Entretien avec François Braun

« Nous sortirons bien du tout T2A en 2024 »

Par
Publié le 17/05/2023
La crise permanente à l’hôpital ne serait pas une fatalité. François braun présente ici ses traitements d’urgentiste. mais s’inscrit aussi dans le long terme, avec « le droit à la santé » et la lutte contre les inégalités. Verbatim.
François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention

François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention
Crédit photo : Sébastien Toubon

En réponse à la crise que traverse l’hôpital, comment redonner du sens au travail des soignants ?

Notre système de santé et nos soignants ont été mis à l’épreuve ces dernières années, notamment avec le Covid. Mais nous héritons aussi de décisions antérieures sur la démographie médicale ou encore en matière de financement, d’investissement qui ont des conséquences aujourd’hui majeures. Nous avons fait un effort historique pour les soignants avec le Ségur avec 19 milliards d’euros pour l’investissement, des revalorisations sans précédent et des transformations en profondeur de l’organisation de notre système de santé. Néanmoins, les sujets de démographie et d’attractivité des professions de santé, de perte de sens des professionnels, de fuite vers d’autres métiers et de crise des vocations, restent des enjeux majeurs qui nécessitent des évolutions structurelles conséquentes. Comme l’a clairement dit le président de la République, le diagnostic est connu, il faut maintenant réformer plus vite et plus fort. C’est le sens des engagements qu’il a annoncés lors de ses vœux aux acteurs de la santé pour notre système de santé et en particulier pour l’hôpital.    
En outre, pour nos jeunes soignants qui, s’ils portent l’avenir du système de santé sur leurs épaules, n’entendent plus exercer comme autrefois. Et c’est tout à fait légitime. Nous devons comprendre et répondre à ces nouvelles aspirations, de recherche de qualité de vie et de perspectives d’évolutions, de recherche d’opportunités, pour s’inscrire dans des projets et des collectifs professionnels.
C’est une priorité forte de mon action d’investir durablement et avec méthode dans les métiers de la santé, pour maintenir nos forces vives, assurer leur équilibre professionnel, et inciter les plus jeunes à les rejoindre, sans jamais perdre de vue l’impératif de sécurité et de qualité des soins. Dès lors, nous accompagnons les potentiels. Grâce aux cordées de la réussite, au mentorat, au tutorat, nous favorisons le travail autour de l’image des métiers, pour que chacun retrouve du sens au travers de valeurs partagées.
Un axe fort de ma politique concerne ainsi la formation. Nous diversifions les voies d’entrée et permettons à tous les profils d’accéder et de réussir dans les études en santé, grâce aux nouvelles places ouvertes en instituts de formation, aux passerelles interfilières, aux possibilités accrues de VAE et d’apprentissage ou de parcours personnalisés. Tout cela dans des formations rénovées, adaptées aux besoins des étudiants et de la population, sans rien perdre de leur excellence. Recherche, innovation, stages en Europe, sont autant de possibilités intégrées dans les formations en santé, et dynamisées par l’universitarisation, qui sont recherchées par les étudiants, autant de partages de pratiques qu’ils ont l’occasion d’expérimenter durant leurs cursus de formation. Ces nouveaux soignants, nous rénovons aussi leur cadre d’exercice, dans un système de santé décloisonné où ils acquièrent de nouvelles compétences, de nouvelles responsabilités, au sein d’équipes dans lesquelles, autour du médecin, chacun à sa juste place pourra apporter toute sa valeur ajoutée à la prise en charge des patients. Je pense ici par exemple au déploiement des infirmiers en pratique avancée ou encore à la création du métier d’assistant dentaire de niveau 2. C’est triplement gagnant : pour les soignants, qui sont mieux reconnus et gagnent en autonomie et en compétences, pour les médecins, qui, déchargés de certaines tâches, ont plus de temps auprès des patients, pour les Français, qui accèdent plus facilement aux soins.
Le sens du métier de soignant… c’est tout simplement de soigner ! Leur vocation c’est de prendre soin des autres, de sauver des vies. Notre rôle est de leur donner tous les moyens de le faire, dans les meilleures conditions possibles.

Comment éviter la fuite des médecins de l’hôpital public ?

