La médecine générale vue d'ailleurs

Liberté d'installation : 20 ans après, quelles leçons tirer du modèle québécois ?

Publié le 08/12/2022
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Menacée par des propositions de loi, la liberté d’installation des généralistes français pourrait-elle être régulée comme au Québec ? Et l’exemple québécois est-il à suivre ? Avec un territoire deux fois et demi plus grand que la France, le Québec a longtemps été cité comme exemple. Pourtant, 20 ans après son dernier plan gouvernemental, les régions québécoises les plus éloignées manquent toujours d’accès aux services de santé.

Crédit photo : Andriy Blokhin - stock.adobe.com

Alors que la régulation de l’installation des médecins généralistes en France est à nouveau à l’ordre du jour des parlementaires français, l’exemple québécois pourrait-il faire pencher la balance ? Depuis une vingtaine d’années, des mesures incitatives et coercitives sont mises en place pour l’installation des généralistes. Avec des résultats mitigés.

Lorsqu’un médecin généraliste termine ses études au Québec, il dresse une liste de vœux pour obtenir une affectation dans un cabinet. Il peut demander à rester dans sa ville, même si le nombre de places est limité, mais il peut aussi partir plus loin, dans une région où l’on manque de médecins. Cela peut parfois être à plus de neuf heures de route. Tout cela entre dans le cadre des Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), mis en place par le gouvernement québécois en 2004. « Ces plans visent à répartir les médecins de famille entre les différentes régions de la province afin de favoriser un accès équitable aux soins de santé entre celles-ci », note le Ministère de la Santé et des Services sociaux. Concrètement, « plus l’écart au besoin dans une région est grand, plus la part de nouveaux médecins qui lui est allouée est grande eut égard à sa population ».

Un impact sur la rémunération

Un médecin québécois n’est pas obligé de partir dans une région éloignée, mais une contrepartie motive les jeunes docteurs à passer le cap : la rémunération de ses actes par la régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). « Dans les régions universitaires comme Montréal ou la ville de Québec, les médecins gagnent des tarifs standards. En revanche, il y a des majorations dans les régions les plus éloignées, où la vie est par ailleurs souvent moins chère. Ça peut aller jusqu’à 135 % d’augmentation de la rémunération, selon le nombre d’années d’installation, détaille Jean-Pierre Dion, le directeur des communications et des affaires publiques de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Un médecin peut quand même faire le choix de rester dans une région où il n’a pas eu de poste, par exemple s’il veut à tout prix rester dans la ville de Québec, mais sa rémunération sera amputée de 30 % ».

Des activités médicales particulières les 15 premières années d'exercice

En plus des PREM, une autre contrainte est en vigueur au Québec : les activités médicales particulières (AMP). « Les médecins sont obligés de faire un minimum d’heures dans un autre domaine de pratique. Ce système a principalement été créé pour combler les pénuries aux urgences. Il y a environ 2 600 médecins dans les urgences québécoises, et parmi eux, 95 % sont des médecins de famille », explique Jean-Pierre Dion. Un médecin peut ainsi se retrouver à travailler aux urgences, dans un centre de détention, en service d’hospitalisations, ou encore dans un service dédié à l’interruption volontaire de grossesse… « Un médecin doit faire 12 heures d’AMP par semaine pendant ses 15 premières années de pratique. » Si ce n’est pas respecté, là encore, le médecin s’expose à une réduction de 30 % de sa rémunération.

Plus de 20 % des Québécois sans médecin traitant

Mais 20 ans après la mise en place de ces normes, plus de 20 % des Québécois sont toujours privés de médecins traitants. « Il y a des déserts médicaux à échelle potentiellement dramatique, notamment dans les régions de Côte-Nord ou de l’Abitibi, et puis il y a des micro-déserts médicaux qui sont moins dramatiques, car l’accès à des soins est possible mais pas à proximité ou dans des centres sans médecin de référence », souligne Jean-Pierre Dion. Et ce, même près des grandes villes, comme à l’ouest de Montréal, ce qui crée des embouteillages dans les services d’urgences, occupés à près de 120 %. La Fédération des médecins omnipraticiens estime qu’il faudrait 1 000 médecins généralistes supplémentaires, en plus des 12 102 déjà en activité. Le Premier ministre du Québec, réélu en octobre dernier, a promis de fluidifier le parcours d’accès en soin. « Le PREM 2023 prévoit l’installation de 413 nouveaux médecins », affirme le ministère de la Santé.

Un désamour des étudiants

La fédération des omnipraticiens pointe du doigt le manque d’engouement pour la profession. « Beaucoup d’étudiants boudent la médecine de famille. Il y a 465 postes de résidents de médecins de famille qui n’ont pas été comblés depuis 10 ans au Québec, c’est énorme », s’indigne Jean-Pierre Dion. Beaucoup de futurs docteurs préfèrent faire deux ans d’études supplémentaires et se spécialiser, plutôt que de choisir la branche de médecin de famille. « Aujourd’hui, il manque une vingtaine de spécialistes contre 465 postes vacants en médecine généraliste », souligne-t-il.

L’autre difficulté à laquelle les régions éloignées sont confrontées, ce sont les allers-retours des médecins. En Côte-Nord par exemple, sur 150 médecins, « il y en a environ 70 qui sont installés depuis une trentaine d’années, commente le représentant de la fédération des médecins omnipraticiens du Québec, les autres, ce sont des médecins qui bougent au bout de 3-4 ans, ils deviennent parents et souhaitent retourner en ville… Ce sont des choix de vie individuels en fin de compte. »

 

Chiffres clés de la médecine générale au Québec

Nombre de médecins généralistes : 12 102
Répartition hommes (47,7 %) - femmes (52,3 %)
Population inscrite auprès d’un médecin de famille en 2021 : 79,8 %
Sources : Collège des médecins du Québec et Gouvernement québécois

 

Justine Leblond


Source : lequotidiendumedecin.fr