Débat Grande Sécu

Les soignants d'une CPTS interpellent Olivier Véran sur les renoncements aux soins de leurs patients

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Publié le 10/12/2021
Les professionnels de la CPTS Paris 20 ont décidé d'ajouter leur voix au débat actuel sur le projet de Grande Sécu. Dans une lettre ouverte adressée à Olivier Véran, ils l'interpellent sur les renoncements aux soins qu'ils constatent chez des patients n'ayant pas les moyens de payer des complémentaires santé.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Depuis plusieurs mois, l’idée d’une Grande Sécu, prenant en charge l’intégralité des remboursements de santé, a émergé dans le débat national, à l’initiative du gouvernement.

En effet, Olivier Véran a demandé au Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) de réfléchir à l’articulation entre assurances maladie obligatoire et complémentaire. Et parmi les quatre pistes mises sur la table pour l’instant par le HCAAM, figure celle sur la Grande Sécu. Le président de la République hésiterait encore à reprendre cette proposition dans sa campagne pour 2022, mais en attendant elle fait réagir, y compris les professionnels de santé.

Dans une lettre ouverte, adressée à Olivier Véran, les professionnels de santé de la CPTS Paris 20 souhaitent aussi apporter leur voix au débat en faisant part de la réalité à laquelle ils sont déjà confrontés avec leurs patients.

« Nous, soignantes et soignants du 20e arrondissement de Paris, nous voyons tous les jours en consultation des patientes et patients qui n'ont pas d'assurance complémentaire, ou une mauvaise complémentaire, et qui ne peuvent financer le reste à charge. Nous sommes témoins tous les jours de renoncement aux soins aux terribles conséquences », écrivent-ils. 

Des difficultés à soigner leurs patients

Ils expliquent que ceux qui n’ont pas ou de mauvaises complémentaires aujourd’hui sont les plus fragiles, qui dépassent les seuils de la CSS (complémentaire santé solidaire) mais n’ont pas pour autant les moyens pour financer une complémentaire santé. Pour illustrer cette réalité et faire part des difficultés pour soigner leurs patients, les différents professionnels membres de la CPTS Paris 20 relatent des situations rencontrées dans leur exercice.

Un généraliste raconte ainsi son expérience avec un patient de 58 ans, chômeur.

« Hier lors de ma consultation sans rendez-vous, j'ai vu ce patient, qui souffre de douleurs de la fosse lombaire droite depuis 1 mois. À l'échographie, une imagerie a permis d’explorer le rein droit. Mais pourquoi a-t-il tant traîné à faire cet examen ? « Pas de sous », m'a-t-il dit. Cet examen ne suffit pas, un scanner est nécessaire. Cet homme est au chômage et n'a plus de complémentaire santé. Ses revenus dépasseraient le seuil pour bénéficier de la CSS avec participation. Je prescris un uroscanner en sachant qu'il ne pourra pas payer le ticket modérateur. J'appelle les Coursiers Sanitaires et Sociaux pour qu'ils gèrent le droit éventuel à la CSS. Je rage de tout ce temps perdu à régler la situation administrative, car ma salle d'attente se remplit ce qui ne saurait être bon en temps Covid alors qu’en équipe, nous avions décidé d'être à l'heure sur nos créneaux de consultation non programmée. Je rêve d’une « grande sécurité sociale » où j'aurais pu prescrire tranquillement cet uroscanner et appeler mes confrères urologues, plutôt que les coursiers. »

Un autre généraliste explique au sujet d’un de ses patients de 80 ans en rémission de cancer et donc en ALD.

« Hier encore, j'ai fait passer sur son ALD une demande de tomodensitométrie thoracique. Sans cela, ce patient ne l'aurait pas fait, faute de moyens financiers. Démarche pas très satisfaisante d'un point de vue éthique… »

Une secrétaire médicale explique que pendant la pandémie le ticket modérateur a disparu pour tout un tas d’actes : « cette mesure a été une grande aide pour faciliter l’accès aux soins et nous a permis d’accompagner nos patient.e.s sereinement. Hélas nous avons plusieurs retours de patientes et patients sur leur prise en charge à l’hôpital pour un Covid. Certaines hospitalisations chez des personnes sans complémentaire ont eu des conséquences financières dramatiques chez certaines et certains avec les 20 % de reste à charge, qui se comptent en milliers d’euros. »

Un pharmacien fait lui part de son expérience avec une patiente de 48 ans, atteinte de sclérose en plaques dont l’ALD tarde à être renouvelée.

« Le Fampyra, un médicament prescrit pour améliorer la marche, n'est pris en charge qu'à 15 % par l’Assurance maladie. La patiente n'a pas de mutuelle à jour. Il lui reste donc plus de 140 euros à charge. Si son pharmacien n'avait pas fait l'avance du médicament à ses frais, le traitement aurait été interrompu ».

Un système injuste car non solidaire

Une dizaine de témoignages comme ceux-ci émaillent la lettre de la CPTS Paris 20, à destination du ministre de la Santé, pour appuyer une évolution vers une Grande Sécu.

« Au-delà du constat que le double traitement des dossiers par la Sécu puis par les complémentaires est cher et que le système des mutuelles est injuste car non solidaire, nous vous demandons de nous aider à prendre en charge TOUS nos patientes et patients », concluent-ils.


Membres de la CPTS Paris 20 : 

Mady Denantes, médecin généraliste

Dora Levy, médecin généraliste


Antonin Mathieu, médecin généraliste


Isabelle Gueguen, infirmière 

Stephanie Saguez, sage femme


Alexandre Hottiaux, pharmacien


Clara Lopez, médecin généraliste


Marie Karsenty, secrétaire médicale

Christophe Jolivet, masseur-kinésithérapeute

Laurianne Badoc, médecin généraliste


Source : lequotidiendumedecin.fr