Après six ans de recherche, un généraliste sans successeur se résout à prendre sa retraite

Par
Publié le 17/03/2021

Crédit photo : GARO/PHANIE

Après avoir plusieurs fois repoussé son départ à la retraite, le Dr Patrick Laine rangera définitivement son stéthoscope, le 31 mars 2021. Malgré ses multiples tentatives depuis six ans, le médecin généraliste de 71 ans installé à Saulnot, dans la Haute-Saône, a dû se résoudre à prendre sa retraite sans avoir trouvé de successeur. Le médecin aura pourtant tout tenté : des appels à l’aide auprès de l’Ordre des médecins et de l’ARS, le recours à une agence de recrutement, les annonces avantageuses sur Leboncoin, de multiples articles de presse et même un documentaire télé. Rien n’y a fait.

Avec sa femme, le médecin a pris une dernière décision symbolique forte. Afin de l’aider à retrouver un médecin, il a donné à la commune son cabinet dans lequel il exerce depuis 1983. Seule condition : l’immeuble doit rester une entité de santé et non un logement. Ce legs estimé à 400 000 euros — soit 400 mètres carrés comprenant deux appartements (un T3 et un T4) et deux cabinets médicaux équipés — sera peut-être l’occasion d’attirer de jeunes médecins, dont la patientèle est garantie.

Cent patients par semaine

Joint par Le Généraliste, le praticien hyperactif a accepté de raconter ses derniers jours. « Samedi, j’ai vacciné de neuf heures à midi. Je fais 800 kilomètres, je vois 100 patients par semaine… Je commence les visites à huit heures et je finis à 19 heures tous les soirs. » Un vrai médecin de campagne joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Quand on lui demande, innocemment, comment il se sent, à deux semaines de la retraite, le médecin répond sans ambages. « Je suis déçu, car ma lutte contre le désert médical dans ma commune n’a pas pu aboutir, je suis aussi fatigué mentalement et physiquement, car j’ai 71 ans et j’ai eu le Covid-19 cet hiver. » Le médecin confie avoir toujours autant de mal à dire non à ses patients et se pose beaucoup de questions sur l’avenir de la médecine. « Je suis inquiet car certains de mes patients ont besoin d’espoir et d’accompagnement mais aussi heureux d’avoir été médecin de famille. Maintenant, il est temps de profiter de mon épouse et de ma vie de couple. »

Le droit égalitaire à la santé

Le médecin de famille, qui avait lancé une pétition en ligne pour que les jeunes médecins généralistes effectuent leur première année professionnelle en territoire sous-médicalisé, n’en a cependant pas fini dans son combat contre la désertification médicale un « fléau national ».

« Les jeunes médecins veulent des structures dans le village, un environnement professionnel. Mon constat, explique-t-il entre deux visites, c’est que le secteur libéral n’est plus prisé. Ils veulent être salariés, avec les avantages : protection sociale, accompagnement personnalisé par les collectivités locales etc. Ils ne peuvent pas uniquement parler de liberté d’installation quand il y a une telle inégalité de répartition… la profession médicale s’appuie sur la solidarité nationale avant tout. »

Il confie au Généraliste son attachement à l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946 — le droit à la protection de la santé — et plaide pour des mesures rapides. S’il dit être raillé sur les plateaux de télévision, ou dans les commentaires des articles publiés à son sujet, peu lui importe : « les chiens aboient, la caravane passe », lâche-t-il, sachant pourquoi il se bat depuis presque quarante ans.

Un documentaire lui avait été consacré « Derniers jours d’un médecin de campagne » (Olivier Ducray, France Télévisions/ Hanna Films, 2018), saluant son engagement dans cette zone semi-rurale et sensible où il est aimé de sa patientèle ; et où tous, de son propre aveu, sont devenus des amis.

Si les journées sont longues pour Patrick Laine, la valse aux adieux n'est que temporaire. « Les visites traînent un peu car ce sont les dernières ; mais avec mon vélo électrique, je passerai les revoir pour boire des coups. » Son nouveau défi ? Se battre au côté de différents élus et juristes pour lutter contre les déserts médicaux. Encore et toujours.


Source : lequotidiendumedecin.fr