E-réputation à l’hôpital, un capital qui n’a pas de prix

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Publié le 06/06/2019
Peaufiner sa e-réputation ou être plus transparent ? le balancier oscille toujours entre ces deux démarches contradictoires. avec la lourde tâche à la fois de protéger l’image de leurs médecins, source de rentabilité, et de répondre aux besoins d’informations de leurs usagers. Sans omettre la protection des données qu’il faut garantir à tout prix. Un casse-tête pour les services com’ des hôpitaux. Enquête.
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Le faire-savoir sera-t-il plus important que le savoir-faire ? « Le médecin chef d’un service hospitalier à la pointe et sa e-réputation tirent une activité », affirme sans ambages Bernard Blanchard, directeur de la communication du groupe hospitalier Diaconesses-Croix saint Simon. Dans cet établissement où l’activité phare est la chirurgie des prothèses, et cela depuis de nombreuses années (avec un très bon classement au palmarès du Point établi chaque année), certains praticiens sont considérés comme des marques représentatives de l’institution où ils exercent. « Il est clair que l’atteinte à la réputation du médecin chef ou d’un de ses collaborateurs est un risque réel de baisse d’activité dans le contexte concurrentiel dans lequel nous sommes », abonde Bernard Blanchard. Avec une telle renommée, ces médecins sont surveillés comme la prunelle des yeux par leur direction, et même protégés.


La rentabilité avant tout
C’est pourquoi la e-réputation doit être ciblée sur certains secteurs d’activité, en général les plus rentables selon Bernard Blanchard : « On fait moins de veille sur nos médecins dorénavant, car l’enjeu n’en vaut pas la chandelle. » Car maintenir une veille sur tous les praticiens reviendrait trop cher à l’établissement. L’essentiel est donc de faire des choix dans sa veille et de maîtriser l’essentiel de sa réputation en ligne. Car le temps, c’est de l’argent. Illustration au sein du Chu d’Angers, presque l’équivalent d’un temps plein (soit trois personnes en alternance) est consacré à la veille des réseaux sociaux, aux réponses aux patients, à la coordination interactive avec les usagers, à l’activation des réseaux sociaux dans les campagnes de com’. Les réseaux sociaux s’étant substitués ici pour partie à d’autres médias.


Rassurer les médecins notés
Qui plus est, les professionnels de santé, médecins en premier lieu, n’ont pas le temps de s’occuper de leur e-réputation et ne sont en général pas formés pour réagir à des avis négatifs de patients. C’est la raison pour laquelle ils ont besoin d’être rassurés : un responsable de com’ d’un établissement expliquait comment il lui a fallu réconforter un médecin (qui exerce également en libéral) très inquiet d’avoir reçu un avis négatif d’un de ses patients. Anita Rénier, directrice de la communication du CHU d’Angers ne dit pas autre chose : « Les praticiens n’hésitent plus à nous contacter dès qu’ils ont un souci de réputation sur les réseaux sociaux, ils ont compris l’importance de ces médias dans l’attractivité de l’établissement . »
Même les institutions comme le Conseil de l’ordre des médecins ont pris conscience de l’importance de la réputation en ligne pour leurs membres. Illustration avec le guide Préserver sa réputation numérique publié en septembre 2018. Y figure un kit d’informations précieuses pour le praticien afin non seulement de maîtriser sa e-réputation, mais aussi de réagir à la fois aux avis et également en cas de diffamation : des outils juridiques et pratiques sont délivrés.


