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Dossier

Militantisme vert, économies d'énergie, nouvelles pratiques, think tanks...

L’écoresponsabilité s’invite dans les cabinets

Publié le 10/11/2022
L’écoresponsabilité s’invite dans les cabinets


Phanie

Inquiets des conséquences du dérèglement climatique sur la santé, soucieux de réduire leur empreinte carbone ou désireux d’avoir un exercice respectueux de l’environnement, de nombreux médecins libéraux ont commencé à modifier leur pratique. Par de petits gestes quotidiens ou un engagement associatif, les médecins sont de plus en plus nombreux à vouloir soigner aussi la planète.

« Je m'engage solennellement à consacrer ma vie au service de l’humanité, ainsi qu'à la protection des systèmes naturels dont dépend la santé humaine. Je ferai de la santé des individus, de leurs communautés et de la planète ma priorité et je m'engage à montrer le plus grand respect pour la vie humaine et la diversité de la vie sur terre. […] » Ainsi débute le serment d’engagement des professionnels de santé en faveur de la santé planétaire, rédigé en 2020 par des médecins anglais et publié dans Le Lancet. En France, alors que les vagues de chaleur historiques se succèdent, à l’heure où le gouvernement encourage la sobriété énergétique et appelle à la « responsabilité collective » en matière d’économies d’énergie, le monde de la santé, qui représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre du pays selon un rapport du Shift Project, ne reste pas les bras croisés.

Environ 20 % des établissements hospitaliers ont réalisé leur bilan carbone et s’emploient à réduire leurs émissions comme le leur enjoint la loi. Les professionnels de santé de ville, dont des médecins, sur lesquels ne repose aucune obligation, sont pourtant nombreux à s’engager dans une démarche de sobriété.

« L’engagement écoresponsable des soignants émerge depuis quelques années mais il s’est accéléré depuis l’épidémie de Covid, analyse le Dr Alicia Pillot, médecin généraliste à Heyrieux, dans l’Isère et membre de l’Alliance Santé Planétaire, fondée il y a près de deux ans. Il y a de plus en plus de demandes d’informations et de formations de la part de médecins, qui recherchent des actions à réaliser dans leur cabinet. »

Pour la généraliste de 38 ans, qui se décrit elle-même comme éco-anxieuse, tout a commencé il y a quatre ans. Préoccupée par le dérèglement climatique et l'effondrement de la biodiversité, elle s’engage dans PEPS'L, un collectif de soignants environnement-santé en région lyonnaise. « Aujourd’hui, je vis cet engagement comme une responsabilité, cela fait partie intégrante de mon métier et se traduit par des actes de prévention et une politique d’influence de santé publique. Cet engagement donne du sens à mon métier. »

Le début d’un mouvement de fond

Les enquêtes nationales manquent pour mesurer l’ampleur du phénomène. La thèse de médecine de Flavia Nunes soutenue l’an dernier à Lyon apporte cependant quelques éléments éclairants : 63 % des 728 médecins généralistes ayant répondu à un questionnaire sur l’ensemble du territoire disaient avoir modifié leur pratique dans le but de diminuer leur impact environnemental. Invités à donner des exemples, ces praticiens indiquaient pour un grand nombre d’entre eux avoir amélioré la gestion de leurs déchets (tri sélectif-120, recyclage-51, réduction des déchets-41, moindre consommation de papier-52, utilisation de matériel réutilisable-53…)

Une part non négligeable indiquait s’être engagée dans l’optimisation de leurs déplacements en se déplaçant à vélo autant que possible (48) ou en ayant acheté un véhicule électrique ou hybride (25). La moindre consommation énergétique était en revanche assez peu évoquée qu’il s’agisse de la diminution de climatisation (30) ou du chauffage (17). De même, la modification de la prescription restait modeste (25).

Davantage encline à agir pour réduire son empreinte, la nouvelle génération exprime le besoin d’être formée à ces problématiques dès les études de santé (lire p 13)

À peine la trentaine, le Dr Aude Vandenbavière, généraliste à Bugeat, sur le plateau des Millevaches, en Corrèze, fait partie de ces jeunes médecins désireux de réduire leur empreinte carbone. « J’exerce au sein d’un pôle de santé au sein duquel les 5 médecins, 8 infirmiers et 3 pharmaciens réfléchissent à une approche d’exercice plus sobre, confie-t-elle. Ce qui m’a fait m’installer ici, il y a deux ans, c’est d’être tombée sur une équipe qui se posait des questions sur son impact social et écologique. » Sur le plateau de Millevaches, la jeune généraliste essaie de se déplacer au maximum en vélo électrique. Elle se rend en véhicule électrique à son cabinet secondaire distant de 30 km du premier. La généraliste a adopté des lumières LED au lieu d’ampoules plus énergivores, imprime systématiquement en recto-verso et utilise du papier et des enveloppes recyclées. Le Dr Vandenbavière a troqué sa cafetière à dosettes pour un percolateur. Elle a enlevé les draps d’examens pour réduire la consommation de papier et désinfecte la table d’examen entre les patients. La démarche est loin d’être achevée. « Je suis en pourparlers avec la communauté de communes pour qu’elle installe le double vitrage dans nos cabinets pour réduire la déperdition thermique et notre facture de chauffage. »

