Pr Lionel Collet (HAS) : « Nos délais d’évaluation sont les plus courts au niveau européen »

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Publié le 15/05/2024
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Un an après sa nomination à la présidence de la Haute Autorité de santé, le Pr Lionel Collet revient pour le Quotidien sur ses premiers pas au sein de cette « maison de très grande qualité » et détaille ses ambitions.

Crédit photo : HAS

LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur votre première année à la tête de la HAS ?

LIONEL COLLET : J’ai rencontré une maison de très grande qualité. Je suis impressionné par la compétence des 434 personnes qui la composent. La mission centrale confiée à la HAS lors de sa création était d'évaluer et d'expertiser la qualité du système de santé, avec la responsabilité de garantir un haut niveau d’exigence. Malgré le travail réalisé, des critiques lui sont encore régulièrement adressées : les délais, considérés comme trop longs, le manque de dialogue avec les acteurs du système de santé ou le nombre de recommandations, jugé insuffisant…

Justement, sur les délais, que répondez-vous à ceux qui les jugent trop longs ?

Dans les faits, nos délais d’évaluation des médicaments sont les plus courts au niveau européen. Nous sommes plus rapides que les Britanniques, les Allemands ou les Espagnols. Cela ne veut pas dire pour autant qu'une fois l’évaluation terminée, le médicament est immédiatement disponible (sauf pour les accès précoces). Il y a ensuite une négociation du prix avec le Comité économique des produits de santé (CEPS).

Sur l’accès précoce, nous avons 90 jours pour répondre. Notre médiane se situe actuellement à 77 jours. Nous sommes dans les clous. En deux ans, 180 traitements en accès précoce ont été évalués. Ainsi, environ 100 000 patients atteints d’une maladie grave et en impasse thérapeutique ont pu être pris en charge. C’est considérable. Sur le régime de droit commun, pour lequel les délais sont plus longs (103 jours en moyenne), environ 300 médicaments ont été évalués et un peu moins de dispositifs médicaux. Chaque année, ce sont entre 400 et 500 avis qui sont rendus.

Encourager et développer la labellisation par les sociétés savantes est un axe central

Pour les recommandations, vous voulez vous appuyer sur les sociétés savantes. Où en est-on de la labellisation ?

Concernant les recommandations de bonnes pratiques, un travail d’au moins 18 mois est nécessaire : note de cadrage, constitution du groupe d’experts, revue de la littérature, auditions, etc. Les délais sont bons au regard des moyens dont nous disposons. Une augmentation des moyens pourrait conduire à un accroissement des recommandations, mais essayons de raisonner autrement avec la labellisation par les sociétés savantes.

Encourager et développer cet axe est central. J’y crois beaucoup, notamment en termes d’impact : une recommandation élaborée par une société savante sera plus facilement promue par celle-ci auprès des professionnels de santé. Nous nous y attelons depuis un an : élaboration d’une méthode, vérification des liens d’intérêt et accompagnement des conseils nationaux professionnels (CNP) qui sont créés par décret, sont tripartites (sociétés savantes, enseignants et syndicats). La labellisation d’une recommandation ne pourra se faire que dans la confiance absolue. L’ensemble des CNP a été réuni. Nous avançons.

Comment vous préparez-vous à l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’évaluation des technologies de santé ?

Il entrera en vigueur en janvier prochain pour les médicaments anticancéreux et pour les thérapies innovantes. Le volet scientifique de l’évaluation, avec le recueil de l’ensemble des données et résultats d’études, sera mutualisé et réalisé par seulement deux pays pour l’ensemble des États membres. Chaque pays partira ensuite de cette évaluation pour statuer sur le service médical rendu et fixer un prix de remboursement. Petit à petit, l’ensemble des médicaments et dispositifs médicaux présentant un risque seront intégrés à cette procédure. À partir de 2030, tous seront évalués selon ces modalités.

La difficulté vient de l’absence actuelle de dossier unique d’évaluation dans l’Europe des 27. Chacun définit ses propres critères, souvent liés à ses modalités de remboursement. L’évaluation européenne devra répondre à l’ensemble de ces critères et réclamera donc plus de temps. En France, une évaluation représente en moyenne 50 jours de travail. On passerait à 200 jours. L’UE a prévu un budget, mais il n’est pas connu. Sans cet apport, la mise à disposition de moyens sur ces dossiers se fera au détriment des autres. Tous les acteurs européens le craignent. Parmi les six actes d’exécution (équivalent européen des décrets d’application) du nouveau règlement européen attendu pour la mise en œuvre, aucun n’est adopté.

