Guy Vallancien : « En médecine on ne supprimera jamais la relation humaine »

Publié le 02/07/2015
Décision Santé. Les professionnels de santé doivent-ils redouter Google ou Facebook ?

Guy Vallancien. Il ne faut pas se leurrer, ce sont des entreprises impérialistes. Google a récemment affirmé grâce à ses bases de données pouvoir sauver 100 000 vies par an. En agrégeant les requêtes sur la toux ou la fièvre, Google est, il est vrai, plus puissant que l’Institut national de veille sanitaire (INVS) pour repérer une épidémie. Nous changeons de monde et de puissance d’analyse comme de capacités d’action.

D. S. Dans votre livre, vous êtes bien optimiste sur les start-up françaises dans le domaine de la santé.

G. V. Les fameuses Gafa (Google, Apple, Facebook, Apple) sont américaines. Aucune entreprise de taille mondiale depuis quarante ans n’a été créée sur le Vieux Continent. Est-il trop tard ? Non jamais. Car les gros ont tendance à camper sur leurs positions et n’ont plus le flair pour imaginer les nouveaux marchés. Nous produisons pourtant avec notre système éducatif et notre cartésianisme les meilleurs cerveaux pour être les champions en informatique. Simplement nous manquons d’un écosystème pour faire germer ces talents, à savoir la flexibilité, les business angels et les capital-risqueurs prêts à risquer des millions. Nous sommes toujours un pays colbertiste dominé par la haute administration. Gafa ou pas, nous devrons réformer les métiers de la médecine. Depuis des années, je me bats pour générer des transferts de compétences vers les infirmières. Demain, nous aurons besoin de moins de médecins grâce aux transferts de tâches désormais possibles grâce à l’informatique. Mon métier, la chirurgie va en partie disparaître au profit d’ingénieurs opérateurs formés sur des aires anatomiques plus réduites à la manière des pilotes certifiés sur un type d’appareils. Il est vrai que les drones se substituent aux avions... Pour autant, en médecine, on ne supprimera jamais la relation humaine. Le diagnostic sera établi par la machine. Au médecin demeurera le pouvoir de transgression, celui d’aller au-delà des normes et des guides de bonne pratique pour répondre à la demande d’un malade particulier qu’aucun système informatique ne peut asservir. Des raisons personnelles, familiales, socio-professionnelles, culturelles ou religieuses peuvent m’amener à choisir une option qui n’est pas la règle pour un patient précis que je connais dans son intimité et son secret.

D. S. La modernité signifie dans ce cas un retour en arrière avec pour modèle l’empathie assurée par les sœurs de la charité...

G. V. C’est en partie vrai. Il y aura de plus en plus des demandes de type « aidez-moi docteur ». A l’avenir, le médecin sera déchargé de la technique qui pollue. Il faut le dire, la médecine, c’est un métier de curé, mais on ne peut laisser faire les gourous qui attirent les crédules grâce à leur art de l’écoute. On observe depuis longtemps une déviation de la formation vers les sciences dures. Il faudrait revenir à l’humanisme, à la compassion, à l’aide la plus personnelle.

D. S. Quel type de médecine sera pratiqué dans dix ans ?

G. V. Sur les milliers d’applications qui pullulent, seul 1 % seront utiles. Les autres disparaîtront.  Le médecin généraliste sera par ailleurs installé dans des plateformes sanitaires de premier recours regroupant les professionnels. Si la clinique en termes d’examen est en train de disparaître dans un grand nombre de spécialités au profit du diagnostic fait par la biologie et l’imagerie, l’interrogatoire, lui, conserve tout son intérêt. Une machine ne dépistera jamais la fragilité d’un individu au seul timbre de sa voix. Au terme de ce processus, l’essentiel de la consultation se cristallisera autour de la décision thérapeutique. Faut-il traiter ? Comment ? Un algorithme s’en chargera comme il procèdera au diagnostic. Le médecin restera celui qui valide la bonne option pour un malade donné dans sa singularité. D’où l’importance de la confiance entre soignant et soigné.

D. S. Comment conserver une indépendance scientifique alors que Google ou IBM sont en train de construire des gigantesques banques de données.

G. V. Mais nous sommes assis sur un trésor. La France est le pays en matière de santé qui dispose du plus grand nombre de données. Simplement, nous ne savons pas encore les utiliser. A ce premier atout, on peut associer la qualité de notre médecine. Nous disposons en vérité de toutes les ressources pour résister à Google et demain à Apple et IBM. Il est urgent que la tutelle politique comprenne l’importance de l’enjeu. Et facilite l’éclosion d’un écosystème favorable. Le pays étouffe sous les normes.

D. S. Nous sommes ici à l’Ecole européenne de chirurgie implantée au cœur de l’université Paris-Descartes. Quand sera créée l’Ecole européenne des Big Data ?

G. V.  Nous sommes en retard dans ce domaine. Qui sera capable d’investir dans les machines et de placer au bon endroit les ingénieurs afin de traiter les données ? Nous sommes là dans un rapport de pouvoir. Le patron de la Cnam serait l’homme le plus puissant de France s’il utilisait ces données. Quant à l’université, elle se doit de former les étudiants à ce nouvel univers de la santé numérique. Les initiatives dans ce domaine sont encore trop modestes.

Source : lequotidiendumedecin.fr