Lutte contre la drogue au travail en Europe

Briser le silence et les tabous

Publié le 22/05/2012
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Crédit photo : S TOUBON

Réunissant des experts européens chargés d’évaluer et de coordonner les politiques de lutte contre les toxicomanies dans les pays membres du Conseil de l’Europe, le Groupe Pompidou s’alarme de la progression de la consommation de drogues en milieu professionnel, et souhaite « briser le silence et les tabous » entourant ces consommations, tout en proposant des mesures pour les prévenir et les traiter.

› DE NOTRE CORRESPONDANT

ACTUELLEMENT présidé par Étienne Appaire, magistrat français président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT), le Groupe Pompidou vient de publier un « cadre de référence » sur ces questions, face auxquelles les pays européens restent divisés. « Certains pays ont une législation précise dans ce domaine, mais d’autres n’en ont aucune », souligne-t-il. Plusieurs études présentées lors d’une réunion du Groupe, les 14 et 15 mai au Conseil de l’Europe à Strasbourg, confirment la progression importante des consommations dans les tous les pays.

En France, l’alcool reste en tête des produits consommés, surtout dans le monde agricole, mais le cannabis progresse comme dans l’ensemble de l’Europe, notamment dans les professions du bâtiment. De leur côté, les traders et autres génies de la finance se dopent de plus en plus fréquemment à la cocaïne, qui n’est plus l’apanage du monde de la culture. Des enquêtes ont relevé, dans plusieurs pays, la fréquence de la consommation d’alcool et de cannabis chez les routiers, les dockers ou les employés des chantiers navals. En 2004, sur 1 000 tests urinaires effectués sur des camionneurs dans le Nord-Pas de Calais, 8,5 % présentaient des traces de cannabis et 5 % d’alcool. La restauration, les transports, la construction et l’agriculture sont partout les secteurs les plus touchés par l’alcoolisme, la Pologne et la France se distinguant par une proportion plus élevée de cadres et de décideurs consommant de l’alcool qu’ailleurs. À l’inverse, les pourcentages d’employés plus ou moins régulièrement ivres au travail sont particulièrement élevés au Royaume-Uni, en Autriche et en Belgique. Les jeunes ouvriers sont plus nombreux que leurs aînés à consommer du cannabis, surtout en Italie et en Espagne.

Les réponses légales, comme les méthodes de dépistage, varient largement d’un pays à l’autre. Ainsi, la compagnie aérienne irlandaise Ryanair n’hésite pas, lors des escales de ses avions sur son « hub » de Bruxelles à prélever autoritairement des cheveux sur son personnel navigant pour effectuer des analyses de drogues, alors que la Belgique interdit ces prélèvements sans le consentement explicite de la personne concernée. Par ailleurs, les dépistages obligatoires, lorsqu’ils existent, sont basés, selon les pays, sur des motifs de sécurité ou de santé : l’Italie, par exemple, a légalisé les dépistages sur les postes à risque au nom de la santé des travailleurs, alors que d’autres pays pensent d’abord à la prévention des accidents.

Risques professionnels.

Les experts européens relèvent que l’augmentation des consommations addictives en entreprise peut certes être due à des causes personnelles, familiales ou sociales, mais peuvent aussi être la conséquence de facteurs professionnels, avec des rythmes et des conditions de travail de plus en plus stressants.

Pour le Groupe, il est temps de mettre en œuvre des politiques de prévention de l’alcool et de la drogue tenant compte des spécificités du milieu professionnel. Il importe aussi, selon lui, que les entreprises dialoguent avec leurs employés sur ces sujets. La prévention des conduites addictives devrait être intégrée aux processus d’analyse des risques professionnels dans leur ensemble, tant en matière de santé que de sécurité.

Comme le rappelle Étienne Appaire, les entreprises devraient s’investir beaucoup plus dans la prévention des toxicomanies, tant pour se protéger juridiquement en cas d’accident que pour préserver leur propre compétitivité, en évitant les baisse de productivité ou la dégradation des outils de travail liées aux addictions des salariés. Mais au-delà des obligations légales, souligne le Groupe Pompidou, il importe de dépasser la seule logique de sécurité par une logique d’optimisation de la valeur travail. La lutte contre les addictions en milieu professionnel, rappelle enfin le Groupe, doit toutefois toujours se faire dans le respect des libertés fondamentales, comme l’ensemble des politiques menées contre les drogues.

 DENIS DURAND DE BOUSINGEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 9129