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Dossier

Santé, Sécu : du pain sur la planche pour le gouvernement Barnier

Par Cyrille Dupuis et Léo Juanole - Publié le 13/09/2024
Santé, Sécu : du pain sur la planche pour le gouvernement Barnier

Pour sa première visite officielle, le Premier ministre Michel Barnier a choisi l’hôpital Necker (AP-HP), samedi dernier, promettant d’être à l’écoute du monde médical

Le gouvernement dirigé par Michel Barnier va devoir s’attaquer à des dossiers brûlants : déserts médicaux, tensions aux urgences, dégradation budgétaire des hôpitaux, attractivité, arrêts de travail, projets en souffrance en médecine libérale, sans oublier un PLFSS 2025 sous le sceau des économies… Tour d’horizon.

Après l’expédition des affaires courantes par un gouvernement démissionnaire, le nouvel exécutif va entrer dans une zone de turbulences avec une série de dossiers explosifs. Régulièrement citée au rang des sujets prioritaires des Français, il est probable que la santé se hisse rapidement en haut de l’agenda politique, avec des arbitrages budgétaires urgents et délicats. Faut-il y voir un signe positif ? Michel Barnier a consacré, le samedi 7 septembre, son tout premier déplacement à l’hôpital, sans promettre de miracles mais en se déclarant « à l’écoute » du monde médical.

Des déficits publics qui dérapent

Mastodontes législatifs de l’automne, les budgets de l’État (PLF) puis de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) s’annoncent déjà comme des équations impossibles sur fond de grave dérapage des finances. Le déficit public pourrait représenter 5,6 % du PIB en 2024 et atteindre 6,2 % l’an prochain, très loin des 3 % promis à Bruxelles pour 2027. Croissance plus faible que prévue, manque de recettes, dérive des dépenses des collectivités territoriales… Le débat sur les économies n’épargnera pas la sphère sociale, Bercy préparant les esprits à un tour de vis général alors que la France est visée par une procédure européenne pour déficit excessif.

Avec un déficit de la branche maladie qui devrait largement dépasser 11 milliards d’euros en 2024, la Cnam a fait des recommandations, cet été, pour économiser 1,56 milliard d’euros sur la santé l’an prochain. Sa stratégie reste inchangée : prise en charge optimisée des pathologies chroniques avec des parcours associés (maladies cardiovasculaires, diabète, santé mentale, etc.), action sur la pertinence des soins et des prescriptions, lutte contre la fraude, baisse des prix des médicaments… Nouveauté : le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, presse le gouvernement de s'emparer de la question sensible de l'indemnisation des arrêts de travail et annonce des actions dans ce domaine (dont le ciblage de 7 000 généralistes aux prescriptions d’IJ atypiques).

Quels seront les arbitrages ? À l’Assemblée nationale, le rapporteur général du projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS), le Dr Yannick Neuder (LR), concède au Quotidien être dans le brouillard. Mais « les chiffres ont peu d’importance tant qu’aucun texte n’est déposé », recadre-t-il. Une chose est certaine pour lui : « Nous aurons à faire des économies pour préserver la capacité de notre système à faire face aux défis qui sont devant nous ».

Les chiffres ont peu d’importance tant qu’aucun texte n’est déposé »

Dr Yannick Neuder (LR), rapporteur général du PLFSS

Hôpital sous-financé et crise des urgences

Après un été sous tensions aux urgences – 40 % des hôpitaux ont perçu une dégradation de la situation par rapport à 2023 –, la rentrée a été marquée par les alertes sur l’extrême fragilité financière du secteur. La puissante Fédération hospitalière de France (FHF) a réclamé au gouvernement 2,4 milliards d’euros supplémentaires sur l’année 2024 et une réévaluation de l’Ondam hospitalier 2025 de l’ordre de 3,9 milliards. En tout, c’est donc une rallonge de plus de 6 milliards d’euros qui est demandée à l’exécutif alors que le déficit cumulé des hôpitaux publics a atteint un étiage inquiétant, dépassant les 2 milliards d’euros cette année. Hausse des coûts, impact de l’inflation : « La situation budgétaire de l’hôpital n’a jamais été aussi dégradée, il est impossible de continuer ainsi », a mis en garde Arnaud Robinet, président de la FHF et maire Horizons de Reims.

