L'Ordre épinglé par la Cour des comptes pour son laxisme disciplinaire et financier

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Publié le 27/02/2019
Siège de l'Ordre

Siège de l'Ordre
Crédit photo : GARO/PHANIE

Un sacré désordre ! Dans son édition de la semaine, Le Canard enchaîné consacre un article à la gestion du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), en s’appuyant sur un « pré rapport » de la Cour des comptes, auquel l’Ordre dit ne pas avoir eu accès et qui n’aurait pas dû fuiter. Celui-ci dénonce de nombreuses anomalies, notamment dans la comptabilité – jugée « insincère » – de l’institution. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Ordre en prend pour son grade. 

Laxisme disciplinaire 

Après un an d’enquête, la Cour des comptes met en lumière le laxisme disciplinaire de l'Ordre vis-à-vis de praticiens impliqués dans des affaires d'agressions sexuelles. Elle a notamment identifié « de nombreux cas où des médecins ayant fait l’objet de doléances, de signalements ou de plaintes (conciliées ou retirées par les plaignants), condamnés au pénal ou placé sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec leur exercice n’ont fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire », relate le Canard enchaîné. Des accusations auxquelles le Conseil a répondu dès mardi avant même la parution de l'article, assurant que « dès qu’il a connaissance de faits suffisamment précis et circonstanciés, l’Ordre les transmet à la juridiction disciplinaire qui juge en toute indépendance ».

Indemnités en hausse

L'article s'attarde également sur l'existence d'importantes indemnités (jusqu'à 90 000 euros pour certains membres du bureau national) qui s'apparente selon la CDC, citée par le Canard, à des « rémunérations déguisées ». « En 2017, les 54 membres du Conseil national ont perçu 2,2 millions d'euros d'indemnités et se sont fait rembourser 2,6 millions de frais », affirme l'hebdomadaire. Ce qui, selon les magistrats de la rue Cambon, constitue une hausse de 33 % depuis 2011.

À ce sujet, l'Ordre précise que « le niveau des indemnités des conseillers nationaux n'a pas évolué ». « C'est le nombre de journées indemnisées qui a augmenté », fait-il valoir. De fait, l'institution « reconnaît et revendique l'augmentation mécanique du montant des indemnités », qui témoigne selon elle de « l'activité renforcée du Conseil ».

Des pistons familiaux dans le recrutement

Des « pratiques de recrutement » très « familiales » sont également dénoncées par le pré-rapport de la Cour. Certains employés, appartenant à la famille d'un conseiller, auraient ainsi bénéficié de « promotions éclair » ou d'une augmentation exponentielle de leur rémunération, révèle le Canard. Il cite notamment l'exemple de la « rejetonne du président d'une région » qui aurait été « augmentée de 153 % en dix ans ». « Les contrats des salariés du CNOM sont de droit privé et sont conclus conformément à la loi, dans le plus profond respect du droit du travail », rétorque l'Ordre.

Manque de transparence sur les liens avec l'industrie

La Cour des comptes relève en outre qu'aucun médecin n'a été convoqué par l'Ordre, ni poursuivi pour avoir manqué à l'obligation de transparence issue de la loi Bertrand de 2011. Depuis sa promulgation, les médecins doivent déclarer leurs liens d'intérêts sur le site www.transparence.sante.gouv.fr.

Les magistrats ont aussi noté que certains praticiens enchaînaient les congrès internationaux. Des voyages approuvés par l'Ordre et dont les frais sont à la charge de labos, relate le Canard Enchaîné. « L'Ordre a pris clairement position en faveur d'une transparence totale des relations entre les médecins et les industriels » et a « été de tous les observateurs en pointe sur ce dossier, et a régulièrement sollicité le Conseil d'État pour le faire avancer », indique le Cnom. Et celui-ci de regretter que le décret permettant d'assurer le contrôle de toutes les déclarations de liens d'intérêts n'ait pas encore été publié.

300 000 euros de matériels informatiques (tablettes, téléphone, ordinateurs) auraient également disparu.

Le financement du nouveau siège en question

L’hebdomadaire se penche par ailleurs sur le changement de siège de l’Ordre, survenu en septembre 2017 et dont l’aménagement n’a pas fait l’objet d’appel d'offres, de mise en concurrence ou de contrat. Le projet aurait au final coûté 8,8 millions d’euros, soit près de 4 millions de plus que ce que prévoyait le devis initial. Sur ce point, l’Ordre indique que « le décalage s’explique en partie par les travaux d’aménagement, qui ont été plus importants que prévu ». Et le Cnom de préciser que « le produit de la vente de l’ancien siège a cependant suffi à assumer ces coûts additionnels ».

Mardi soir, la Cour des comptes a déclaré qu'elle « déplorait la publication par Le Canard enchaîné d’un article évoquant des observations provisoires » sur le conseil de l’Ordre et expliqué que celle-ci « portait atteinte au bon déroulement des procédures encadrant la phase contradictoire des travaux de la Cour, qui n’est pas achevée ».

« Si les faits se révélaient exacts à l’issue de l’enquête définitive, ils seraient d’une extrême gravité et porteraient atteinte à l’honneur et à la probité de toute la profession médicale, que le Conseil de l’Ordre est censé défendre », a réagi mercredi le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.

(Article mis à jour le 27/02 à 14:25)

Stéphane Lancelot

Source : lequotidiendumedecin.fr