Sur l’évaluation commune, « la difficulté vient de l’absence de dossier unique » dans l’UE

Comment cela se traduira-t-il pour l’activité de la HAS ?

La direction qui couvre l’ensemble de l’évaluation (dont les fonctions support) compte environ 150 personnes. Sur la seule activité d’évaluation des médicaments, entre 40 et 50 personnes sont mobilisées. Comparé aux autres pays européens, on est quand même très efficient : le nombre d’avis est plus important avec moins de personnel impliqué.

Le nombre de dossiers qu’on aura à traiter au niveau européen nous indiquera si des moyens supplémentaires sont nécessaires. La première année, l’UE attend une vingtaine de nouveaux anticancéreux et une dizaine de nouvelles biothérapies. Si chacun nécessite au moins quatre fois plus de personnes, et que nous nous saisissons de cinq dossiers, il nous manquera une dizaine de personnes. En l’absence de moyens supplémentaires, nous devrons réduire le nombre de dossiers traités.

Sur la seule activité d’évaluation des médicaments, entre 40 et 50 personnes sont mobilisées

Pourquoi faire de la psychiatrie une priorité de la HAS ?

La HAS prépare son prochain projet stratégique applicable à partir de 2025 pour cinq ans. La priorité est actuellement l’innovation. Pour la suite, j’ai souhaité intégrer un thème transversal aux activités de l’agence. La psychiatrie correspond à cette ambition, alors que la santé mentale des jeunes ou l’impact du Covid sont des préoccupations majeures. C’est aussi un poste de dépense important. J’espère une décision du collège d’ici à l’été sur le programme psychiatrie et santé mentale et sa mise en œuvre.

Rappelons que l’espérance de vie d’une personne atteinte de troubles de la santé mentale est réduite de 15 ans, non pas en raison de la pathologie, mais du diagnostic plus tardif de maladies comme les cancers dans cette population. Dans les établissements psychiatriques, seul un patient sur deux bénéficie d’un bilan somatique. Dans les centres médico-psychologiques (CMP), c’est un sur cinq. Il y a lieu de s’inquiéter.

En ce qui concerne les fiches de bon usage des médicaments, celle des benzodiazépines date de 2017 et il n’y en a pas pour les antidépresseurs, les neuroleptiques, etc. Les recommandations de bonnes pratiques manquent également par exemple pour la prise en charge de la schizophrénie ou des troubles bipolaires. Pour les certifications, on a besoin de critères propres à l’évaluation des établissements de psychiatrie.

Les recommandations de bonnes pratiques manquent pour la prise en charge de la schizophrénie ou des troubles bipolaires

Concernant les pressions exercées sur le groupe de travail sur les parcours des personnes transgenres, comment réagissez-vous ?

À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire de la HAS qu’il lui est demandé de communiquer la composition d’un groupe de travail, avec non seulement les noms des membres, mais aussi leurs qualités. Or, le règlement interne de la HAS garantit la confidentialité jusqu’à la publication des recommandations. C’est le cas à chaque fois. Cette politique vise à protéger les experts (médecins et patients concernés) des pressions extérieures.

Nous avons refusé la demande d’une association qui s’est tournée alors vers la Cada dont les avis sont non contraignants. L’association s’est ensuite adressée au tribunal administratif de Montreuil qui lui a donné raison. Nous avons demandé un sursis à exécution devant le Conseil d’État et un pourvoi en cassation. Si le Conseil d’État refuse le sursis, nous exécuterons cette décision. Nous ne sommes pas hors la loi. Si le Conseil d’État casse le jugement, il y aura une jurisprudence. Si ce n’est pas le cas, nous devrons réfléchir avec les pouvoirs publics à des textes qui permettent de protéger les experts. La voie serait législative.

Vous avez récemment rendu un avis sur les coopérations et les partages des tâches entre professionnels de santé. Pourquoi cette prise de position maintenant ?

Parmi ce que j’ai essayé d’apporter, c’est de montrer que la HAS peut s’exprimer, émettre des avis sur des sujets en lien avec la qualité du système de santé. La première position, fin 2023, a concerné la place des usagers, afin de la renforcer. Cela ne nécessite pas de textes supplémentaires, mais juste d’appliquer ceux qui existent déjà. Sur les compétences partagées, nous avons marqué notre plein soutien à ces protocoles et avons souligné la nécessité de les développer. D’abord, il y a le constat sur la démographie médicale. Ensuite, il y a des actes qui nous paraissent pouvoir relever de protocoles de coopération, dès lors que l’acte a été évalué et qu’il est bien encadré. Il n’y a qu’à regarder le temps qu’il a fallu pour ouvrir la vaccination contre la grippe aux infirmiers et aux pharmaciens. Et maintenant on ne reviendrait plus dessus, on élargit même à d’autres professions. Nous pensons qu’il peut y avoir d’autres situations comme celle-là. Il ne faut pas oublier que l’arrêté listant les actes que peuvent pratiquer les médecins date de 1962…

Les oncologues attendent des réponses sur le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN). Où en êtes-vous ?