L’hôpital public est un pilier de notre système de santé, j’y ai fait toute ma carrière de médecin. Je mène ainsi de front plusieurs réformes importantes en ce sens.  
En premier lieu, l’encadrement de l’intérim médical. Depuis le 3 avril nous faisons appliquer la loi, qui plafonne à 1 390 bruts pour 24 heures de travail les rémunérations des intérimaires. En effet, les rémunérations des remplaçants ponctuels pouvaient atteindre jusqu’à 5 000 euros pour 24 heures ! C’est une profonde iniquité vis-à-vis des praticiens qui s’investissent durablement à l’hôpital, et ont tenu depuis trois ans, dans des conditions difficiles. Nous ne pouvons que partager leur frustration quand ils voient des intérimaires de passage gagner en quelques nuits ce qu’ils touchent parfois à peine en un mois.
Cet argent, je souhaite en investir une partie dans l’hôpital, pour améliorer les conditions de travail des soignants et l’attractivité des carrières hospitalières. J’ai ainsi pu confirmer le maintien des majorations des indemnités horaires pour travail de nuit et des indemnités de garde, pour les personnels exerçant en établissement public de santé, dans l’attente d’une négociation plus globale sur le sujet, et annoncer la majoration de la prime de solidarité territoriale pour les praticiens qui acceptent d’aller prêter main-forte à d’autres établissements de leur territoire.
Cette lutte contre l’intérim « cannibale », elle s’inscrit aussi dans le chantier plus large de ce que j’appelle le « mieux vivre à l’hôpital ». Notre enjeu est de stabiliser les collectifs de travail. C’est à cette condition que le travail d’équipe à l’hôpital et la dynamique des services, qui sont au cœur de la bonne prise en charge de nos concitoyens, pourront s’organiser.
Ces dynamiques d’équipes, elles se feront aussi par des modes de management plus souples et plus participatifs, par des choix plus explicites des équipes sur leurs organisations et le temps de travail : une mission est en cours là-dessus. Je souhaite qu’il soit possible de co-construire des solutions et des projets, dans des collectifs où l’on se sent valorisé dans son rôle et où l’on peut se projeter dans l’avenir. C’est un cercle vertueux qu’il faut créer, qui favorise la durabilité des ressources humaines, des médecins mais aussi de leurs équipes.


Quelles sont les pistes avancées pour remplacer la T2A ?

Nous sortirons en effet du tout tarification à l’activité à l’hôpital, en posant les fondements de cette évolution dès le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Avec la fin de la tarification à l’activité, je veux aller vers un mode de financement mixte, associant un financement basé sur les « besoins de santé » de la population dans les territoires, un financement à la qualité et à la pertinence des soins et un financement spécifique pour les actes complexes, tout en gardant un volet de financement lié à l’activité, afin de répondre aux objectifs fixés par le président de la République, le 6 janvier dernier.
Afin de poser les bases de ce nouveau « mix financier », nous avons confié une mission conjointe à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale des finances (IGF) pour venir appuyer les équipes du ministère, et notamment celles de la DGOS, dans la définition des conditions opérationnelles de réussite de la réforme, élaborer différents scénarios de modèles de financement, les moyens de prendre en compte des indicateurs qualitatifs et anticiper les éventuelles évolutions organisationnelles qui pourraient être induites par la réforme.
Ce travail durera jusqu’à la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.


Peut-on encore tenir la promesse d’être soigné de la même manière dans l’ensemble de l’Hexagone ? 

On le peut et surtout on le doit ! C’est la promesse originelle de la Sécurité sociale, que chacune et chacun puisse se voir, en toutes circonstances, assuré d’une forme de « droit à la santé », qui ne saurait être altéré. Le combat contre toutes les inégalités de santé, et notamment territoriales, je l’envisage ainsi comme l’essence même de mon engagement de ministre de la Santé et de la Prévention.  
La question c’est comment faire ? Les inégalités sanitaires ont de multiples visages selon les territoires et les solutions ne sauraient être les mêmes selon que l’on se trouve en montagne ou en Île-de-France, dans la Creuse ou dans les outre-mer. C’est à partir du terrain que nous construirons la santé de demain, dans une logique de confiance, de coopération et de subsidiarité.
C’est dans cette idée, qu’à l’initiative du Président et de la Première ministre, j’ai lancé le Conseil national de la refondation en santé (CNR santé). Les réformes que nous mettons en place, je les envisage comme des outils pour ces CNR territoriaux, pour donner les moyens à tous les acteurs – soignants, élus, citoyens – de construire ensemble les solutions adaptées à la réalité de leurs besoins, pour organiser la permanence des soins, garantir l’accès à un médecin ou à une équipe soignante, faire de la prévention et aussi, bien sûr, attirer les soignants. Les médecins et professionnels de santé doivent pouvoir venir s’installer mais surtout rester dans les territoires, dans des projets professionnels et personnels de long terme. Le travail autour des logiques de guichet unique pour les aides à l’installation ou encore de la 4e année de DES de médecine générale notamment doit permettre partout de mobiliser tous les leviers locaux de l’attractivité, d’adapter les solutions et d’innover en ce sens.
La confiance est mon maître mot, mais aussi la solidarité. J’en reviens à la mise en place de l’intérim, mais cela s’applique aussi pour l’accès au médecin traitant et à la mise en place du service d’accès aux soins (SAS). La solidarité territoriale, c’est ce qui permet à chacun d’être responsable et de partager les ressources en fonction de contraintes et de besoins évolutifs, entre établissements, entre structures, entre public et privé. C’est aussi sur cette base de solidarité que je souhaite que nous inventions de nouvelles formes pour « l’aller vers », c’est-à-dire la manière de rendre la santé accessible à des franges de la population qui en sont aujourd’hui éloignées : c’est aussi un enjeu majeur sur lequel je souhaite me mobiliser.


