant le plus invalidant et le plus à risque du trouble bipolaire (TB), la grande majorité des gestes suicidaires survenant lors de cette phase.
« Il faut établir d’emblée les traitements de type psychothérapie », insiste le Pr Serge Beaulieu (Canada). Avec en 1re ligne la psychoéducation, en 2e les TCC et la thérapie familiale, puis la psychothérapie interpersonnelle et l’aménagement des rythmes sociaux (TIPARS), ainsi que le soutien par les pairs en 3e intention, les autres méthodes n’ayant pas un niveau de preuves suffisant.
En parallèle, il faut débuter au moins un traitement médicamenteux de première ligne en fonction du choix du patient et de ses traitements antérieurs. À ce titre, les recommandations émises par le CANMAT et l’ISBD (1) présentent l’intérêt d’avoir hiérarchisé les traitements de l’épisode dépressif en traitements de 1re, 2e voire 3e lignes selon leur niveau de preuve.
Alors que dans cette situation, le réflexe peut être de prescrire un antidépresseur (AD), ces recommandations mettent surtout l’accent sur les antipsychotiques en association ou non avec un psychorégulateur.
Pour les troubles bipolaires de type I (phases maniaques et dépressives), la quétiapine est recommandée en premier, du fait de son efficacité à la fois sur les épisodes dépressifs et maniaques, en phase aiguë et pour la maintenance, suivie de la lurasidone (un autre antipsychotique) associée à un psychorégulateur comme le lithium ou le divalproex (contre-indiqué chez les femmes en âge de procréer). La lamotrigine, la lurasidone ou le lithium seuls ont un niveau d’évidence plus faible. L’efficacité du lithium avait été discutée mais elle est surtout conditionnée par la nécessité d’atteindre un taux sanguin d’au moins 0,8mEq/l (sauf chez les sujets âgés).
En l’absence de réponse (évaluée après deux semaines), il est préconisé de switcher au sein de ces molécules. Du fait du risque suicidaire élevé, il est indispensable que le traitement soit rapidement efficace, ce qui est le cas avec la quétiapine et la lurasidone. En revanche, la lamotrigine nécessite une titration lente, ce qui peut la faire préférer plutôt pour le traitement de maintenance malgré un bon profil de tolérance.
Ce n’est qu’en cas d’échec avec les posologies optimales qu’on envisage les traitements de 2e ligne, comme le divalproex seul ou la cariprazine, un antipsychotique atypique qui fait son apparition dans les recommandations car efficace rapidement sur la dépression et la manie. L’ECT (électro-convulsivothérapie) est très efficace et rapidement mais n’est pas vraiment populaire ! L’association olanzapine/fluoxétine a été rétrogradée en 2e ligne du fait des effets indésirables, en particulier cardiovasculaires. « La prescription des antidépresseurs pour traiter l’épisode dépressif d’un trouble bipolaire est une arme à double tranchant mais on sait qu’environ 15 % des bipolaires de type I en auront besoin », remarque le Pr Beaulieu. Leur efficacité à court terme est certaine mais modeste. Quant au risque de virage maniaque, il semble minime dans les deux premiers mois mais élevé si les AD sont maintenus un an, ce qui incite à les arrêter avant de façon progressive et à ne pas les utiliser en monothérapie.
Les traitements de 3e ligne sont aussi divers que variés, avec un niveau de preuve faible, sauf pour la mémantine, la rispéridone, la prégnénolone ou… la pioglitazone ! Outre les AD en monothérapie, d’autres molécules sont contre-indiquées dans la dépression bipolaire : l’aripiprazole en monothérapie, l’association lamotrigine/acide folique, la mifépristone et la ziprasidone.
On manque de données pour les troubles bipolaires de type II (phases hypomaniaques et dépressives). La quétiapine est préconisée en 1re ligne ; la lamotrigine, le lithium, la sertraline ou la venlafaxine en 2e ligne mais en surveillant les signes d’hypomanie pour ces derniers.
TDAH de l’adulte : des options thérapeutiques limitées
Non seulement le TDAH (trouble de déficit de l’attention/hyperactivité) est souvent méconnu chez l’adulte, mais il s’associe souvent à des comorbidités qui auront un impact potentiel sur le traitement. Avant de traiter, il est essentiel de bien évaluer le retentissement du TDAH et de faire la part des choses sur son rôle et celui des comorbidités dans les difficultés du patient.
