Catherine Vautrin : « Cette négociation conventionnelle, c’est un nouveau départ »

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Publié le 12/02/2024
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Crédit photo : JEANNE ACCORSINI / PHANIE

Transformation de la médecine libérale, déserts médicaux, gardes obligatoires, « lapins »… La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités détaille au Quotidien sa feuille de route. À propos des négociations conventionnelles en cours, elle confirme que « des progrès importants » sont attendus par le gouvernement « pour faire évoluer les modalités de rémunérations vers davantage de capitation et de forfaits ». De son ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention Frédéric Valletoux, chahuté dès son arrivée par les libéraux, elle salue les « capacités à s’engager ». Entretien.

LE QUOTIDIEN : Les négociations conventionnelles avec les médecins libéraux sont entrées dans le vif du sujet la semaine dernière. La Cnam a mis sur la table le G à 30 euros. Comment analysez-vous cette première séquence ?

CATHERINE VAUTRIN : Je voudrais rappeler l’importance que nous accordons aux médecins traitants, qui sont les médecins du quotidien, mais je n’oublie pas les médecins spécialistes. Je pense notamment aux pédiatres et aux psychiatres. C’est très important de parler de toutes les spécialités.

Cette négociation est une bonne occasion de rediscuter l’ensemble des éléments qui constituent la médecine libérale, la dernière convention datant de Marisol Touraine [alors ministre de la Santé en 2016, NDLR]. C’est un nouveau départ. J’ai toute confiance en Thomas Fatôme, le directeur général de la Cnam, pour mener à bien ces discussions.

J’ai rencontré les syndicats dès mon arrivée au ministère. C’était important pour moi de les entendre mais maintenant, je les laisse travailler.

Les médecins ne sont pas pleinement satisfaits, notamment sur la date inconnue d’entrée en vigueur de cette revalorisation. Pouvez-vous nous préciser le calendrier ?

Dans la responsabilité qui est la mienne, il existe une notion très importante qui est celle du dialogue social. J’ai beaucoup trop de respect pour le travail de tous pour imposer mon propre calendrier. Les partenaires conventionnels doivent avoir le temps de discuter entre eux. Et puis, nous n’en sommes qu’au tout début. C’est aux partenaires conventionnels de débattre pour avancer. À leur rythme, pas au mien.

A-t-on une idée de l’enveloppe globale accordée à la médecine libérale ?

À ce stade, je ne peux pas encore répondre à cette question. Cette convention ne doit pas uniquement aborder la question de l’enveloppe pour la revalorisation du tarif de la consultation, laquelle représente un effort. Le gouvernement sera simplement attentif à ce que l’équilibre de cet accord garantisse aussi un meilleur accès aux soins pour les Français : c’est la lutte contre les déserts médicaux, le fonctionnement de la permanence des soins en première partie de nuit et des progrès importants pour faire évoluer les modalités de rémunérations vers davantage de capitation et de rémunérations forfaitaires. Les Français l’attendent.

« Cauchemar », « Déclaration de guerre »… Votre ministre délégué Frédéric Valletoux a été accueilli avec des mots forts par les syndicats de médecins libéraux. Avez-vous été surprise ?

J’apporte une grande importance au respect. Derrière les mots, il y a un homme, qui a montré ses capacités à s’engager, en particulier pour sa ville [Fontainebleau, dont Frédéric Valletoux fut maire, NDLR] et pour l'hôpital public. Ce n’est pas parce qu’il a été président de la Fédération hospitalière de France (FHF) qu’il n’est pas en capacité de regarder le monde de la médecine dans toute sa complémentarité, dans les établissements de santé comme en ville. Je suis ravie de travailler avec Frédéric Valletoux et je le remercie de l’implication qui est déjà la sienne.

Catherine Vautrin à la maison de santé de Meung-sur-Loire
Catherine Vautrin à la maison de santé de Meung-sur-Loire - Jeanne Accorsini / Phanie
 

Les besoins de santé des patients ne sont plus les mêmes qu’il y a 20 ans. Comment l’État peut accompagner la transformation de la médecine libérale ?

La médecine libérale évolue surtout par la volonté des médecins. L’exercice solitaire médical va devenir de plus en plus rare, c’est un fait. À nous d’en tirer les conséquences et d’accompagner le développement de l’exercice coordonné.

Je suis une élue de terrain et, à plusieurs reprises, j’ai été frappée par les mutations profondes que vit la médecine libérale. J’ai présidé une communauté urbaine de 143 communes, dont 111 de moins de 1000 habitants. Je le sais : un généraliste par village, c’est terminé. Les médecins travaillent à deux dans un même cabinet et n’habitent pas la commune. C’est la réalité de nos territoires, et cela nécessite une organisation différente qui n’est pas une demande de l’État, mais bien des professionnels, qui font désormais des choix de vie différents de leurs aînés, ce que je respecte.

Mais l’État peut aider les médecins à s’organiser en prenant des décisions d’ordre réglementaire. La médecine libérale évolue, dites-vous. Prenons le statut libéral. Faut-il le repenser, créer un statut unique, développer davantage le statut mixte ville-hôpital ?

Avant de me lancer dans de nouveaux chantiers, je veux faire deux choses simples. La première : sortir tout ce que je peux sortir de décrets et autres textes d’application en jachère. En arrivant au ministère, une de mes premières actions a été de signer des mesures pour sécuriser l’exercice des Padhue. On en parlait depuis très longtemps. Appliquons déjà ce qui a été décidé.