La plupart des pays européens sont confrontés à une pénurie de soignants. Comment la France peut-elle mieux faire que les autres ?

Je vous remercie de le souligner, les tensions sur la démographie médicale ne sont pas un problème propre à la France ! Pour remédier aux pénuries de soignants, qui sont particulièrement criantes dans certaines zones géographiques, les pays ont fait des choix différents.
J’échange beaucoup avec mes homologues qui me partagent des constats similaires sur les enjeux de l’attractivité, de la fidélisation et de la rénovation des carrières des soignants : c’est un enjeu global !  
Ce sur quoi je veux insister est que, contrairement à ce qui existe dans certains pays, nous ne faisons pas le choix de la coercition pour obliger les médecins à s’installer à tel ou tel endroit. Si cela peut sembler un remède attractif à court terme, créer des rigidités et des contraintes risque en fait d’être totalement contreproductif, et de détourner plus encore de l’exercice de la médecine, et en particulier de la médecine générale, dont nous savons qu’elle constitue un pilier fort de l’accès à la santé de nos concitoyens.
En France, nous menons une politique globale, pour, à court terme, libérer du temps médical pour nos soignants et fluidifier les organisations, c’est tout ce que j’ai pu évoquer sur l’exercice coordonné, le partage de compétences mais aussi la réduction des tâches administratives, tout en renforçant les effectifs, à plus long terme. Nous avons ainsi supprimé le numerus clausus. Nous allons évaluer la mise en œuvre de cette réforme, et nous irons encore plus loin dans le « numerus apertus », si c’est possible ! Par ailleurs, comme je l’ai expliqué, nous menons un travail sur toutes les formations en santé, autant sur le plan quantitatif, en ouvrant toujours plus de places, que sur le plan qualitatif, pour que ces étudiants entrant en formation soient diplômés et s’épanouissent dans les métiers de santé.
C’est en travaillant ces deux leviers que nous réussirons, non pas à être « meilleurs » que les autres, ce n’est pas un objectif en soi, mais à proposer le meilleur système de santé, pour nos concitoyens.  


Pourquoi selon le ministère, la proposition de loi sur les quotas de soignants à l’hôpital public serait-elle une fausse bonne idée ?
L’intention qui a présidé à l’élaboration de ce texte du sénateur Bernard Jomier (voir notre édition papier) est tout à fait légitime. Toutefois, même s’ils étaient mis en place, la fixation dans la loi de ratios de soignants causerait des effets de bords de nature à nuire à l’objectif poursuivi, et, finalement, à affaiblir la réponse aux besoins de santé de nos concitoyens. Il faut trouver le meilleur équilibre entre la charge de travail du quotidien et les ressources humaines dédiées au fonctionnement des services. Cet équilibre ne se trouvera pas dans des tableaux Excel définis nationalement, mais bien par une connaissance fine des organisations hôpital par hôpital, service par service, autour du sujet majeur de la charge de travail, et une agilité managériale utile chaque jour.
Ma méthode est de donner les moyens aux acteurs de proximité, à celles et ceux qui soignent au quotidien, de travailler en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes, en leur laissant la marge de manœuvre nécessaire pour innover dans leurs processus d’organisations collectives. C’est notamment ce que permettent les mesures travaillées, en ce moment même, au Parlement, avec la loi Rist, autour de l’exercice collectif, de la collaboration entre public et privé, du partage de compétences et de la confiance aux professionnels de santé. Je le répète, je ne crois pas à la coercition, à la centralisation et au modèle unique. La rigidité de ces quotas ne tendrait qu’à davantage aggraver les problèmes qu’ils entendent résoudre.


Source : lequotidiendumedecin.fr