La France reste parmi les pays les plus faiblement prescripteurs au monde de traitement anti-TDHA chez l’adulte, avec une prévalence de la prescription autour de 3 pour 1 000 dans cette population, contre 1,48 % aux États-Unis. Les options médicamenteuses sont pauvres, puisque le méthylphénidate (MPH) n’a actuellement l’AMM chez l’adulte qu’en continuation d’un traitement instauré à l’adolescence (pour Medikinet et Concerta), et sa prescription est limitée par son statut de stupéfiant. L’atomoxétine, un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline dédié au traitement du TDAH, n’est disponible qu’en ATU ; la lisdexamfétamine et les amphétamines ne sont pas disponibles en France sauf la dextroamphétamine, difficile d’accès même en ATU. Les antidépresseurs noradrénergiques sont moins efficaces, et le modafinil réservé aux neurologues.
Les différentes recommandations européennes, canadiennes, américaines et anglaises mettent le MPH ou la lisdexamfétamine en première ligne si le handicap est modéré à sévère associé à un traitement multimodal psychologique, éducatif et psychosocial. L’impact de ces traitements est difficile à évaluer dans des essais, le patient se rendant très vite compte s’il prend un placebo. Les amphétamines et le MPH sont significativement efficaces pour l’amélioration des symptômes, les amphétamines se montrant supérieures mais au prix d’effets indésirables bien plus nombreux (multipliés par 2,39 et 3,26 pour les amphétamines vs placebo). Les effets se maintiennent à long terme, et il semble exister une aggravation clinique modérée après arrêt du traitement, mais le profil des patients est probablement différent selon qu’ils décident ou non d’arrêter, ce qui rend difficile l’interprétation.
« Le traitement est à la fois simple, car 80 % des patients sont répondeurs, avec un effet on/off immédiat, mais aussi compliqué par les comorbidités, la mauvaise observance, les contraintes de la prescription et surtout les représentations négatives des patients et même de professionnels de santé » commente le Dr Sébastien Weibel (Strasbourg).
Certains effets secondaires sont classiques en début de traitement mais transitoires : bouche sèche, céphalées, anorexie, palpitations, troubles du sommeil, parfois craving pour la nicotine ou autres substances, majoration de l’anxiété. Le MPH pourrait augmenter les tics et les symptômes psychotiques de façon éphémère. On n’a pas constaté d’augmentation du risque cardiovasculaire en dehors d’exceptionnels cas de vascularites cérébrales. Un bilan cardiaque n’est pas systématiquement recommandé, mais est à faire au moindre doute, et la fréquence cardiaque, la pression artérielle et le poids seront surveillés sous traitement.
Les antidépresseurs au long cours font débat
La dépression est un trouble récurrent, aussi est-il recommandé pour éviter les rechutes de maintenir le traitement par antidépresseurs 6 à 9 mois après la rémission pour le premier épisode en l’absence de facteurs de risque de récidive, au moins un an sinon, et deux ans voire plus s’il s’agit du 5e épisode ou au moins du 2e dans l’année. Mais actuellement, un courant soulève la question des inconvénients d’un traitement long, émettant l’hypothèse qu’un traitement de plus de 6 à 9 mois induirait une « tolérance aux antidépresseurs », avec perte d’efficacité dans le temps et donc augmentation du risque de récidive. Les prescriptions de longue durée pourraient aussi aggraver la pathologie dépressive avec développement d’une pharmaco-résistance, passage à la chronicité et potentiellement développement d’une bipolarité. De plus, l’arrêt du traitement entraînerait un réel syndrome de sevrage qui serait plus marqué et plus long qu’on ne le pensait.
Une théorie à relativiser : « L’arrêt des anti-dépresseurs est possible voire souhaitable pour limiter les effets indésirables et les risques d’une éventuelle tolérance, sous couvert d’une réduction progressive des doses et d’une psychothérapie de maintenance. Mais lorsqu’on constate qu’en pratique la dépression est sous-diagnostiquée en France et que 80 % des traitements antidépresseurs sont pris pendant moins de 6 mois, il serait dangereux de les considérer comme addictogènes, ce qui pourrait aggraver le sous-diagnostic et le sous-traitement de la dépression », alerte le Pr Marie Tournier (Bordeaux).
(1) Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) and International Society for Bipolar Disorders (ISBD) 2018 guidelines for the management of patients with bipolar disorder.