Pour le diagnostic, le traitement et le suivi

Savoir adresser un patient au néphrologue

Publié le 22/03/2022
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La néphropathie diabétique doit être dépistée et prise en charge le cas échéant par le néphrologue, afin d’éviter toute perte de chance face à cette complication fréquente.
30 % des dialyses étaient encore débutées en urgence en France en 2018

30 % des dialyses étaient encore débutées en urgence en France en 2018
Crédit photo : phanie

Environ un tiers des personnes atteintes de diabète vont présenter une maladie rénale, qui les expose à une surmortalité, principalement d’origine cardiovasculaire. Le diabète ancien, mal contrôlé, et des facteurs génétiques comme le polymorphisme D du gène de l’enzyme de conversion, favorisent la survenue et la progression de la néphropathie diabétique. Si un nombre notable de patients en paraissent aujourd’hui protégés, de plus en plus pourraient avoir besoin de rencontrer un néphrologue du fait du vieillissement des populations de diabétiques. La néphropathie atteint aussi fortement les jeunes atteints de diabète de type 2 (DT2), dont la majorité a une albuminurie pathologique après 15 années de diabète.

Un dépistage une fois par an

Le diagnostic de maladie rénale chronique liée au diabète repose sur deux marqueurs, qui devraient être dosés au moins une fois par an pour la dépister :

− L’albuminurie, pathologique à partir de 30 mg/24 h (ou de 30 mg/mM de créatininurie), qui signe la lésion rénale, mais ce dosage n’est pas suffisamment réalisé ;

− Le débit de filtration glomérulaire (DFG), estimé par la formule CKD-EPI, qui permet de stratifier le niveau d’insuffisance rénale : modérée sous 60 mL/min/1,73 m2, sévère sous 30.

Le vieillissement rénal physiologique, d’environ 1 mL/min/1,73 m2/an à partir de l’âge de 40 ans, aboutit fréquemment à une insuffisance rénale modérée sans albuminurie après l’âge de 80 ans. En revanche, d’authentiques insuffisances rénales normo-albuminuriques sont possibles chez des sujets diabétiques avant l’âge de 80 ans, en particulier en cas d’hypertension artérielle mal équilibrée, mais elles paraissent moins évolutives.

Un retard délétère pour les patients

Le retard d’adressage au néphrologue des diabétiques présentant une maladie rénale chronique a été dénoncé avec éclat il y a 25 ans par Pommer (1). La grande majorité des patients adressés à son équipe berlinoise avaient des glycémies et une hypertension artérielle non contrôlées, sans médicament néphroprotecteur, leur insuffisance rénale était sévère et ils devaient débuter la dialyse en moins de six semaines, soit avant que leur fistule artérioveineuse ne soit fonctionnelle.

La littérature a apporté des arguments pour éviter cet adressage tardif. Les patients DT2 qui n’ont pas été suivis par un néphrologue avant la dialyse ont une surmortalité (2) ; on notera que 80 % d’entre eux ne sont pas non plus suivis par un diabétologue (3). Cette surmortalité est significative lorsque le DFG est inférieur à 45 mL/min/1,73 m2 ; l’incidence de l’insuffisance rénale terminale est alors doublée (4).

Les données du registre français Rein montrent qu’en 2018, 30 % des dialyses étaient encore débutées en urgence.

La recommandation des néphrologues (KDOQI), confirmée par l’American diabetes association, est de leur adresser les patients sous 30 mL/min/1,73 m2 de DFG, mais aussi ceux au-dessus dont la créatininurie est supérieure à 30 mg/mM d’albuminurie (ACR). La perte annuelle de DFG est de 3 mL/min en moyenne dans les cohortes Françaises (5) ; elle est deux fois plus rapide lorsque l’albuminurie n’est pas contrôlée par les mesures diététiques et médicamenteuses de néphroprotection.

On notera que la société européenne de néphrologie a émis en 2015 des recommandations pour la prise en charge des patients diabétiques présentant un DFG < 45 mL/min/1,73 m2 s’ils ont une albuminurie au-dessus de 30 mg/mM de créatininurie. Ce seuil de 45 est aussi celui qui a été recommandé pas la HAS en 2021.

Une expertise indispensable

Le néphrologue qui reçoit ces patients apporte son expertise dans plusieurs domaines.

D’abord, il établit le diagnostic des formes atypiques (hématurie, signes d’une autre maladie systémique), en particulier lorsqu’elles sont trop rapidement évolutives (apparition brutale d’une protéinurie néphrotique, déclin rapide de la fonction rénale). La ponction-biopsie rénale reste un geste invasif (5 % d’hémorragies nécessitant une transfusion), mais justifié par le fait que certaines néphropathies non diabétiques ont des traitements spécifiques.

Ensuite, le néphrologue veillera à optimiser la néphroprotection, par la diététique, l’activité physique, et de nouvelles molécules pour le contrôle optimal de la pression artérielle, de la protéinurie et de la volémie, avec en particulier des médicaments bloqueurs du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2, bientôt associés à la finérénone), mais aussi les diurétiques et les gliflozines.

Ce spécialiste prendra également en charge les complications propres de l’insuffisance rénale : hyperkaliémie, acidose, ostéodystrophie, anémie. Enfin, il se chargera de la préparation à la dialyse et à la greffe rénale.

exergue : Le déclin est deux fois plus rapide lorsque l’albuminurie n’est pas contrôlée par les mesures diététiques et médicamenteuses

*Diabétologie, CHU de Bordeaux
** Néphrologie, CHU de Nice

(1) Pommer W et al. Nephrol dial transplant. 1997;12:1318-20

(2) Frimat L et al. Diabetes Metab. 2004 Feb;30(1):67-74. doi: 10.1016/s1262-3636(07)70091-5

(3) Tuppin P et al. Diabetes Metab. 2017 Jun;43(3):265-268. doi: 10.1016/j.diabet.2016.09.006

(4) Chen JH et al. Medicine (Baltimore). 2019;98:e16808

(5) Hadjadj S et al. Diabetologia 2016,59:208-16

Drs Vincent Rigalleau* et Vincent Esnault**
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Source : lequotidiendumedecin.fr