Formation aux réseaux sociaux
Dans le même ordre d’idées, certains établissements forment leurs personnels afin que ceux-ci disposent des outils pour connaître les règles de bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. Établissement en pointe sur ce sujet, le GH Seclin Carvin ne se contente pas d’un guide du bon usage. Il a aussi mis en place des sessions de formation annuelles mutualisées avec l’hôpital de Bailleul (qui fait partie du même GHT). « L’idée est de leur indiquer le cadre de leur expression sur leurs pages Facebook en leur détaillant les limites dues à leur profession (secret médical, secret professionnel) », explique Sandra Prévoteau, directrice du service com’ de l’établissement. Exemple typique, celui du mécontentement des patients dû à l’attente aux urgences : « Nos professionnels peuvent être tentés de répondre, nous les formons à ne pas le faire et au contraire à renvoyer au service com’ ces avis de patients insatisfaits auxquels nous nous chargeons de répondre. »


Avec les réseaux sociaux, l’usager tutoie son hôpital
Mais parfois il faut agir et éteindre le feu. Plusieurs établissements portent un regard attentif aux patients qui s’expriment sur les réseaux sociaux. Exemple, le Chu d’Angers. Selon sa directrice de communication, Anita Rénier, « avec l’avènement des réseaux sociaux, l’usager tutoie son hôpital. Les avis laissés par les patients ont un impact sur l’image et donc sur la réputation. Il faut en tenir compte dans notre dimension échange  avec les usagers ». Auparavant, l’institution dialoguait avec les usagers essentiellement via les équipes médicales. Depuis quatre ou cinq ans, l’échange est beaucoup plus direct entre la direction et les patients. Ce type de communication via les réseaux sociaux a amené la direction de l’établissement à élaborer une charte de fonctionnement avec la direction des usagers autour de la gestion des avis et interpellations des patients. « Par ce biais, des dysfonctionnements sont pointés puis souvent résolus, ajoute Anita Rénier, la e-réputation est devenue un outil opérationnel au service de l’amélioration de la prise en charge et d’écoute des usagers. » Pour faire valoir leur qualité de prestation, l’AP-HP a même eu l’idée de créer un label « Hospitalité » attribué aux établissements qui satisfont à certains critères comme la ponctualité, l’amabilité avec les patients, les conditions d’accueil, etc. Sur 600 services au sein du groupe, 200 l’ont obtenu.

Porter plainte pour diffamation
La stratégie pour mener à bien cette réputation est souvent la même. Les établissements exercent une veille quotidienne sur la presse comme sur les réseaux sociaux. Cela est le cas au Chu de Poitiers. Selon Stéphan Maret, son directeur de communication, « en matière de remontées, tout est possible. Mais nous restons vigilants surtout sur les retours d’expériences ou les situations qui appellent de notre part une réponse en invitant l’usager à reprendre contact avec nous pour mieux comprendre sa situation, lui apporter des réponses le cas échéant et voir ce qui a fonctionné ou a dysfonctionné ». Tous les commentaires n’apportent pas forcément de réponses quand ce sont des messages courts et lapidaires. « S’il y a des dérapages, ce qui arrive de façon marginale, nous portons plainte. » Illustration au mois de janvier dernier avec une affaire qui a donné lieu à une condamnation : le Chu et France Roblot, la chef de service Maladies infectieuses avaient porté plainte contre Matthias Lacoste, le président d’une association de patients victimes de la maladie de Lyme. Sur Facebook, celui-ci avait diffamé et insulté France Roblot qui avait indiqué que « la chronicité de la maladie de Lyme n’avait pas de fondement scientifique ».
Mais la e-réputation ne se soigne pas seulement à partir des avis recueillis sur les réseaux sociaux. Elle se construit aujourd’hui à partir de données plus fiables. S’agissant de la notation en tant que telle et de l’existence d’indicateurs comparatifs, l’offre de données est très éclatée et loin d’être transparente et réellement accessible aux patients. Selon le dernier rapport de l’Institut Montaigne publié fin avril, le seul outil institutionnel existant pour comparer les hôpitaux entre eux est Scope Santé. Toutefois, le succès n’est pas au rendez-vous selon les auteurs du rapport : « Le taux de réponse des patients reste encore faible malgré une augmentation enregistrée ces dernières années : ce taux était de 25,8 % en 2018 versus 17,3 % en 2017 soit une hausse de 8,5 points en un an. » Pis, si on le rapporte à l’ensemble des patients concernés par e-Satis, soit près de 4,8 millions de patients dans plus de 1 100 établissements, le taux de participation globale était de 3,9 %, versus 2,5 % en 2017.


