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Dossier

« Généralistes et fin de vie », les résultats de notre enquête

Soins palliatifs, euthanasie : vous avez tant à dire

Publié le 28/03/2014
Soins palliatifs, euthanasie : vous avez tant à dire


VOISIN/PHANIE

Jusqu’au bout, ils entendent relever le défi ! Notre enquête, à laquelle 387 praticiens ont participé, montre qu’une majorité de généralistes jugent leur implication importante dans la fin de vie de leurs patients. Les trois quarts se disent même prêts à s’investir davantage, si on leur en donne les moyens. Ce coup de sonde a également porté sur la législation actuelle et dévoile une profession partagée entre partisans et adversaires de la légalisation de l’euthanasie. Résultats, réactions des praticiens, analyse de la rédaction et commentaires du président du CCNE.

Sur l’implication des généralistes dans la fin de vie, on a un peu dit tout et son contraire au cours de ces derniers mois d’intenses débats sur la question : du rapport de l’Observatoire sur la fin de vie, qui au printemps dernier estimait que le médecin de famille ne disposait ni du temps, ni de la formation, ni des moyens pour s’y investir, au rapport du Comité d’éthique avant l’été qui au contraire proposait de développer les soins palliatifs à domicile, faisant a priori jouer au médecin traitant les premiers rôles...

Dans ce paysage un peu flou, l’enquête que nous avons lancée à la fin de l’année 2013 éclaire sous un angle nouveau le rôle du généraliste dans cette zone en clair-obscur qui sépare la vie de la mort.

Premier enseignement de ce coup de sonde sur Internet : pas question de se défausser face à la fin de vie d’un de ses patients. Près de 95% des répondants à notre questionnaire considèrent que cette prise en charge « fait partie des missions naturelles du médecin généraliste ». Et, alors que l’Observatoire de la fin de vie estimait entre un et trois le nombre de patients pris en charge par patientèle, notre enquête renvoie à une moyenne plus élevée, probablement entre quatre et cinq. 57% des généralistes évoquent d’ailleurs une implication personnelle « importante » à ce stade de la maladie.

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Une question pas si taboue

D’ailleurs, la fin de vie n’est pas si taboue qu’on le prétend. En tout cas quand on est généraliste. Seul un praticien sur dix n’en parle jamais avec ses patients atteints de maladies graves. Et ce dialogue autour des derniers instants fonctionne dans les deux sens : les quatre cinquièmes ont déjà été destinataires de directives anticipées de la part de leur patientèle.

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Quant à la demande faite au médecin d’aider à mourir, un gros tiers se disent régulièrement sollicités en ce sens (6% souvent et 30% de temps en temps), mais si l’on ajoute les 41% qui qualifient cette demande d’ « exceptionnelle », cela montre qu’une grande majorité de généralistes a déjà été directement et personnellement confronté au grand débat du moment. Histoires de sédation racontées dans quelques courriers reçus à cette occasion, bien au-delà des controverses théoriques : « Je garde vivace à l'esprit le souvenir de cette patiente atteinte d'un mésothéliome à qui j'ai dit au revoir avant de l'aider, à sa demande, à s'endormir pour ne plus se réveiller », raconte par exemple un généraliste de Corrèze (voir les commentaires sur la relation médecin-patient).

Moments forts dans la relation médecin-malade, la gestion de la fin de vie est aussi vécue comme une activité chronophage. C’est la deuxième conclusion de cette enquête. Parmi les freins à leur investissement identifiés par les généralistes, c’est le manque de temps qui apparaît en premier, cité par près de 60% d’entre eux. « Moins de cerveaux, plus de bras », réclame à ce propos un confrère du Pas-de-Calais ! (voir les commentaires sur « la fin de vie, une question de... temps).

Il y a l’emploi du temps du généraliste… et aussi celui de ses partenaires. Quatre médecins sur dix évoquent l’insuffisance des structures relais pour les épauler et une même

proportion le peu de disponibilité des aidants familiaux. En comparaison, les médecins de notre enquête ne sont qu’un gros tiers à évoquer un manque de compétences spécifiques aux soins palliatifs (voir les commentaires sur la formation), alors que seulement un quart regrette un accès trop limité à l’arsenal thérapeutique (voir les commentaires). « Mes difficultés majeures restent le manque de moyens de soulager un patient hyperalgique à la maison », évoque pourtant un médecin de la Meuse.

Pouvoir être davantage épaulé

En dépit du temps passé et de la difficulté de cet accompagnement, les retours de notre questionnaire renvoient pourtant l’image de généralistes volontaires. Pour preuve, ils

se disent aux trois quarts prêts à s’investir davantage, mais seulement si l’organisation des soins palliatifs à domicile était différente… Il y a donc des choses à repenser dans la structuration des derniers soins aux mourants. Cela ressort clairement dans les réponses qui nous sont parvenues (voir les commentaires sur le développement des équipes d'appui).