La seconde : regarder la complémentarité entre public et privé, entre hôpital et ville. Le service d’accès aux soins (SAS) en cours de déploiement démontre que les deux mondes peuvent collaborer et que cela fonctionne !

En parlant des SAS, le Premier ministre Gabriel Attal s’est dit « prêt à restaurer l’obligation des gardes pour les médecins libéraux en soirée et en week-end » si la profession n’est pas capable de s’organiser. Allez-vous revenir sur le volontariat pour les gardes en ville ?

Tout d’abord, nous allons ouvrir un SAS par département dès cet été. C’est ma première mission. Il en existe 65. Frédéric Valletoux et moi allons nous concentrer sur les zones blanches, regarder où sont les blocages et faire en sorte de les lever.

Ensuite, et uniquement si cela bloque sur le terrain, nous envisagerons la seconde option évoquée par le Premier ministre. La loi Valletoux promulguée entre Noël et le jour de l’an a révisé le cadre de la permanence des soins. La loi dit qu’en cas de carence dans la réponse des professionnels de santé à organiser la permanence des soins dans les bassins de vie, l’État avec les agences régionales de santé pourra imposer d’autres mesures.

Qu’on soit médecin ou ministre, nous devons tous répondre aux besoins en santé des Français

 

Était-ce raisonnable de parler du retour des gardes obligatoires en pleines négociations conventionnelles ? Ne craignez-vous pas de braquer d’entrée de jeu la médecine libérale ?

On n’est pas là pour se braquer. Qu’on soit médecin ou ministre, nous devons tous répondre aux besoins en santé des Français. Nous avons tous la même obligation. La seule différence, c’est que moi, je ne suis pas diplômée de médecine, mais mon rôle est de trouver les voies et les moyens pour apporter des solutions à nos concitoyens en termes d’accès aux soins en bonne concertation avec les médecins.

Le Premier ministre a également rouvert la chasse aux « lapins » médicaux. Comment faire ?

On perd deux heures par semaine et par médecin de consultations non honorées. Les syndicats identifient plutôt des populations assez jeunes sans médecin traitant qui réservent quatre ou cinq créneaux en même temps sur une plateforme de prise de rendez-vous, honorent celui qu’ils obtiennent le plus rapidement et ne décommandent pas les autres. Cela représente une estimation de 27 millions de rendez-vous par an. Quel gâchis ! Il faut que cela cesse ! Comment faire prendre conscience aux Français que ce temps perdu a de la valeur ? Nous réfléchissons à un système qui réclamerait aux patients de confirmer ou infirmer sur les plateformes leur rendez-vous la veille. Peut-être que cela permettrait de supprimer une bonne partie de ces “lapins”. C’est une idée que l’on m’a suggérée, je ne la trouve pas idiote. Une chose est sûre : attention à l’usine à gaz, attention à ne pas imposer du temps de travail en plus aux médecins ! Ce serait contre-productif.

Et aux médecins qui voudraient bien récupérer cet argent, que dites-vous ?

Là-dessus, j’ai tout entendu ! Des médecins m’ont même suggéré d’utiliser cet argent à des fins caritatives. Le corps médical est créatif ! Je n’ai pas de réponse toute faite pour l’instant. Nous allons en priorité faire gagner du temps aux médecins et aux patients avec ce système car il y en a assez de ce gaspillage. Ensuite, nous parlerons répartition.

D’une manière générale, nous utiliserons tous les moyens pour faire gagner du temps médical.

Un patient responsable, c’est un patient qui ne gaspille pas

 

Vous voulez éviter la gabegie mais comment faire des économies sans mettre à mal l’accès aux soins ?

Il y a un an, on disait aux Français d’éteindre la lumière car il existait un risque de coupure d’électricité. Dans le même esprit, je pense que nos compatriotes ne peuvent pas être uniquement des consommateurs de santé. La question de la responsabilité prime. Et un patient responsable, c’est un patient qui ne gaspille pas.

On dénombre aujourd’hui 41 milliards d’euros de prescriptions faites par les médecins généralistes chaque année. Je ne dis pas que les libéraux font du gaspillage. J’ai beaucoup de respect pour les médecins, je ne me permettrais pas de leur donner des ordres. Je me demande simplement comment être plus raisonnable. Je souhaite une prise de conscience de l’ensemble de nos concitoyens, dont certains réclament trop souvent à leur médecin une ordonnance, disons, rassurante.

Sur la question de l’accès aux médicaments, je ne suis certainement pas la première ministre de la Santé à vouloir m’attaquer au lien entre posologies moyennes et conditionnement des médicaments. Frédéric Valletoux et moi-même allons rencontrer les industriels pour agir. La pénurie de médicaments existe ; le gaspillage aussi. Il faut donc s’atteler à trouver des solutions.

En matière de délégation de tâches, souhaitez-vous aller le plus loin possible dans les transferts aux non-médecins (paramédicaux, pharmaciens) ? Trouvez-vous que la profession médicale est trop conservatrice sur ces sujets ?

Je me garderais bien des jugements de valeur mais je constate que les pratiques évoluent, que les médecins ne veulent plus travailler seuls. Dès lors, s’ils préfèrent exercer en groupe, cela ne procède-t-il pas d’un partage bien compris des tâches ? La loi a déjà donné aux pharmaciens l’autorisation de réaliser un test de diagnostic relatif aux cystites et aux angines et de délivrer le cas échéant l’antibiotique adapté. C’est une bonne chose car c’est autant de temps médical récupéré. Je vous le dis : je suis tout à fait prête à plancher davantage avec les professionnels de santé sur ce dossier dans le respect des compétences de chacun.

Propos recueillis par Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du Médecin