Dr Marianne Lainé, médecin généraliste et fondatrice de l'Institut Simone Weil à Rouen

« En 2022, nous avons réalisé 40 % de l’ensemble des IVG médicamenteuses en ville de Seine-Maritime »

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Publié le 16/06/2023
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Chaque année, le collectif « Femmes de santé » met à l'honneur 13 femmes porteuses de projets et d'initiatives innovants. Cette année, le Dr Marianne Lainé, médecin généraliste à Rouen, a reçu cette distinction pour ses actions destinées à renforcer l'accès à l'IVG. En 2021, elle a créé l'Institut Simone Weil, situé en plein cœur de Rouen.

Crédit photo : DR

Pouvez-vous vous présenter ?

Dr Marianne Lainé : Je suis le Dr Marianne Lainé, médecin généraliste et experte dans la prise en charge des IVG médicamenteuses. Je suis installée à Rouen depuis 25 ans et j'ai créé en septembre 2021 l'institut médical Simone Weil. Il s'agit d'une nouvelle forme d’organisation des soins pour organiser l'accès à l'information précoce et à la prise en charge des patientes en demande d'IVG en ville.

Par quoi a été motivé la création de l’institut Simone Weil ?

Dr M.L : Parallèlement à mon activité libérale, j’ai exercé plus de 20 ans en gynécologie sociale et en suivi de grossesse à l’hôpital public et donc par extension au centre de planification familiale. En tant que praticienne attachée, j’ai pu acquérir une expertise dans la prise en charge gynécologique et des IVG. Au travers de l’écoute de mes patientes, je me suis rendu compte que l’absence d’organisation et de maillage territorial était une des raisons qui freinait la prise en charge précoce des femmes en demande d’IVG. Certaines de mes patientes se sont par exemple retrouvées en chirurgie alors qu’elles savaient pourtant dès la première semaine de retard de leurs règles qu’elles étaient enceintes et qu’elles ne voulaient pas poursuivre leur grossesse.

Comment œuvrez-vous pour faciliter l’accès à l’IVG au sein de votre centre ?

Dr M.L : Ce qui compte avant tout est d’offrir à nos patientes et, ce précocement, le temps nécessaire pour le déroulement de l’IVG (l’information des méthodes, la réflexion, la contraception, le contexte psychologique). Trop souvent, les femmes en demande d’IVG doivent attendre quelques jours pour l’obtention d’un rendez-vous pour une échographie, puis encore 8 à 15 jours pour être prises en charge… Toute cette attente est psychologiquement très dure pour elles. Permettre aux patientes de bénéficier d’une information précoce est primordial afin qu’elles puissent avoir toutes les clés en main pour prendre leur décision. C’est ce que nous tâchons de faire tous les jours en proposant des rendez-vous dans les 48 heures. Nous ne réalisons que des IVG médicamenteuses. Mais lorsque cela s’impose, en fonction des antécédents médicaux, du contexte psychologique et familial ou si la prise en charge est trop tardive, nous redirigeons nos patientes vers les hôpitaux de la périphérie avec lesquels nous sommes conventionnés pour un parcours en hospitalisation (par médicament ou chirurgie). Par ailleurs nous essayons d'adapter notre présence en fonction des besoins de nos patientes et de leur vie personnelle. Si nous sommes officiellement ouverts sur des créneaux fixes, du lundi au vendredi, il arrive très régulièrement que des consultations s'organisent le soir jusqu'à 20 heures ou encore le samedi.

Comment les femmes sont orientées vers votre institut ?

Dr M.L : Nous fonctionnons beaucoup par le bouche à oreille, par la recherche sur Google. Aussi, de plus en plus de médecins nous adressent leurs patientes. Nous avons également ouvert la prise de rendez-vous en ligne. Par ailleurs, j’organise régulièrement des réunions d’information auprès des mairies, des soignants ainsi qu’auprès des jeunes défavorisés. Nous avons la chance d’être situé en plein cœur de la métropole rouennaise ce qui rend l’institut accessible par tous les réseaux. Certaines patientes viennent des départements de l’Eure, des Yvelines et des extrémités de notre département. Elles se déplacent jusqu’à nous car elles n’ont pas forcément trouvé de solutions sur le territoire où l’accès aux soins est parfois difficile. Nous observons toutefois que 80 % de notre patientèle habite au sein de la métropole de Rouen.

Comment les professionnels de santé sont impliqués dans cette organisation ?