Concernant la sortie des tests oncogénétiques du RIHN, nous entendons les demandes des oncologues et des patients pour valider rapidement des tests. Une première étape a été franchie sur les tests dans le cancer du sein, mais ce dossier est un mammouth. C’est un énorme travail d’évaluer des panels de gènes. Notre plan de travail s’étale sur trois ans.

Vous avez cité la place des usagers, qui font partie du plan stratégique. Où en est-on aujourd’hui ?

Il faut rappeler que la loi de 2004 qui crée la HAS prévoit la composition de commissions réglementées. Bien qu’intervenant deux ans après la loi sur le droit des malades, elle ne prévoit pas la présence d’usagers dans ces commissions. Il a fallu attendre 2015 pour avoir un décret qui l’a rendu possible. Aujourd’hui, nous avons des usagers dans toutes les commissions, nous les sollicitons par exemple pour l’évaluation d’un médicament. L’année dernière un peu plus de 300 experts usagers a participé aux travaux de la HAS. Nous avons la volonté de conforter leur place et surtout de s’assurer de bien entendre ce qu’ils disent, notamment sur le fardeau des pathologies.

La HAS évalue également les établissements de santé. Quels en sont les enseignements ?

Quelque 2 500 établissements sont soumis à une certification une fois tous les quatre ans. Aujourd’hui, près de 4 % n’ont pas obtenu cette certification et 13 % sont certifiés sous conditions. Globalement nos établissements sont de haute qualité de soins. Mais, je crains que le nombre de non-certifiés passe à 5 voire 6 % d’ici un an, c’est-à-dire qu’un tiers des certifiés sous conditions n’arrivent à répondre aux exigences. Les indicateurs montrent également que la qualité est moins bonne souvent là où il y a de la psychiatrie et des structures d’urgences. Nous avons modernisé nos critères cette année pour ajouter des questions d’éthique, sur le numérique… Et nous travaillons à une nouvelle version, la 6e, pour dans un an et demi.

Nous voulons qu’il y ait des questions relevant de santé environnementale dans chacun de nos secteurs

Vous avez publié une feuille de route sur la santé environnementale fin 2023. Comment abordez-vous ce sujet ?

Nous voulons qu’il y ait des questions relevant de santé environnementale dans chacun de nos secteurs. Par exemple, pour les dispositifs médicaux, qu’en est-il du devenir du dispositif à usage unique après utilisation ? Pour le médicament, le conditionnement est-il adapté à la posologie ? Dans l’évaluation des établissements, le tri des déchets est-il mis en place ? La feuille de route a été publiée, il faut maintenant qu’elle irrigue tous les domaines.

Quelle est la place de l’intelligence artificielle (IA) dans vos travaux ?

C’est un sujet auquel je tiens particulièrement. Il y a bien sûr les dispositifs médicaux et notre capacité à les évaluer. Nous devons adapter nos méthodes pour les IA avec des algorithmes apprenants. Mais nous devons aussi intégrer l’IA générative dans le fonctionnement de la HAS. Nous avons mis en place une mission Data, avec une quinzaine de personnes, pour voir comment utiliser l’IA pour la sélection des articles scientifiques. L’étape suivante portera sur un usage pour l’analyse de la littérature, dans le respect de la garantie humaine. Une de mes ambitions est qu’à la fin de mon mandat, l’IA soit plus intégrée dans cette maison.

Repères

2005 : Création de la Haute Autorité de santé (HAS) par la loi relative à l’Assurance-maladie (août 2004), avec le statut d’agence administrative indépendante. Depuis, ses missions n’ont cessé d’être élargies par plus de 10 modifications législatives.
2016 : La loi relative à la modernisation du système de santé consacre la création d’une union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAASS), interlocuteur privilégié des autorités publiques.
2019 : La HAS se voit confier l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
2021 : Les chefs d’agences nationales européennes d’évaluation se regroupent au sein du Heads of Agencies Group (HAG) pour renforcer la coopération européenne.
1er janvier 2025 : Entrée en vigueur du règlement européen pour l’évaluation commune des produits de santé

Propos recueillis par Elsa Bellanger et Aurélie Dureuil

Source : Le Quotidien du Médecin