Tribune de Jean-François Goglin (Fehap)

L’importance des usages dans la santé numérique

Publié le 19/11/2015

Il y a une trentaine d’années, une innovation, en place dans certaines entreprises privilégiées, faisait rêver ses utilisateurs qui rêvaient d’en disposer chez eux, dans leur quotidien. Il s’agissait de la messagerie. À cette époque, les usages de l’entreprise tractaient les usages du domicile. Chacun rêvait de disposer chez soi des services dont il disposait en entreprise. Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Pour quelques euros par mois, n’importe quel utilisateur peut disposer d’un abonnement téléphonique et Internet avec un smartphone de dernière génération lui donnant accès à une multitude d’applications. N’oublions pas qu’un Iphone 6S est aujourd’hui plus puissant que l’ordinateur de la Nasa qui a permis de lancer le premier homme sur la Lune. Il est incompréhensible, pour un utilisateur lambda, de ne pas disposer dans son entreprise des mêmes services qu’il utilise à la maison ou pendant ses loisirs. Nous avons changé de paradigme : les usages ne viennent plus de l’entreprise mais des usagers eux-mêmes.

Du Citizen au Netizen

Evoluant au sein du parcours de vie, le citoyen-usager-patient a fortement changé depuis une décennie. Si la santé était jusqu’à présent pilotée par le médecin, ou parfois par le pharmacien, le citoyen-usager-patient, connecté, mieux informé, mobile, suit sa santé au quotidien et choisit les « fournisseurs de sa santé ». Internet, les réseaux sociaux ainsi que les applications mobiles permettent au citoyen-usager-patient de se responsabiliser et de participer à la construction et au suivi de sa propre santé, intégrant son bien-être, selon la définition de l’OMS1. Il souhaite être le capitaine de sa propre santé. De fait, le rapport de force s’équilibre via une relation mieux éclairée, au sein de laquelle le patient joue un rôle complémentaire à celui du médecin.

Think global, Act local

Les usages s’inscrivent dorénavant, non pas au sein de petits parcours étriqués, déconnectés de la réalité, sans aucune cohérence entre eux, mais bien au sein d’un parcours de vie liant domicile, ville sanitaire et médico-social et ce depuis la naissance jusqu’à la mort du citoyen-usager-patient. Il faut bien noter que ces usages concernent également les familles qui accompagnent le patient vers sa guérison, mais également les aidants dont le rôle essentiel ne peut être oublié ou négligé.

Dans une approche de cocréation au sein de Living Labs

C’est dans la forge des Living Labs2 que les différentes parties prenantes vont cocréer, sur la base des usages, et en utilisant des technologies industrielles matures les briques d’un système d’information de nouvelle génération, agile, interopérable et sécurisé, centré sur le patient et ses usages et non pas simplement axé sur le point de vue des utilisateurs des données produites, que sont les professionnels de santé. Il s’agit d’éviter le syndrome du DMP. Objet technique, conçu par des techniciens, sans véritables usages coconstruits, le DMP a montré les limites et les failles de ce mode de construction qu’il nous faut aujourd’hui bannir. Sans les usages, et sans coconstruction, il ne peut et il ne doit plus y avoir de production.

Passer de la photographie au cinéma

Alors que depuis des années maintenant toutes les écoles et universités enseignent qu’il faut partir des stocks de processus décrivant le comment, l’intégration des usages, et le pourquoi, notamment ceux des citoyens-usagers-patients, de leurs familles et aidants ne sont pas encore ou trop peu décrits et associés dans cette coconstruction. Or ces usages combinés à l’évolution de nouvelles technologies et des bonnes pratiques sont en constante évolution. Passer d’une posture statique à une construction dynamique en confrontant les processus, les technologies, les usages et les bonnes pratiques au sein d’une forge de type Living Lab est la seule façon de concilier tous les acteurs dans une coconstruction réussie porteuse d’avenir.

1. Définition OMS : La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

 

2. Laboratoire vivant.

Série sous la direction de Jean-Pierre Blum.
Jean-François Goglin, conseiller national systèmes d’information santé, Fehap.

Source : lequotidiendumedecin.fr