Pr Catherine Barthélémy (Académie de médecine) : « La compétence médicale n’est pas aussi valorisée qu’elle le devrait »

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Publié le 20/03/2024
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Devenue en janvier la première présidente de l’Académie de médecine, créée en 1820, la Pr Catherine Barthélémy expose au Quotidien les priorités de son mandat. La pédopsychiatre se dit prête à accompagner l’évolution du rôle de médecin en tant que coordinateur des soins mais réaffirme l’opposition de l’Académie à ce que le diagnostic et la prescription lui échappent. Soucieuse de l’attractivité de la profession, elle invite à ne pas « brader les actes » d’une « médecine française de grande qualité ».

Crédit photo : S. Toubon

LE QUOTIDIEN : Qu’éprouve la première présidente de l’Académie de médecine ? De la fierté ou un sentiment de devoir ?

PR CATHERINE BARTHÉLÉMY : Avoir été élue par mes pairs est d’abord la reconnaissance de mon travail dans l’aide des enfants atteints de troubles du neurodéveloppement. C’est aussi le résultat de mon action à l’Académie pour éclairer les grandes questions de la médecine. Je suis d’une génération de femmes qui ont choisi de faire carrière et ont eu un environnement social, familial et professionnel favorable. Je me suis engagée en médecine à une époque où les femmes n’étaient qu’une minorité. Quand j’ai démarré mes études à la fac de Tours en 1965, nous n’étions que quatre filles sur une promotion de 120 élèves ! J’ai mené une carrière hospitalo-universitaire et suis devenue professeur. On ne voyait alors pas les femmes en situation de haute responsabilité, c’était plus difficile pour elles, il leur fallait faire leurs preuves. Mon élection est perçue comme un message : les femmes médecins sont désormais éligibles (sur les 295 membres titulaires et correspondants français de l’Académie, 41 sont des femmes, NDLR). Un grand pas a été franchi.

En France, les femmes médecins sont maintenant plus nombreuses que les hommes. Qu’est-ce que cela change ?

On a beaucoup entendu que la féminisation du corps médical avait contribué à la baisse du temps de travail et à la désertification médicale. Je ne partage pas ce point de vue. Les évolutions sociétales touchent tous les médecins et l’exercice de la médecine n’est plus un sacerdoce. Les jeunes confrères demandent à avoir davantage de temps libre, pour eux et pour des activités extraprofessionnelles. Le médecin du début du XXIe siècle n’est plus celui du XXe siècle.

Le médecin du début du XXIe siècle n’est plus celui du XXe siècle

L’Académie vient d’alerter sur le manque d’attractivité des études de santé. Les disciplines scientifiques n’attirent plus les jeunes. Comment y remédier ?

Que notre jeunesse se tourne vers d’autres métiers que la médecine n’a rien d’étonnant. Les études de médecine sont très longues, très engageantes. Une cause importante de la désaffection des lycéens pour la filière santé est la réforme du baccalauréat en 2019 qui a fait disparaître les séries S, qui constituaient son principal vivier. La place des sciences dans les programmes scolaires s’est aussi amenuisée ces dernières années. Une réflexion approfondie est indispensable pour renforcer l’enseignement des sciences, de la biologie humaine et de la santé au collège et au lycée. On observe par ailleurs une perte de considération du statut du médecin. La relation avec les patients a évolué, la confiance dans le médecin s’amenuise. La baisse du nombre de médecins traduit également le fait que sa compétence n’est pas aussi valorisée qu’elle le devrait.

La récente réforme des études de santé, avec la suppression du numerus clausus, est-elle un échec ?

Il est trop tôt pour une appréciation définitive, la réforme a été lancée en 2021. Une chose est sûre cependant, on ne peut plus parler seulement de la formation des médecins. Le médecin travaille désormais au sein d’un réseau pluridisciplinaire avec des infirmiers, des rééducateurs, des psychologues… Sa place reste cruciale mais elle évolue.

Il serait dangereux d’exclure le médecin du diagnostic

L’Académie a rendu un avis très critique sur la loi Rist qui ouvre notamment le droit de prescription aux infirmières et aux IPA. Redoutez-vous que le diagnostic et la prescription échappent aux médecins ?

Il nous apparaît primordial de replacer le diagnostic à sa juste place dans une chaîne d’actions et de coopération. Dans une équipe hospitalière, par exemple, le médecin pose un diagnostic à partir de son propre examen mais aussi de toutes les informations pertinentes apportées par les infirmiers ou jeunes médecins collaborateurs, toutes les explorations biologiques ou examens radiologiques. Ce diagnostic est la convergence de tous ces avis et il serait dangereux d’exclure le médecin. Nous devons être en complémentarité, pas en concurrence et un médecin doit toujours valider le diagnostic. C’est l’organisation qui doit changer, pas le contour des compétences.

Six millions de Français sont sans médecin traitant, les délais de rendez-vous s’allongent dans de nombreuses spécialités. Comment préserver un bon accès aux soins ?

C’est une question très difficile. On s’achemine vers un modèle de médecin coordinateur d’équipe. Cette évolution est déjà en marche avec le déploiement de maisons de santé, la mise en place des CPTS. Il est important de donner les moyens à ces équipes de se constituer et de fonctionner de manière continue. Il faut assurer une ouverture suffisante des cabinets pour assurer une continuité des soins et réduire les délais de rendez-vous. Dans ce contexte de difficultés démographiques, nous souhaitons l’accès pour tous aux meilleurs soins.