Dr M.L : Grâce à l’accord du conseil départemental de l’Ordre des médecins et celui des sages-femmes, ainsi que celui de la préfecture, les professionnels de santé, peuvent venir quand ils le souhaitent faire une vacation de 4 heures, en général quatre fois par mois. C’est un exercice en site distinct avec un enregistrement professionnel sur leur cabinet médical principal et, secondaire, à l’institut médical Simone Weil. De nombreux praticiens se proposent. Certains alors même qu’ils sont installés à 50 km de l’institut. C’est extraordinaire car il y a des médecins que j’ai formés par le passé et qui par faute de temps dans leur exercice principal (ce sont des demandes urgentes à gérer) et par manque de moyens (accès à l’échographie) ont délaissé ce soin. Mais on se rend compte qu’avec ce type d’organisation, où tout est centralisé, les praticiens peuvent se fédérer pour prendre en charge les femmes en demande d’IVG, sans que cela n’empiète sur leur exercice quotidien. Aujourd’hui, cette participation des médecins nous permet d’ouvrir toute l’année sans interruption. Au total, nous sommes 12 praticiens à venir travailler régulièrement. Les deux tiers sont médecins, et l’autre tiers des sages-femmes avec une formation spécialisée dans la prise en charge des IVG médicamenteuses. Il y a également une psychologue et deux infirmières qui viennent spécifiquement pour les prélèvements. Nous travaillons également avec des avocats pour repérer et accompagner les patientes victimes de violences. Par ailleurs, les femmes en post IVG peuvent plébisciter des consultations gratuites avec la psychologue. C’est une organisation vraiment pluriprofessionnelle.

Quel bilan tirez-vous de ces trois premières années ?

Dr M.L : Nous sommes tous très fiers de ces débuts et les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2022, nous avons réalisé 40 % de l’ensemble des IVG médicamenteuses en ville de Seine-Maritime et 20 % de l’ensemble des IVG médicamenteuses de Normandie. Au total, plus de 1 700 consultations ont été réalisées en 2022. Par ailleurs, grâce à notre travail, les IVG se font en moyenne dans les cinq jours après le premier rendez-vous. Si l’on compare à la moyenne nationale, cela représente une réduction de 8 jours du délai d’accès à l’IVG. Ces chiffres prouvent qu’il y a un réel besoin sur le territoire.

Comment voyez-vous l'avenir ?

Dr M.L : Malgré les nombreux obstacles que j'ai rencontrés pour créer l'institut Simone Weil, j'ai l'espoir de développer ce type institut, avec la même appellation, dans chaque département. Cela permettrait que partout en France une femme qui découvre une grossesse inattendue sache immédiatement qu’il faut prendre un rendez-vous dans un institut médical Simone Weil. En termes de coûts de fonctionnement, cette organisation n'est pas compliquée à concrétiser car les praticiens sont déjà rémunérés à l'acte. Il suffit d'un budget de fonctionnement, qui soit pérenne, de 100 000 à 120 000 euros afin de pouvoir embaucher une coordinatrice administrative. Cela n'a pas été notre cas.

Justement, comment est financé votre institut ?

Dr M.L : Pour les trois mois premiers d'ouverture, nous avons dû puiser sur nos fonds personnels car nous n'avons pas reçu le soutien immédiat de l'Agence régionale de santé (ARS). Le département, lui, s'est même opposé à notre projet en prétendant qu’il n’y avait pas de problèmes d’accès à l’IVG sur le territoire. En revanche, la Caisse primaire d'assurance maladie nous soutient depuis le départ et invite les autres instances à nous aider financièrement. Nous avons un modèle économique qui n'existe nulle part ailleurs en France et c'est là toute la difficulté. Heureusement, nous avons reçu, dès le début, le soutien de la métropole de Rouen qui paie le loyer de nos locaux pour trois ans. En 2022, l'ARS nous a finalement soutenus à hauteur de 50 000 euros. Cette aide devrait être renouvelée cette année mais nous ne l'avons pas encore reçue. Le problème c'est qu'aujourd'hui ce soutien n'est pas suffisant pour couvrir l'ensemble de nos dépenses (logiciels métiers, prises de rendez-vous, consultations psy). Le plus problématique aujourd'hui c'est que nous n'avons pas assez de financement pour embaucher une coordinatrice administrative et indemniser notre temps de coordination médicale. C'est donc moi et un de mes associées, le Dr Puech, qui somme en charge de toute l'organisation administrative et médicale entre les 12 praticiens.

Encore combien de temps pensez-vous pouvoir tenir ?

Dr M.L : Si pour l'instant cette organisation tient grâce à la passion des professionnels de santé, cette situation n'est pas viable et met en péril la pérennité de l'institut. Nous sommes là pour soigner, pas là pour faire de l'administratif. Mon métier est de voir mes patients, coordonner du temps médical et soigner. En septembre dernier, j'ai alerté les pouvoirs publics de la situation, je leur ai expliqué que sans soutien pérenne, nous allions être obligés de fermer l'institut. J'ai finalement tenu bon jusqu'à maintenant. Aujourd'hui, j'ai le soutien extraordinaire du collectif Femmes de santé, mais malgré ça je sais que dans six mois, si ça ne bouge pas, je ne pourrai pas continuer à avoir l’impression de quémander pour un exercice professionnel qui a fait ses preuves en termes d’efficience de soin et de réponse à la population.


Source : lequotidiendumedecin.fr