Le service de santé des armées veut se préparer aux conflits de haute intensité

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Publié le 29/03/2024

La guerre en Ukraine a réveillé le spectre des conflits de haute intensité mettant aux prises des milliers d’hommes sur des fronts longs de centaines de kilomètres. Le service de santé des armées (SSA) n’est pas encore prêt à faire face à ce type de scénario, mais compte sur la nouvelle feuille de route et l’augmentation de son budget pour y remédier.

Crédit photo : Dmytro Smolienko/SIPA

Sur les 400 milliards prévus dans la dernière loi de programmation militaire pour la période 2024-2030, 11 sont consacrés au service de santé des armées (SSA), soit presque 50 % d’augmentation de son budget après des années de disette. Ce ballon d’air donne à son directeur central, le médecin général des armées (MGA) Jacques Margery, « une occasion inédite de renouveler toute la maison de fond en comble », comme il le résume lors d’un point presse à l’école du Val-de-Grâce, où sera inauguré, le 7 avril prochain, le siège de la future académie du SSA, chargée de coordonner la formation de ses personnels.

L’un des grands enjeux des années à venir est de se préparer aux combats de haute intensité, que la guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène. « Il s’agit d’une guerre sur un territoire national : le segment de l'évacuation médicale n'y est pas soumis aux élongations que nous connaissons sur nos théâtres d’engagement habituels, analyse le MGA Jacques Margery. La leçon à retenir est qu’il faut revenir à des doctrines héritées de la première guerre mondiale : l’évacuation par la route et le rail, la doctrine de transfusion avec utilisation de sang total, sans oublier de renforcer l'interopérabilité avec les nations alliées. »

Soutenir une division complète de 10 000 à 30 000 hommes

Actuellement, le SSA est en capacité de soutenir le déploiement d’une brigade, soit 5 000 hommes. D’ici à 2030, l’ambition affichée est de pouvoir accompagner une division complète, c’est-à-dire 10 000 à 30 000 hommes. Sur les 3 milliards supplémentaires alloués au SSA, 600 millions iront aux infrastructures, avec notamment la construction d’un hôpital national d’instruction des armées (HNIA) de nouvelle génération à Marseille. Par ailleurs, 350 millions seront consacrés à l’informatisation.

Le SSA utilisera aussi ces fonds pour renouveler ses capacités de projection : achat de nouveaux avions, modernisation de la chaîne du ravitaillement médical, augmentation des capacités de production, déploiement de nouvelles unités médicales opérationnelles, et automatisation et modernisation des établissements de ravitaillement sanitaire des armées (ERSA). Ainsi 70 millions vont être investis dans la rénovation de l’ERSA de Marolles. Il est également prévu la création d’une chaîne de bioproduction de contre-mesures médicales face aux risques nucléaires et radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) au sein de la pharmacie centrale des armées à Orléans-Chanteau. Un effort sera fait sur les produits sanguins, « l’or rouge de la guerre » comme le qualifie, non sans lyrisme, le MGA.

La feuille de route prévoit aussi de faire évoluer les hôpitaux des armées, désormais structurés en trois capacités bien distinctes : les hôpitaux nationaux d’instruction des armées (Bégin à Saint-Mandé, Percy à Clamart, Laveran à Marseille, Sainte-Anne à Toulon), les hôpitaux régionaux d’instruction des armées (Clermont-Tonnerre à Brest, Legouest à Metz), les hôpitaux spécialisés des armées (Desgenettes à Lyon et Robert-Picqué à Bordeaux). Alors que les HNIA affichent des effectifs de 1 400 à 1 500 personnels soignants et non soignants avec un large spectre d’offres de soins (chirurgie, soins des grands brûlés etc.), les hôpitaux spécialisés tourneront avec des effectifs de 150 personnes en se concentrant sur la rééducation et la psychiatrie. Enfin, les antennes médicales dépendant des centres médicaux des armées auront pour principale mission d’assurer les visites médicales.

Gérer des afflux de 100 blessés par jour

L’ambition du SSA est d’utiliser les nouveaux subsides pour augmenter le nombre de lits disponibles, avec pour objectif une capacité de gestion d’afflux de 100 blessés par jour. « Nous devons changer de paradigme en ce qui concerne la coopération civile-militaire », prédit le MGA Jacques Margery. Alors que ces dernières années voyaient un nombre croissant de projets de fusion d’hôpitaux civils et militaires, l’année 2024 marque un virage à 180°. « Le service doit préserver sa propre autonomie d'action, mais sans travailler en autarcie pour autant, poursuit le MGA Jacques Margery. En cas de conflit de grande envergure, il faudra assurer nos missions sur le territoire national, et avoir des collaborations avec les établissements civils pour éviter la saturation de notre composante hospitalière ». À Lyon, la perspective d’une transformation de l'hôpital d’instruction des armées Desgenettes en antenne des Hospices Civils de Lyon (HCL) avait soulevé l’indignation. Le projet avait été mis à l’arrêt par le ministre des armées Sébastien Lecornu. Dans la feuille de route, il est prévu que Desgenettes devienne un hôpital spécialisé des armées, intégré au sein des HCL.

Enfin, le SSA va pouvoir rouvrir les vannes du recrutement. Ces dernières années, l’école militaire de santé de Lyon-Bron affichait des promotions de 60 places maximum. En 2024, 125 nouveaux élèves iront occuper les bancs de l’école de santé des armées et 120 iront garnir l’école du personnel paramédical des armées. Par ailleurs, 200 millions d'euros seront investis pour fidéliser ces personnels. « Il faut que ces 125 nouveaux élèves soient suffisamment bien accompagnés pour livrer 125 thèses, espère le MGA Jacques Margery. Pour cela, il y a un effort sur la sincérité du discours qu’on leur tient sur la réalité de leur mission. Il faut intensifier leur immersion dans les futurs lieux de leur service : les bases aériennes, les bâtiments de la marine nationale, etc. »

Tous ces arbitrages « ne sont pas l'alpha et l’oméga de notre réussite collective, poursuit le directeur général du SSA. Il nous faut adopter un nouvel état d'esprit. Nous devons redécouvrir l'esprit d'aventure de nos anciens et renouveler la chaîne de commandement ».


Source : lequotidiendumedecin.fr