À 30 ans, le Dr Anthony Delcambre, médecin généraliste remplaçant thésé depuis mai 2022, n’imagine pas non plus exercer sans se soucier de l’impact de son activité. Après des études dans le Nord, il est devenu adjoint (statut qui permet un renfort en zones fragiles) dans une maison de santé à Rostrenen, en centre Bretagne. « Nous exerçons dans un ancien cabinet vétérinaire rénové avec des matériaux locaux pour être plus sobres énergétiquement, décrit-il. Ayant grandi à la campagne j’ai toujours eu une sensibilité sur ces problématiques. Cette conscience écologique m’a donné envie de creuser le sujet de la santé planétaire. » Sa thèse de médecine, il l’a consacrée à l’état des lieux de la santé planétaire mené auprès de 12 généralistes des Hauts-de-France. « Si les médecins ont conscience des problématiques sur les perturbateurs endocriniens ou la pollution de l’air, l’impact du changement climatique sur la santé reste encore relativement méconnu, affirme Anthony Delcambre. Il est ressorti de mes entretiens qualitatifs avec les médecins que leur métier était devenu très difficile et qu’ils jugeaient complexe de faire l’effort de se former à ces sujets. »

Si elle peut parfois demander un effort financier, la démarche d’écoresponsabilité peut à terme être financièrement rentable.

« Quand on met son cabinet aux normes, que l’on chauffe moins et qu’on limite la clim, cela permet aussi de réaliser des économies », affirme le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, syndicat qui avait consacré son université d’été 2021 à la thématique de la santé environnementale. À en croire le leader syndical, les organisations professionnelles ont fait du chemin sur la question en soutenant notamment la téléconsultation ou encore les consultations avancées qui permettent de réduire les déplacements des patients.

Une prise de conscience progressive

Pionnier de la médecine environnementale en France – il est l’initiateur du premier congrès national sur les pathologies environnementales à Rouen en 2005 – le Dr Joël Spiroux de Vendômois regrette pourtant la lenteur de la prise de conscience du corps médical. « Mes confrères se posent des questions car tout le monde en parle mais ils ne sont pas tellement investis pour autant », déplore le généraliste retraité, qui a fondé un cabinet de conseil en médecine environnementale et est le directeur pédagogique d’un DU de médecine environnementale au CHU Henri Mondor (Paris-Créteil), suivi par une quinzaine de candidats et pourrait en accueillir bien plus. « On ne fait pas assez de prévention alors que trois quarts des pathologies chroniques sont d’origine environnementale. Il faudrait que davantage de médecins y soient formés ! Si chaque médecin passait un message à un patient par jour, ce serait fabuleux ! »

Les médecins, en particulier les généralistes, sont en effet en première ligne pour observer les conséquences sur la santé de leurs patients des canicules, de la pollution et de la mauvaise qualité de l’air.

Pour le Dr Alexandre Feltz, généraliste et adjoint écologiste au maire de Strasbourg, qui a contribué à lancer en France le sport sur ordonnance, la prise de conscience environnementale infuse lentement mais sûrement. « Je vois les médecins basculer. Avant, je faisais toutes mes visites en voiture, cela faisait partie du statut du médecin. Je n’ai plus de véhicule depuis 13 ans et je me déplace en vélo électrique. Aujourd’hui, je ne suis plus un extra-terrestre, je vois aussi mes confrères à vélo. » Le mouvement a d’autant plus percé que les études scientifiques sont formelles sur les liens entre santé et environnement, sur la pollution de l’air, les particules fines ou les perturbateurs endocriniens. Pour faire bouger les lignes, les politiques peuvent donner un coup de pouce, estime le généraliste. Strasbourg, par exemple, va expérimenter dans les prochaines semaines une initiative unique : les médecins de la ville pourront prescrire une ordonnance verte aux femmes enceintes qui leur permettra de recevoir chaque semaine auprès d’une AMAP un panier de fruits et légumes bio pendant toute leur grossesse. Ce qui réduira l’exposition aux pesticides, néfaste au développement du fœtus et à la santé de la mère.

La tentation radicale

Jusqu’où l’engagement des médecins doit-il aller ? Le Dr Mélanie Popoff s’est posée la question. Aujourd’hui médecin de santé scolaire à Bordeaux, où elle encadre le dépistage et la prévention auprès de jeunes enfants de dizaines d’écoles, Mélanie Popoff a été militante à Extinction Rebellion, mouvement écologiste qui revendique la désobéissance civile non violente pour inciter les gouvernements à agir contre le dérèglement climatique. Elle était « street med » le 28 juin 2019 quand des militants de l’association qui bloquaient le pont Sully à Paris ont été aspergés de gaz lacrymogène. Elle a aussi participé aux blocages de magasins pendant le black Friday, a dénoncé la fast fashion ou encore l’emploi de pesticides dans les grands vignobles bordelais.

« J’ai toujours une forte envie de lancer l’alerte mais j’ai arrêté le militantisme avec Extinction Rebellion dont les actions sont essentielles mais insuffisantes, explique-t-elle. J’ai été très déçue du traitement médiatico-politique des actions qui ne traitait que la forme sans parler du fond. » Le Dr Popoff entend faire porter autrement sa voix dans l’espace public. Elle s’est rapprochée d’autres médecins au sein de l’Alliance Santé Planétaire et a suivi plusieurs DU (de médecine environnementale et sur la prévention). Elle reste persuadée que la santé peut être un levier pour faire bouger les lignes sur l’environnement.

La désobéissance civile continue toutefois de gagner du terrain chez les soignants. Le groupe Scientist in rebellion, qui regroupe des scientifiques de toute l’Europe, mène depuis octobre des actions de désobéissance civile en Allemagne en amont de la COP27, prévue en novembre en Égypte. Samedi 29 octobre, 16 membres de l’association ont été incarcérés et mis en garde à vue pour s’être englués à une automobile de luxe chez un concessionnaire BMW à Munich. La maison brûle mais les médecins ne regardent plus ailleurs.

Christophe Gattuso