Phénomène encore difficile à quantifier, la pratique du chemsex (contraction de chemicals et sex), qui associe rapports sexuels et consommation de produits psychoactifs de synthèse, est « en apparente croissance » en France, alerte un rapport sur le sujet remis le 17 mars au ministre de la Santé par le Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse (AP-HP) et président de la Fédération française d'addictologie.
Commandé en septembre dernier, le document dresse un premier état des lieux de cette pratique, dont le but est d’« initier, faciliter, prolonger ou améliorer » les rapports sexuels par les différents effets psychoactifs des molécules consommées. Apparu dès le milieu des années 2000 principalement au sein de la communauté gay, le phénomène s’est installé en France à partir des années 2010 en lien avec l’arrivée de nouveaux produits de synthèse, appartenant principalement à la famille des cathinones (notamment 3MMC, 4MEC, NRG2…).
Ces produits, ainsi que le GHB, sont consommés seuls ou parfois associées à d’autres substances (cocaïne, kétamine, Crystal Meth, poppers, MDMA, méthamphétamine). Les principaux effets recherchés sont « l’augmentation de la libido et de l’endurance, leurs effets désinhibants et entactogènes, la démultiplication des sensations de plaisir », est-il noté.
Un phénomène mal quantifié
Si la progression du phénomène est observée par les professionnels de santé et les acteurs associatifs, son ampleur reste mal connue. Selon les estimations, environ 20 % des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) pratiqueraient le chemsex, « soit potentiellement 100 000 à 200 000 personnes en France », avance le rapport, relevant des « signes de diffusion dans d’autres sous-populations, dont le nombre exact est encore mal évalué ».
En novembre dernier, une étude menée par questionnaire auprès de 2 800 personnes rapportait une évolution des profils des pratiquants du chemsex. « Au départ, la pratique était surtout partagée par des HSH, de 35 à 45 ans, urbains, CSP +. Mais 10 ans après, on la retrouve dans toute la France, y compris en milieu rural, dans toutes les catégories sociales et parmi des populations hétérosexuelles. L’entrée dans la pratique est aussi plus précoce. C’est une source d’inquiétude », expliquait alors au « Quotidien » le Dr Dorian Cessa, auteur de l’enquête « Sea, Sex & Chems », qui a également participé à la rédaction du rapport.
Outiller les professionnels
En réponse à la diffusion de la pratique, le rapport appelle à « outiller les professionnels pour le repérage, la prévention et la prise en charge des problématiques potentiellement engendrées par ces pratiques ». La priorité doit être « d’élaborer une réponse globale en matière de prévention, réduction des risques, prise en charge à destination des personnes pratiquant le chemsex, en reliant santé sexuelle, santé mentale et addictions », est-il préconisé, mais « sans moralisme ni discrimination ».
Concrètement, le rapprochement entre structures de prévention et professionnels du premier recours, prévu par la feuille de route santé sexuelle 2021-2024, doit permettre de favoriser le repérage. « Le projet Accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré (ARPA)-Chemsex, co-porté par les associations Aides et Fédération Addictions, et subventionné dans le cadre des appels à projets du Fonds de lutte contre les addictions (FLCA), s’inscrit dans les recommandations du rapport », souligne le ministère. Sur le repérage, les auteurs envisagent également « une attention particulière, voire une collaboration avec les sites spécialisés ou applications de rencontre », outils privilégiés par les usagers.
Côté prévention, le rapport invite à s’appuyer sur les structures médicosociales (CAARUD, CSAPA) et hospitalières existantes, mais aussi sur les CeGIDD et les structures psychiatriques. Usagers et professionnels de santé doivent par ailleurs bénéficier d’une information sur les produits, les risques et les dommages, élaborée par les agences sanitaires.
En pratique, il s’agira aussi de s’appuyer sur les généralistes, « déjà au cœur de la politique de prévention et acteurs du premier recours de la santé sexuelle », ainsi que sur les outils existants. « Les personnes pratiquant le chemsex utilisent plus fréquemment la PrEP et présentaient une bonne observance. Ces données suggèrent que cet outil de prévention pourrait être une opportunité pour offrir d’autres outils de réduction des risques et services adaptés aux différents profils de personnes pratiquant le chemsex et à leurs spécificités », est-il suggéré.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?