Robots chirurgicaux, la forteresse Da Vinci assiégée ?

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Publié le 29/04/2021
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Crédit photo : S. Toubon

Mercredi 3 février 2021, hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, le docteur Thomas Blanc, chirurgien pédiatre, opère une fillette de 2 ans et demi d’un syndrome de la jonction pyélo-urétérale droit par rétropéritonéoscopie robot assistée. L’intervention est réalisée en chirurgie ambulatoire. L’enfant a un obstacle entre le bassinet et l’uretère qui entraîne une dilatation des cavités du rein et des infections urinaires fébriles qui peuvent détériorer à terme la fonction rénale. Le robot Da Vinci développé dans les années quatre-vingt-dix et commercialisé dans les années 2000 par la société américaine Intuitive et utilisé dans le monde entier, est implanté à Necker.

L’AP-HP, le plus grand programme de chirurgie robotique européen
Commentaire du docteur Thomas Blanc : « Nous menons à l’hôpital Necker-Enfants malades le plus important programme de chirurgie robotique pédiatrique multidisciplinaire en Europe. Depuis octobre 2016, 375 enfants ont été opérés avec une grande hétérogénéité d’indications (urologie, chirurgie thoracique, chirurgie digestive, oncologie, ORL, chirurgie trans-orale). Quatre-vingt-onze opérations différentes ont été réalisées. » Comparé à un autre site de l’AP-HP qui comporte un robot, celui de La Pitié Salpêtrière réalise 400 opérations par an, avec 5 types d’opérations très fréquemment réalisées (néphrectomie totale et partielle, prostatectomie, cystectomie, chirurgie de l’incontinence). Il est le copilote du G10 avec le Pr Morgan Rouprêt, urologue à AP-HP Sorbonne université sur le site de la Pitié-Salpêtrière. Il s’agit d’un groupe de travail qui réunit les chirurgiens responsables du programme de chirurgie robotique des dix sites utilisateurs de robots à l’AP-HP. Issue d’une collaboration entre plusieurs spécialités, une étude vient d’être publiée sur l’impact de la Covid sur l’activité robotique. Actuellement, un projet de recherche porte sur l’évaluation de la mortalité périopératoire en chirurgie robotique chez les adultes et les enfants dans toutes les spécialités traitées par la robotique.

Confort du chirurgien

Quels sont les avantages du robot Da Vinci ? Est-il amené à remplacer la laparoscopie ? D’abord, il apporte un confort indéniable au chirurgien. Selon Brice Gayet, un chirurgien laparoscopiste expérimenté, la principale qualité du robot est que sa caméra ne bouge pas : « Beaucoup de chirurgiens qui pratiquent la cœlioscopie n’utilisent pas la 3D à cause de ce mouvement de la caméra qui leur donne mal au cœur. Sans compter les tremblements du pauvre interne qui la tient à bout de bras. » Thomas Blanc va dans le même sens. Hyperergonomique (le chirurgien est assis confortablement pour opérer une fois que les trocarts ont été installés) et hyperprécis, « avec le degré de liberté du robot, il est possible de suturer avec un fil qui a la taille d’un cheveu, mais qu’on voit tout à fait normalement grâce à la qualité de la vision du robot ». Le succès du robot a d’abord eu lieu en urologie pour les opérations du cancer de la prostate. Alors que dans le domaine de la chirurgie digestive des opérations simples étaient effectuées par laparoscopie, cela n’était pas le cas pour les urologues dont une partie d’entre eux ne parvenaient pas à opérer par cette voie d’abord chirurgicale, dans des zones anatomiques difficiles d’accès. « Ce fut un énorme succès, complète Brice Gayet. Il y a eu un bénéfice important pour le malade. » Si la chirurgie mini-invasive permet au patient de se rétablir plus vite que pour la chirurgie invasive pratiquée dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, le robot représente-t-il un facilitateur et un progrès ? Le patient n’est plus ouvert, mais sa zone opérée est gonflée pour y rentrer des instruments assez longs via des trocarts. Selon Florian Gosselin, responsable scientifique au CEA-List, institut du CEA spécialiste des systèmes numériques intelligents, « lorsque l’on opère manuellement en laparoscopie, les mouvements dans le corps deviennent alors difficiles. Avec un robot téléopéré disposant d’axes de rotation à l’extrémité des outils intra-corporels, il est possible de tourner dans tous les sens une fois la zone opérable atteinte, par exemple pour réaliser des points de suture. Le chirurgien peut véritablement se projeter alors dans le corps du patient, le robot lui donnant accès, grâce à ses dimensions localement plus réduites, à ce qu’il ne peut pas faire physiquement. Par contre, le Da Vinci ne fait pas de gestes automatiques. Il reste en permanence contrôlé par le chirurgien. »

