Cette sombre histoire aurait presque pu passer inaperçue si, à la mi-avril, le procès du Dr Marc Adida n’avait pas été reporté d’une année. La direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), où ce psychiatre a exercé pendant dix-huit ans, a en effet découvert, au printemps dernier, avec la publication d’une enquête dans La Provence, la gravité des faits reprochés au Dr Adida, incarcéré depuis octobre 2020.
Ce praticien hospitalier, âgé de 51 ans, est accusé de viols et d’agressions sexuelles aggravés sur au moins quatre de ses patientes, en consultation, dans son bureau de l’hôpital Sainte-Marguerite. Toutes souffrent de troubles psychiatriques plus ou moins graves (bipolarité, schizophrénie, dépression).
Au cours de l’enquête judiciaire, la responsabilité de l’AP-HM n’a pas été interrogée. Pourtant, au fil des dix dernières années pendant lesquelles il a exercé, le Dr Adida a fait l’objet de pas moins de sept signalements au conseil départemental de l’Ordre des médecins – ce dernier s’est constitué partie civile dès l’instruction du dossier. Et ce, dès février 2010, concernant des propos déplacés en consultation avec une patiente de 17 ans. À cette longue liste, s’ajoutent deux signalements de l’AP-HM au procureur de la République, au nom de l’article 40 du Code de procédure pénale, dont le premier remonte à début 2016, à la suite d’une plainte pour viol d’une patiente. Après avoir retiré ses accusations, cette dernière déposera à nouveau plainte avec constitution de partie civile trois ans plus tard. Elle figure aujourd’hui parmi les quatre victimes. À la suite de ce signalement, le Dr Adida avait été suspendu pendant près de deux ans avant d’être réintégré en 2017 et autorisé à recevoir des patients à partir de 2018.
« Dangereux » selon certains de ses confrères
Le signalement qui va aboutir à l’ouverture d’une information judiciaire puis à l’incarcération du psychiatre date, lui, de mai 2020. L’une des quatre victimes, alors âgée de 19 ans, se connecte au portail de signalement des violences sexuelles et sexistes et déclare au policier : « J’ai été victime d’un viol par un psychiatre. Dois-je m’adresser à vous ou il y a une procédure particulière pour les docteurs ? » Elle ne sait pas, à ce moment, que le service de la sûreté départementale des Bouches-du-Rhône a été saisi, deux mois plus tôt, d’une plainte d’une autre patiente, de 25 ans, pour des faits d’agression sexuelle par le même psychiatre.
Plus d’une quinzaine de professionnels de santé et cadres de l’AP-HM ont été entendus par les enquêteurs. Parmi eux, son ex-femme, également psychiatre à l’hôpital Sainte-Marguerite, et son ancien chef de service, toujours en fonction et qui a travaillé douze ans avec lui. En 2013, ce professeur l’a fait hospitaliser sous contrainte pendant plusieurs mois, à Toulon, après avoir été contacté par l’épouse du Dr Adida, victime d’une tentative d’étranglement par son mari. Certains de ses confrères le décrivent comme dangereux, souffrant de problèmes psychiatriques, et mentionnent des mails agressifs et menaçants. En 2015, le Dr Adida fait l’objet d’un nouveau signalement du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens à l’Ordre des médecins concernant des prescriptions abusives de Ritaline. Les expertises psychiatriques réalisées au cours de l’information judiciaire attesteront, plus tard, que le Dr Adida souffre d’un trouble de la bipolarité, un diagnostic que le psychiatre a toujours refusé.
Le Dr Marc Adida avait été suspendu près de deux ans avant d’être réintégré en 2017
Éviter le sentiment d’omerta
En octobre 2024, le directeur général de l’AP-HM, François Crémieux, affirme au magazine Le Point : « Les dysfonctionnements ont été nombreux, c’est une évidence ». Le mois dernier, l’AP-HM s’est constituée partie civile dans cette affaire. « Pour nous, il était important d’avoir accès au dossier judiciaire afin d’essayer de comprendre ce qui a pu se passer et reconstruire des conditions de travail et de prise en charge des patients qui soient apaisées et éviter que de telles situations puissent se reproduire, explique au Quotidien Marie-Anne Ruder, directrice générale adjointe de l’AP-HM. Aujourd’hui, on prend nos responsabilités en prenant acte de ce qui s’est passé et en faisant en sorte que les professionnels puissent s’exprimer sur ce sujet à travers un dispositif d’écoute et ne gardent pas un sentiment d’omerta. »
Ce dispositif d’écoute, opérationnel depuis le 10 octobre, a été confié à un cabinet spécialisé extérieur avec pour objectif d’aboutir à des préconisations fin décembre. En outre, l’AP-HM a rappelé à ses équipes l’existence des systèmes d’alerte en cas de dysfonctionnements ou de violences sexistes et sexuelles, « que l’on soit victime ou témoin », précise la directrice générale adjointe, insistant sur la sensibilisation et la formation des professionnels. Le Dr Adida, en détention provisoire depuis près de quatre ans, réfute en totalité les faits dont il est accusé. Ses demandes de mise en liberté ont été rejetées. Son procès doit s’ouvrir au printemps 2025. Il encourt une peine de vingt ans de réclusion criminelle.
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