Scopesanté, un site parfaitement inopérant
Un praticien hospitalier fin connaisseur va beaucoup plus loin dans la critique. Selon lui, le site scopesante « est parfaitement inopérant : telle que cette base est présentée, les gens ne savent pas l’utiliser ». Et d’ajouter : « Cela relève d’une incompétence générale ; tous les niveaux hiérarchiques cherchent à se valoriser et pour cela, ils font un usage propre et sélectif de leurs datas et ne les mettent pas dans le pot commun, ce qui les rend incomparables. » Selon ce PH, les deux seules questions que se posent les patients sont les suivantes. Premièrement, y a-t-il un temps d’attente aux urgences. Ou dit autrement, « sont-ils susceptibles de passer la nuit sur un brancard ? » Deuxième question, risquent-ils d’avoir à payer des suppléments d’honoraires ? Ces réponses ne sont pas clairement et systématiquement apportées aux patients. Pierre lancée dans le jardin des pouvoirs publics par ce PH, « l’assurance maladie et le ministère auraient intérêt à benchmarker, même si les hôpitaux ne le souhaitent pas forcément de prime abord ».
Cette volonté de noter les établissements a été réaffirmée le 15 avril dernier dans un article du Figaro par Alain-Michel Ceretti, président de France Assos Santé, un réseau qui regroupe 85 associations de patients. Selon Alexis Vervialle, chargé de mission de l’offre de soins chez France Assos Santé, avec Scopesante, Sante.fr, ameli.fr notamment, les usagers se trouvent face à une offre fragmentée et à un éclatement informationnel : « Scopesante n’est pas un outil à destination des patients, mais des professionnels de santé, avec des scores de calculs compliqués. On retrouve par exemple des scores de consommation de produits pour le lavage des mains. Bref, on loupe la cible dès le départ (2016). » Le problème réside dans la faible proportion de patients qui donnent leur mail aux établissements (15,4 %). En revanche, une fois le mail de sollicitation reçu, les patients répondent fortement : 25,8% de participation soit 1 patient sur 4. Parmi les répondants , un quart d’entre eux disent ne pas avoir reçu de consignes sur les signes ou les complications devant les mener à recontacter l’établissement en urgence. Comment alors orienter sur mesure les patients ?


Moipatient, le site des patients
En association avec Renaloo, le collectif prévoit de lancer à son tour avant l’été 2019 « Moipatient », le site d’évaluation des médecins et des services hospitaliers, de partage d’expérience des patients et du suivi médical, en accord avec les pouvoirs publics. Renaloo est une association très active sur les réseaux sociaux et la communication web. Sur son forum, se trouvent plus de 25 000 messages postés de patients essentiellement dialysés et greffés rénaux (85 000 en France). « Avoir des informations compréhensibles sur la greffe rénale, ce n’est pas simple », abonde Audrey Garcia-Viana, référente du projet Moipatient chez Renaloo. Qui plus est, « les professionnels de santé n’ont pas toujours le temps ni la formation adéquate pour informer les patients sur les différents types de prise en charge, de dialyse, de greffe ». Orientée sur l’ensemble des pathologies, la plateforme digitale Moipatient comportera deux sites applicatifs. Le premier est MesData qui permet de recueillir les données de santé par les patients directement dans un environnement sécurisé. Le second site MesSoins permettra au patient de s’orienter dans le système de soins. Dans ce cadre, le projet de Renaloo et de France Assos Santé est de rendre les indicateurs de la HAS (publiés sur Scope santé) compréhensibles par le grand public. En d’autres termes, précise Audrey Garcia-Viana, « nous avons pour objectif d’adapter la donnée aux besoins du patient. Nous ne sommes pas dans la logique de donner simplement des indicateurs, mais dans une approche sur mesure ». Chaque patient aura la possibilité d’évaluer l’établissement où il s’est rendu en remplissant un questionnaire. « Nous aurons pour chaque hôpital le nombre d’avis et les retours d’expériences des patients, avec les indicateurs agrégés liés à ces avis », ajoute Audrey Garcia-Viana qui avec son équipe est en train d’identifier les items prioritaires pour les patients dialysés qui leur permettront d’évaluer les centres de dialyse.
Les patients ne sont pas seulement présents sur les réseaux sociaux. Ils siègent aussi au sein des établissements en tant que représentants des usagers au sein des commissions des usagers des hôpitaux. « Une grande partie des EIG sont dus à des problèmes de communication et ne sont pas connus de la presse ni du grand public », insiste Alexis Vervialle. Depuis 2016, les pouvoirs de ces représentants ont été considérablement étendus. En plus des plaintes et réclamations, ils traitent désormais la qualité et sécurité des soins, la qualité de l’accueil, la certification et toute la politique globale de l’établissement. Et au final, ils rédigent un rapport annuel chaque année recensant tous les avis recueillis des usagers, aussi bien positifs que négatifs.