À commencer par la possibilité de bénéficier d’une équipe dédiée de paramédicaux à leur côté, évoquée dans 55% des questionnaires, alors que 50% ne diraient pas non si un réseau mobile de soins palliatifs pouvait être mis en place dans chaque bassin de vie. Ce besoin est évoqué dans de nombreux commentaires. « En aucune façon le médecin ne doit se sentir seul pour gérer une fin de vie », souligne un remplaçant retraité du Vaucluse. « Il faut compléter les équipes d'appui de soins palliatifs », renchérit le Dr Bernard Rivoal dans les Vosges. « Il faudrait envisager des médecins référents soins palliatifs dans les secteurs », suggère le Dr Augustin Rohart depuis le Pas-de-Calais…

Un forfait pour la fin de vie ?

La rémunération aussi est à revoir : presque un répondant sur deux (43%) « vote » pour la revalorisation de la visite à domicile et un peu plus (46%) pour un forfait spécifique fin de vie (voir les commentaires sur les modes de rémunération). Comme le Dr François Fournial, dans le Loir-et-Cher, qui propose de « se débarrasser des questions d'argent par l'établissement d'un forfait recouvrant la durée de la prise en charge : les horaires, la disponibilité, la présence et le soutien psychologique auprès de la famille… ». En regard, la possibilité de pouvoir suivre son patient à l’hôpital est une suggestion qui ne retient l’attention que d’un généraliste sur cinq.

En plein débat sur la question, Le Généraliste a enfin sondé les médecins généralistes sur leur perception du cadre législatif actuel. Avec un double constat éclairant sur la loi Leonetti. Globalement, les médecins la connaissent « bien » pour 46% ou en ont « entendu parler » pour 41%. Seuls 10% restent cois à son évocation. Quant aux patients, il se confirme que le grand public ignore tout ou presque de ces dispositions : près de neuf médecins sur dix estiment que la plupart de leurs malades ne savent pas à quoi correspondent les dispositions de la loi de 2005 (voir les commentaires sur la loi Leonetti).

Sur l’euthanasie, une profession partagée

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C’est peut-être une des raisons qui explique d’ailleurs que les généralistes apparaissent beaucoup plus partagés que l’opinion dans son ensemble sur la nécessité de changer la loi. Alors que les sondages renvoient l’image de Français favorables à 90% à la mise en place d’une aide médicale pour mourir, le corps médical semble moins unanime, même si une minorité (20%) plaide pour un statu quo qui reviendrait à s’abstenir de toute retouche sur la législation actuelle. « Pourquoi modifier une loi avant de l'avoir correctement appliquée », interroge par exemple un médecin de Saint-Jean-de-Luz ? « Légiférer sur l'euthanasie est abject. La vie doit rester un principe sacré et inviolable », tonne un de ses confrères de Strasbourg. Quand un troisième, redoute, vu de Paris, les risques potentiels « de dérives et de transgressions » dans ce cas de figure.

Alors, au-delà de la situation actuelle, que faire ? Un praticien sur deux retient favorablement l’idée lancée par le CCNE de rendre impératives des directives anticipées des patients. Mais sur ce point, le médecin ne tient pas nécessairement à être en première ligne : seuls 3% revendiquent de façon exclusive ce rôle de « notaire » de la fin de vie alors que 72% sont d’accord pour l’assumer de concert avec la famille (voir les commentaires sur les relations avec la famille).

Médicaliser la mort ?


Aller encore plus loin en médicalisant la mort ? Les médecins généralistes ne sont pas unanimes. Mais notre enquête montre que, décidément, les débats du moment atteignent aussi les médecins de famille. Un sur cinq est d’accord pour qu’on autorise en France le suicide assisté par un médecin. Et un sur deux ne verrait pas d’inconvénient à ce que l’on permette demain « à des médecins d’aider à mourir un patient en stade terminal ». « Il faut faire évoluer le serment d’Hippocrate », clame le Dr Emmanuel Debost, de Plombières-lès-Dijon, qui fut le généraliste de Chantal Sébire. En écho, Christian Vedrennes, généraliste dans les Pyrénées-Orientales propose de « légaliser ce qui se pratique couramment, sans que personne ne l’avoue pour ne pas être poursuivi ! » (voir les commentaires sur l'euthanasie et le suicide assisté).

Au final, quel que soit le cadre dans lequel il serait sollicité, on retiendra que le généraliste français est prêt à répondre présent, mais pas forcément à jouer les premiers rôles. Qui doit prendre en priorité les décisions concernant la fin de vie ? « D’abord le médecin traitant et l’équipe » avancent 2% seulement des questionnés, « d’abord le patient ou son entourage » répondent 24% de nos sondés, « patient, famille, médecin et équipe doivent décider ensemble » préfèrent 74% des répondants.Soins palliatifs