Côté établissements toujours, le gouvernement devra pacifier les relations entre les secteurs public et privé, qui ont connu un regain de tension, alimentée par une guerre des tarifs hospitaliers et le partage des contraintes. Ainsi, la question de la « solidarité territoriale » entre établissements de santé est revenue sur le devant de la scène, les hôpitaux publics pointant la contribution insuffisante des cliniques à leurs yeux. La question de la mise en œuvre de la loi Valletoux, qui a promis un partage plus équilibré de la permanence des soins (PDSES), sera un des défis du nouveau ministre de la Santé. Autre dossier qui va resurgir : la régulation des contrats de motif 2 dans les hôpitaux, qui marquent depuis quelques mois une nouvelle dérive après l’encadrement des tarifs de l’intérim médical.

Un secteur du grand âge exsangue

Mais ce n’est pas tout. Le secteur du grand âge pointe la situation préoccupante des Ehpad, qui connaissent eux aussi un déficit cumulé sans précédent (1,3 milliard d’euros pour 2022-2023) avec 85 % d’établissements publics dans le rouge. « L’heure est à la mise en place d’un plan de sauvetage des établissements les plus en difficulté », plaide encore Arnaud Robinet.

Les Assises nationales des Ehpad, qui se sont tenues cette semaine, devaient permettre de réfléchir à un nouveau modèle économique alors que les finances sont exsangues. Parmi les sujets sur le bureau du gouvernement, l’expérimentation d’une fusion des tarifs soins et dépendance début 2025 et, au-delà, l’évolution vers une réforme de la tarification. « Ce modèle est à bout de souffle et doit être repensé de fond en comble, et pas seulement soutenu à coups de subventions exceptionnelles ou de sauvetages ponctuels », confie Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, spécialiste de ces questions. Mais, plus profondément, c’est l’adoption de la loi de programmation sur le grand âge, dossier en théorie transpartisan, qui est dans les esprits – le gouvernement s’étant engagé à créer 50 000 postes dans le secteur d’ici à 2030. « Le prochain gouvernement a une obligation légale de faire cette loi, qui a été incluse dans la loi Bien vieillir », insiste Jérôme Guedj. Au menu, financement de la perte d’autonomie, augmentation des dotations de soins, attractivité des métiers…

« Le modèle économique des Ehpad est à bout de souffle et doit être repensé de fond en comble

Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne

En ville, déserts médicaux, sécurité et taxe lapins

Côté médecine de ville aussi, de nombreux défis attendent l’exécutif, en premier lieu celui de l’accès aux soins. Le groupe transpartisan mené par le socialiste Guillaume Garot compte toujours pousser des mesures pour réguler l’installation contre les déserts médicaux. Casus belli pour les syndicats… Balayant cette « mauvaise idée », le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, souligne que la priorité reste de valoriser l’engagement des généralistes dans les services d’accès aux soins (SAS), les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou la permanence des soins.

Au-delà, plusieurs syndicats ont réclamé à Michel Barnier de soutenir plus fortement l’économie des cabinets libéraux, la convention médicale n’ayant pas permis le « choc d’attractivité » tant espéré. Plus directe, l’UFML-S invite le Premier ministre à « libérer les professionnels de santé du carcan administratif qui les étouffe ». Il est vrai que la simplification de l’exercice est régulièrement promise.

Il faut libérer les professionnels de santé du carcan administratif qui les étouffe

Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-Syndicat

Plusieurs textes sensibles concernant les libéraux se trouvent aussi sur le haut de la pile : décret sur les infirmiers de pratique avancée (IPA), expérimentations d’accès directs aux spécialistes… En cette rentrée surtout, la sécurité des soignants est devenue une haute priorité pour le secteur libéral, qui attend l’inscription d’une proposition de loi Horizons à l’ordre du jour au Sénat (lire aussi pages 16 et 17).

Quid, enfin, de l’engagement de Gabriel Attal sur la fameuse « taxe lapin » envers les patients indélicats, du rapatriement des étudiants en médecine français partis à l’étranger ou encore de la feuille de route pour éviter les pénuries en pharmacie ? Autant de questions en suspens…

Quid de la loi sur la fin de vie ?

Autre dossier en suspens depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, la loi sur la fin de vie, promesse de campagne du chef de l'État et marqueur sociétal. Après des mois de consultations, le texte sur ce sujet extrêmement sensible avait été présenté au Conseil des ministres en avril, début d'un long processus d'examen législatif. Le projet de loi s’articule autour de trois axes : l'aide à mourir à proprement parler, les soins palliatifs et l'accompagnement, les droits des patients et de leurs aidants. Juste avant la dissolution, les députés avaient approuvé les critères ouvrant le droit à une aide à mourir encadrée.