Da Vinci, des prix très élevés

Cette différence fait partie des défauts de Da Vinci soulignés par ses détracteurs. Ce n’est pas le seul. Longtemps son prix extrêmement élevé a été souligné même par ses plus fidèles partisans. Pour acquérir ses 13 robots, l’AP-HP a dû s’engager sur un contrat de 52 millions d’euros. « Ce sont surtout les consommables utilisés pour opérer ayant une obsolescence programmée, qui font monter le prix de la facture. Dans ce cas, l’hôpital rentre en discussion avec le fabricant pour négocier leur prix en fonction du  volume de patients opérés », commente Morgan Rouprêt. Le surcoût est évalué par Brice Gayet à 2 000 euros par opération de la prostate, rien que pour ces outils. Alors  que le Dr Thomas Blanc insiste sur le renforcement de la collaboration avec l’équipe opératoire, et notamment le rôle essentiel de l’Ibode qui est « le prolongement des mains du chirurgien à la console du robot », cette réorganisation apparaît pour Marie-Aude Vitrani, chercheuse à l’Isir, comme « une perturbation de la communication au sein de l’équipe opératoire et une mise à distance entre le chirurgien qui opère sur sa console et ses assistants positionnés autour du patient, loin du chef d’orchestre ». Ce dernier leur donne des instructions. Les multiples écrans dans le bloc permettent d’assister à l’opération en temps réel, avec un enregistrement des images. Pensé initialement par l’armée américaine pour opérer des soldats blessés à distance sur les champs de bataille, le Da Vinci garde donc sa matrice au détriment de son concurrent de l’époque du début des années 2000, Zeus, qu’il a fini par racheter. Comment expliquer la situation de monopole d’Intuitive Surgical ? Selon Florian Gosselin, « les deux sociétés avaient déposé des brevets qui empêchaient des concurrents d’émerger, d’autant plus après leur fusion. L’arrivée récente à expiration de brevets clés a permis de déverrouiller ledit marché, ce qui laisse espérer une possibilité de faire baisser les prix », même si la situation monopolistique de Da Vinci est encore très prégnante.

Chirurgien augmenté

De nombreuses start-up émergent sur différents pans du marché de la chirurgie. La comanipulation développée par l’Isir avec la société Moon fondée par Brice Gayet permet d’apporter un retour haptique au chirurgien, ce que ne permet pas le Da Vinci. Pour ce dernier, le chirurgien a intérêt à avoir déjà opéré en réel des patients, car il ne ressent pas les organes qu’il touche. Au contraire, le robot de cette start-up pas encore sur le marché permet au contraire de « filtrer les tremblements du praticien, de maintenir une position, d’empêcher le chirurgien d’aller dans des endroits dangereux pour les patients », explique Marie-Aude Vitrani. Véritable chirurgien augmenté, le praticien sera en mesure d’inscrire son profil dans une application de téléphone et sera averti en cas de geste erroné ou raté par le robot, qui réalisera une analyse d’images et de gestes. L’Isir a développé un partenariat avec SpineGuard qui a un parcours bien différent. Cette start-up a été associée au projet Faros qui a débuté le 1er janvier 2021 pour trois ans et a reçu le financement d’Horizon 2020, le plus important programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne, avec près de 80 milliards d’euros de financement sur une durée de sept ans. SpineGuard a validé cliniquement et commercialement la technologie de capteurs électromagnétiques DSG (Dynamic Surgical Guidance : guidage chirurgical en temps réel) rattachés aux dispositifs Pedi-
Guard dans la chirurgie de la colonne vertébrale par plus de 80 000 interventions.
« Un signal sonore et une petite lampe clignotante informent le chirurgien de la nature  du tissu à la pointe de l’outil et lui permettent d’éviter de sortir de l’os », explique Stéphane Bette, ingénieur cofondateur de SpineGuard. Selon Pierre Jérôme, l’autre cofondateur et PDG de SpineGuard, la solution récemment homologuée en Europe et  aux Etats-Unis, DSG Connect, est « un émetteur de type bluetooth qui donne la possibilité au chirurgien de visualiser le signal émis par le PediGuard en temps réel sur l’écran d’une tablette et d’enregistrer des données comme preuve médico-légale et la réalisation d’études cliniques sur la qualité osseuse ». La vision de SpineGuard, convergente avec les objectifs du projet Faros, est d’augmenter la sécurité et le niveau d’autonomie des robots de chirurgie orthopédique en leur fournissant l’information DSG prise en temps réel directement à la pointe de l’outil, sans utilisation de rayon X.