Protection des données, un danger pour la e-réputation
La troisième grande problématique qui rentre dans le cadre de la e-réputation est la protection des données de santé. À l’hôpital le sujet est d’autant plus sensible que se mélangent les notions de protection de la vie privée des professionnels comme des patients. « Nombreuses sont les attaques informatiques contre les cliniques et les centres hospitaliers. Beaucoup sont cachées parce qu’elles jouent sur la e-réputation », s’indigne Damien Bancal, journaliste et vigie de la sécurité des données sur le Net. Perturbations de matériels, vol de données, ramsomwares... ces actes impactent régulièrement des établissements de santé, qui s’abstiennent d’ébruiter ces affaires. Le nerf de la guerre est l’argent consacré ou pas à la protection des données, moteur d’une bonne e-réputation : « Certains médecins ou cliniques n’organisent aucune protection de leurs données et tant qu’ils ne se font pas prendre, ils continuent. Quand il y a des fuites de données, ce que leur impose le RGPD, ils n’alertent pas pour autant la Cnil. »
informaticiens, derniers de la classe
Selon le PH proche du dossier, « je ne crois pas que la priorité est là. Sécurité informatique et partage des données sont des objectifs antagonistes à budget et à technologie constante. Si on doit mettre de l’argent sur ce poste, il faut déjà embaucher des gens compétents au prix qu’ils valent. la complexité de l’informatique hospitalière est incompatible avec les grilles de salaire de la fonction publique. En conséquence, nous ne pouvons embaucher comme informaticiens que les derniers de la classe. L’indisponibilité des applications et les pertes de données sont au moins autant les suites de cette incompétence que des malveillances. Le fichage des gilets jaunes par l’AP-HP est une illustration du fait que l’incompétence est bien plus délétère que les pirates ou que les failles de sécurité. »
Au final, les établissements doivent se protéger. S’ils ne le font pas, la communication autour des incidents sera punitive en identité numérique. Physiquement, la confiance peut se rompre avec le patient : « Comment puis-je avoir confiance en quelqu’un qui me soigne, mais qui ne protège pas ses données ? », s’exclame logiquement le lanceur d’alerte qui ne publie sur son blog (zataz.com) que 10 % de ce qu’il apprend.
Casse-tête pour les établissements, aucun élément de l’image de l’établissement ne doit être négligé. Et surtout, la notation effective par les patients et la mise en place d’indicateurs comparatifs vont rebattre les cartes dans l’organisation des soins en focalisant la médecine de demain sur des aspects plus empathiques et moins organo-centrés. Prendre en compte le patient dans sa globalité est un processus irréversible pour les établissements de santé.


Source : lequotidiendumedecin.fr