Gabriel Attal a annoncé la nomination d’un émissaire « chargé d’aller chercher des médecins à l’étranger ». Est-ce une solution à la hauteur des enjeux ?

Dans un récent avis, l’Académie a estimé que le recrutement de praticiens « Padhue » [praticiens à diplôme hors UE] était nécessaire et devait se poursuivre pour faire face aux difficultés d’accès aux soins de la population. Il nous apparaît toutefois important de garantir la qualité de la formation de ces praticiens, avec un bilan de compétences, et aussi de s’assurer qu’ils parlent bien français. Il faut aussi se préoccuper du sort de ces médecins qui se retrouveront d’ici une dizaine d’années en concurrence avec les étudiants en formation aujourd’hui.

Dans un récent avis, l’Académie a estimé que le recrutement de praticiens « Padhue » était nécessaire et devait se poursuivre

Vous êtes PU-PH, ex-cheffe de service de pédopsychiatrie au CHU de Tours. Comment vivez-vous la crise de l’hôpital public ? Comment le rendre plus attractif ?

Nous avons assisté ces dernières années à un grand nombre de fermetures de lits. Et il s’est passé une bascule avec une administration qui a pris un poids de plus en plus important au détriment du médical. D’un système qui prévoyait des temps d’hospitalisation de longue durée, on est passé à une médecine de consultation, avec des hospitalisations de courte durée et des soins à domicile. Or, on est peut-être allé trop vite en prenant ce virage ambulatoire sans qu’il y ait toujours l’organisation adéquate pour prendre en charge les patients à domicile.

« La compétence médicale n’est pas aussi valorisée qu’elle le devrait », indiquez-vous dans cet entretien. Suivez-vous les négociations conventionnelles en cours et pourriez-vous exprimer un avis sur la valeur des actes ?

Notre mission est de répondre aux demandes du gouvernement sur toute question concernant la santé publique et de mener des études et qui peuvent contribuer aux progrès de l'art de guérir. Nous n’avons pas vocation à nous immiscer sur le terrain conventionnel mais nous suivons attentivement le sujet. La rémunération est en effet un élément important de l’attractivité de la médecine. Il faut que les médecins qui font 10 à 12 ans d’études puissent exercer leur métier sans mendier et que l’acte médical soit valorisé à sa juste valeur. La médecine française est d’une très grande qualité, on ne peut pas brader ses actes.

Nous redoutons qu’une réforme de l’AME, si elle est trop brutale, aboutisse à des retards de diagnostic et de prise en charge, et même le retour d’épidémies

L’Académie vient de s’alarmer des difficultés d’accès aux nouveaux traitements contre les cancers très onéreux. Redoutez-vous une médecine à deux vitesses ?

Il ne le faut surtout pas ! Quel que soit le statut du malade, il a le droit au meilleur traitement. Nous avons récemment auditionné un médecin chercheur d’un laboratoire qui nous a démontré que le coût de fabrication des CAR-T-cells était minime par rapport à leur prix de vente. Forcément, cela nous interpelle.

Après l’adoption de la loi immigration, le gouvernement veut réformer l’aide médicale d’État avant l’été. Pourquoi cela vous inquiète-t-il ?

Nous redoutons que cette réforme, si elle est trop brutale, aboutisse à une restriction de l’accès aux soins des populations précaires qui bénéficient de l’AME. Nous craignons que cela entraîne des retards de diagnostic et de prise en charge, et même le retour d’épidémies. Nous avons le devoir de prendre en charge tout patient, quelle que soit sa situation, régulière ou non.

Sur la fin de vie, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi sur une « aide à mourir ». Répond-il aux attentes de l’Académie qui s’était exprimée pour une assistance au suicide encadrée ?

Nous attendions une réponse du gouvernement plus tôt. Nous avons mené en juillet dernier un travail exemplaire d’auditions et de réflexions pluridisciplinaire en écoutant aussi la société. La loi Claeys-Leonetti est une excellente loi mais elle est inégalement appliquée sur le territoire pour les soins palliatifs. Il faut y remédier.

La vaccination, grande cause de 2024

L’Académie de médecine a érigé la vaccination comme « grande cause » de cette année. Un récent symposium à Rio des Académies de médecine du Brésil, des États-Unis, du Portugal et de la France a montré « l’hésitation croissante voire la défiance de la population » vis-à-vis de la vaccination, la désinformation mais aussi l’implication déclinante des médecins à faire appliquer les recommandations vaccinales. « Ces éléments compromettent l’élimination, pourtant acquise, de maladies comme la poliomyélite », alerte l’Académie. « La mobilisation des autorités, l’utilisation de tous les relais d’information et une restauration de la confiance dans la science dès l’école permettraient d’améliorer la situation », affirme la Pr Barthélémy.

Repères

1947 : Naissance dans la Vienne

1965 : Début des études de médecine à Tours

1985 : Présentation lors d’un congrès de sa théorie sur les origines neurologiques de l'autisme, réfutant le déclenchement de ce syndrome par un trouble affectif avec la mère

1992 : Nommée PU-PH

2015 : Entrée à l’Académie de médecine

Septembre 2021 : Décorée de la Légion d’Honneur, elle reçoit d’Emmanuel Macron les insignes de commandeur de l’ordre national du Mérite

9 janvier 2024 : Intronisée présidente de l’Académie de médecine

Propos recueillis par Christophe Gattuso

Source : Le Quotidien du Médecin