Numérisation des gestes du chirurgien

La numérisation de tous les gestes du chirurgien via des capteurs est l’objectif principal de la société eCential Robotics présidée par Stéphane Lavallée, entrepreneur et un des pionniers de la chirurgie robotique. Cette plateforme est déjà commercialisée sur le rachis avec 8 systèmes vendus en France et en Europe. Ce robot d’imagerie intervenant pour le moment sur la chirurgie osseuse du rachis réalise des images 3D sous rayon X en temps réel. Plus tard, il s’agira de couvrir l’ensemble des indications de la chirurgie osseuse. En tant que solution ouverte, la plateforme permet aussi d’être utilisée avec les implants de n’importe quel fabricant et répond ainsi aux préférences des chirurgiens. Au moment de réaliser l’image désirée, le personnel peut se protéger des rayons. La problématique principale du chirurgien est d’opérer au bon endroit tandis que le patient qui respire peut bouger, avec le risque d’erreurs pour poser l’implant. Le recalage se fait grâce à des algorithmes. Selon Stéphane Lavallée, « l’imagerie, la navigation, les calculs, la planification... l’ensemble des fonctionnalités se retrouve dans des apps ». La start-up vient de réaliser une levée de fonds de 100 millions d’euros. Son objectif est de devenir une licorne.

Le 8 décembre 2020, Robocath, société qui développe et commercialise des solutions  robotiques innovantes pour le traitement des maladies cardiovasculaires, réalise une opération à distance, entre le Medical Training Center de Rouen et le CHU de Caen. Cette start-up a été fondée en 2009 par Philippe Bencteux, radiologue de formation et
a deux objectifs : empêcher des séquelles graves suite à un AVC et des décès, mais aussi protéger les médecins interventionnels des rayons X. Leur utilisation est indispensable pour observer la progression des cathéters au travers du système vasculaire. L’intérêt du robot qui a obtenu son marquage CE en février 2019 : la manipulation des cathéters est beaucoup plus précise et sécurisée. « Quand vous retirez un instrument, l’autre outil ne bouge pas d’un millimètre », commente Philippe Bencteux. Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité avec en tête l’infarctus du myocarde suivi de l’AVC. Autre traitement possible via ce robot, « par voie endovasculaire, il sera possible de réaliser des chimiothérapies in situ pour les tumeurs en plaçant votre cathéter à l’entrée de l’artère pour mettre d’emblée de grosses doses sur la tumeur », raconte Philippe Bencteux.

Dans un marché en forte recomposition, cette concurrence qui se développe donc fortement notamment en orthopédie (mais pas que) contraint les gros acteurs à se positionner. Comme pour l’industrie pharma, cela passe par des rachats de sociétés innovantes. Medtronic, n° 1 mondial américain des implants médicaux, a acquis Mazor Robotics en 2017. En 2019 sort la dernière génération de son robot, le Mazor X, dédié à la chirurgie du rachis. L’objectif de Medtronic est d’apporter plusieurs briques technologiques avec un des services à la demande en fonction du projet médical de l’hôpital. Selon Vincent Payet à la tête d’Integrated Health Solutions (IHS), Medtronic, les services et solutions intégrées pour les établissements de santé électroniques depuis le rachat de Mazor Robotics, « la future plateforme sera très modulaire, très mobile. Elle permettra de réaliser plusieurs opérations par jour avec l’intégration de plusieurs systèmes : une console ouverte pour connecter le chirurgien aux patients et à son équipe opératoire, des systèmes d’analyse des données, des plateformes digitales patients (GetReady™ développé avec la start-up française Maela) et des programmes pour répondre aux enjeux de l’ambulatoire comme la RAAC ». Le rachat d’une autre technologie, le boîtier Touch Surgery ™ Enterprise, viendra compléter l’offre avec l’apport d’intelligence artificielle et de stockage des vidéos d’opérations chirurgicales.

Au-delà du marché en accélération, comment se positionnent les futurs utilisateurs de cette technologie, à savoir les étudiants en chirurgie et les jeunes chirurgiens ? Intuitive Surgical insiste sur la formation, en particulier envers les chirurgiens en apprentissage.
La double console du robot permet au jeune chirurgien de faire des gestes simples puis plus complexes avec son pair aîné. La simulation est un autre outil pour l’apprenant. Pour Da Vinci, étant donné l’absence de retour de force, il faut absolument un socle de formation chirurgicale. Outre le fait que les chirurgiens français se sont approprié le robot, la technologie ne fait que s’améliorer. Est attendue pour 2022 ou 2023 la version Single Port déjà labellisée aux États-Unis avec un seul bras et des instruments à déployer à partir d’un trocart unique.


Source : lequotidiendumedecin.fr