Élaborée au lendemain de la pandémie de Covid, la future Union européenne de la santé (UES) devra donner au continent les moyens de mieux faire face aux crises sanitaires et d’avancer sur des programmes communs concrets. Mais le défi s’annonce complexe.
Santé publique, gestion de crise, données, médicament : L’Europe de la Santé peut-elle se matérialiser lors de la prochaine mandature ? Pour la volontariste Commissaire européenne à la Santé, la Chypriote Stella Kyriakidès, il n’y a pas de doute : l’Union européenne de la santé (UES), forte de ses six piliers, fera ses preuves dans les prochaines années non seulement en renforçant les projets communs existants mais aussi en épaulant mieux les États membres dans des domaines où la coopération se révèle utile ou indispensable.
Covid, accélérateur de coopération
L’UE a commencé à tirer les leçons de la crise sanitaire. De fait, la gestion initiale de la pandémie avait été marquée par un tâtonnement de l’Europe et le repli vers des politiques nationales peu coordonnées. Ces carences ont conduit la Commission à réformer le fonctionnement de l’Agence du médicament et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, mais surtout à créer une nouvelle institution, l’Autorité européenne de prévention et de réponse en cas d’urgence sanitaire, Hera. Son objectif est de garantir la mise au point, la production et la distribution de médicaments, vaccins et contre-mesures médicales, tels que des gants et des masques.
Après l’achat conjoint de vaccins et de protections contre le Covid, la prochaine grande étape concerne la gestion de l’Alliance pour les médicaments essentiels, officialisée fin avril pour venir à bout des ruptures de stock touchant ces produits. D’ici à fin 2024, ce groupement, qui réunit plus de 200 organismes et industriels de la pharmacie, présentera ses propositions pour réorganiser les chaînes de distribution et réduire la dépendance européenne à l’égard des produits critiques importés d’Inde et de Chine.
De surcroît, les programmes transfrontaliers de sécurité sanitaire seront réorganisés et renforcés, en particulier au niveau des réseaux de surveillance des risques, d’alerte et de réaction rapide.
« Paquet » médicaments
Un autre pilier est constitué par la refonte du « paquet pharmaceutique », l’ensemble de directives et règlements relatifs aux médicaments, depuis leur conception jusqu’à leur mise sur le marché, leur commercialisation et leur suivi. L’Union prévoit une meilleure évaluation des bénéfices des nouveaux produits. Elle souhaite raccourcir la durée de la protection intellectuelle des médicaments peu innovants, et rallonger d’un an celle des molécules les plus novatrices, ou répondant à des besoins non couverts, notamment pour les maladies rares. De même, des incitations seront mises en place pour la production de médicaments dans l’UE, ainsi que pour ceux dont les essais cliniques sont réalisés en Europe.
Le « paquet » prévoit aussi une réforme des notices des produits, qui pourraient devenir exclusivement numériques. La Commission espérait que ces dossiers seraient achevés avant les élections, mais ils restent polémiques et occuperont encore les institutions au moins jusqu’à la fin de l’année. Parallèlement, un nouveau règlement destiné à lutter contre la résistance aux antimicrobiens complète cet ensemble.
Dossiers numériques interopérables et Europe sans tabac ?
Un autre axe majeur concerne le nouveau règlement sur l’espace européen des données de santé (EEDS). Il doit permettre à partir de 2028 l'interopérabilité des dossiers patients numériques et leur consultation par les professionnels dans toute l'Union, sous réserve de l’accord des malades concernés. Il réglementera la conservation, la confidentialité et l'utilisation des données recueillies par tous les professionnels de santé et l’utilisation de ces data, notamment à des fins de recherche.
La santé publique est une autre priorité continentale. À l’actif de l’UE, deux grands programmes ont été décidés (cancer et santé mentale). Le plan cancer concerne aussi bien la prévention que l’amélioration des dépistages et traitements ainsi que le suivi des patients. Il sera doté d’un budget de quatre milliards d’euros et proposera notamment des avancées pour une « Europe sans tabac », tout en agissant sur l’alcool et l’alimentation. Le plan soutiendra aussi les traitements innovants, par exemple en matière d’imagerie et de médecine personnalisée. En outre, il souhaite mieux accompagner les survivants des cancers, et mettra l’accent sur les diagnostics et les traitements des cancers pédiatriques.
Quant au programme de santé mentale (1,25 milliard d’euros), qui se déploiera dans les prochains mois, il vise le développement de structures d’accueil et de soins de proximité, en s’inspirant de la réforme menée en Belgique, et généralisera un programme de prévention du suicide conçu par l’Autriche. Ces actions seront complétées par un projet européen de prévention de la dépression. Ces programmes s’adresseront en particulier aux jeunes et aux enfants, dont l’état de santé mentale a été gravement détérioré par la pandémie, puis par les conflits, souligne la Commission. Ils viseront d’ailleurs certains groupes particulièrement vulnérables, dont les migrants, les Roms et les réfugiés ukrainiens.
En dépit de son intitulé ambitieux, l’« Union européenne de la santé » reste un objectif pluriannuel qui ne va pas de soi. De fait, les politiques européennes de santé reposent sur un paradoxe : l’UE est tenue de protéger la santé de ses concitoyens mais elle n’a pas de mandat pour harmoniser les systèmes nationaux de santé. Elle doit donc se concentrer sur ses prérogatives directes, élargies en matière de santé publique, de prévention et de recherche. Toutefois, l’UE influe sur le fonctionnement concret des systèmes de santé en utilisant d’autres leviers légaux, notamment les réglementations sur la concurrence, le marché intérieur et les droits des consommateurs.
Codécision et avancées surprises
Comme toutes les politiques de l’Union, celle de la santé se construit dans le cadre de codécisions associant la Commission européenne, le Conseil, c’est-à-dire les États, et le Parlement européen. Au-delà de ce « trio », la Cour de justice de l'Union européenne a parfois joué un rôle clé et inattendu : alors que la « libre circulation » des patients n’était pas prévue par les traités, ce sont des patients allemands et luxembourgeois qui ont saisi la Cour à ce sujet à la fin des années 1990… obligeant l’Union à mettre en place les réglementations sur les soins transfrontaliers et leur remboursement. De même, la libre circulation des soignants, des médicaments et des dispositifs médicaux, répondait d’abord à la nécessité d’intégrer les professionnels, les services et les biens de santé dans la législation générale sur la liberté de circulation, principe de base de l’UE.
L’Europe de la santé en dix dates
1965 : première définition européenne du médicament.
1975 : premières procédures de reconnaissance mutuelle des diplômes de médecins.
1985 : premier plan européen contre le cancer.
1987 : premières directives pharmaceutiques portant sur la fixation des prix.
1993 : premières directives sur le temps de travail des médecins.
1995 : Agence européenne du médicament et autorisation de mise sur le marché européenne (procédures centralisées).
2001 : directives sur le tabac, puis ultérieurement l’alcool et la sécurité alimentaire.
2003-2013 : mise en place des soins de santé transfrontaliers ; libre choix des professionnels de santé installés dans l’UE par les patients, puis liberté d’installation dans tous les États membres. La prise en charge est automatique pour les « soins non programmés ou urgents », et soumise à autorisation préalable pour les hospitalisations et traitements programmés.
2019 : début des révisions du « paquet pharmaceutique », ensemble des directives sur le médicament.
2021 : lancement de l’Union européenne de la santé, programme qui s’étendra jusqu’en 2027