Prise en charge du grand âge

Arrêter les soins pour les plus de 85 ans ? Les Belges osent la question

Publié le 01/04/2019
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Existe-t-il un âge limite, au-delà duquel l'individu devrait accepter, pour le bien de la société, de décliner et mourir sans secours ? Sommes-nous collectivement prêts à l'assumer ? Voici, en substance, l'inflammable débat né en Belgique, après la publication d'une étude consultative sur le sujet.

À l'origine de cette controverse, il y a la réflexion menée par le royaume voisin, les Pays-Bas, réputés très libéraux et pragmatiques sur les questions de société. En février, en effet, la proposition d'une députée du parti vert y a fait grand bruit. L'élue suggérait une limitation de l'accès aux soins pour les plus de 70 ans, arguant que les plus de 65 ans (un cinquième de la population) comptent pour 50 % des dépenses de santé aux Pays-Bas. Son projet : autoriser les gériatres hospitaliers à refuser une opération ou le prolongement d'un traitement sur le seul critère de l'âge.

37 % des Belges pour limiter l'accès au soin

Un débat que le quotidien Le Soir a décidé d'importer en Belgique, en ressuscitant une étude menée en 2013 par l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI). Les résultats, republiés le 19 mars, ont fait le tour des médias nationaux, jusqu'à provoquer l'embarras des autorités. Car les conclusions sont surprenantes. On y découvre que 37 % des Belges interrogés sur les sources d'économies les plus pertinentes pour pérenniser le système de santé, approuvent « l'arrêt des traitements coûteux qui prolongent la vie des plus de 85 ans ». À la question de l'implantation d'un appareil cardiaque de pointe pour un coût de 50 000 €, 41 % des sondés estiment qu'il faut exclure les plus de 85 ans d'une telle possibilité. De même pour un soin vital du même coût : ils sont 28 % à estimer que les plus âgés ne devraient pas y avoir droit…

« Déjà à l'époque, ces conclusions nous avaient surpris, se souvient Mark Elchardus, le sociologue en charge de l'étude polémique. Je pense que les résultats seraient les mêmes aujourd'hui ». Le chercheur y voit deux explications. D'abord, un certain « âgisme », dénotant une forme de stigmatisation et une peur de la vieillesse. Mais aussi un réflexe de défense. « Le système étant sous pression, les citoyens craignent tous de voir la rationalisation des coûts limiter leurs propres droits aux soins. Chacun cherche donc à reporter ce risque sur les autres, en l'occurrence, ici, sur la population des très âgés ». Un phénomène qui témoigne à ses yeux d'« un recul assez préoccupant de l'idée de solidarité ».

Contraire à la loi

De fait, la thématique met mal à l'aise les autorités. L'INAMI, pourtant commanditaire de l'étude, s'est empressé de démentir. « Je dois vous confirmer qu'il n'y a actuellement aucune discussion basée sur ces conclusions, répond sa chargée de communication. L'âge ne peut pas être légalement un critère éliminatoire ou discriminatoire. La loi du 10 mai 2007, qui lutte contre les discriminations, s'applique aussi aux soins de santé. L'INAMI ne peut pas, ne veut pas et ne réglementera pas à l'encontre de cette loi ! ».

Reste que les gériatres, moins offusqués, voient là l'occasion d'une réflexion de fond. Dans Le Soir, plusieurs indiquent qu'il s'agit d'une réalité sur le terrain. « Cette sélection selon l'âge existe déjà dans les critères de l'INAMI, explique ainsi la chef de service gériatrie d'Erasme, un grand hôpital bruxellois, citant l'exemple des valves cardiaques TAVI. Leur pose doit être évaluée plus strictement après 75 ans. Pourquoi ? Parce qu'elles coûtent cher (environ 20 000 € l'acte, ndlr) ».

Les médecins opposés à l'introduction d'un « âge seuil »

Pour autant, les médecins demeurent prudents. Prodigue-t-on trop de soins aux plus âgés ? « Je pense le contraire, on n'en fait pas assez ! », nous répond Pascale Cornette, gériatre, chef de service à l'hôpital St Luc (Bruxelles). À ses yeux, si certaines interventions lourdes doivent certes être questionnées, « les soins de conforts doivent, eux, être renforcés ».

« Qu'on pose la question ne me choque pas. Le coût ne peut pas et ne doit pas être le critère premier, bien sûr, mais le fait qu'ils apparaissent dans la réflexion est légitime », souligne-t-elle. À ses yeux, « les citoyens devraient être bien mieux informés du coût réel des soins, non pas pour stigmatiser les plus âgés, mais pour mesurer la valeur de notre système de santé ».

En revanche, l'idée d'un âge limite passe mal, dans la profession. « Fixer un âge seuil est choquant. À 85 ans, les réalités des patients sont très diverses. On ne peut pas décemment établir de protocole strict sur ce plan-là, juge Pascale Cornette. Et de conclure, la fin de vie doit être du sur-mesure ».

De notre correspondant à Bruxelles, Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin: 9737