Pr Benjamin Rolland, coordinateur du Cerlam à Lyon

« Contre les addictions médicamenteuses, il faut savoir déprescrire ! »

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Publié le 01/07/2022
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À l'hôpital Édouard Herriot (Hospices civils de Lyon), le centre ressource lyonnais des addictions médicamenteuses (Cerlam) a ouvert ses portes mi-mai. Il apporte une assistance aux praticiens confrontés à un patient ayant glissé de la prescription d'antalgiques à une utilisation guidée par le craving et l'addiction. Le Pr Benjamin Rolland, addictologue et coordinateur en chef du Cerlam, explique pourquoi cette initiative devient de plus en plus nécessaire en France.

LE QUOTIDIEN : Quel est le constat qui vous a poussé à monter ce projet ?

Pr BENJAMIN ROLLAND : Il y a un sujet montant en France autour de l'addiction aux antalgiques, mais pas seulement ! De plus en plus de patients développent des addictions aux benzodiazépines et aux antiépileptiques qui peuvent être utilisés à visée antalgique. La prégabaline (Lyrica) est notamment une problématique émergente, avec des propriétés addictives assez fortes.

Il est aussi nécessaire d'aider certains médecins à se former aux questions de prescription : il faut savoir prescrire un médicament, mais il faut aussi savoir le déprescrire !

À qui s'adresse votre centre ? Quel est son fonctionnement ?

Notre centre ressource s’adresse tout d'abord aux médecins qui sollicitent un avis sur la conduite à tenir pour les aider à prendre en charge des patients plongés dans des situations qu'ils n'ont pas l'habitude de rencontrer.

Quand nous acceptons un dossier, nous rencontrons les patients pour une évaluation clinique assez poussée qui comprend tout un travail sur le sommeil, l'anxiété, la dépression. Ensuite, nous faisons une restitution avec le praticien, assortie de propositions thérapeutiques.

Ces problématiques ne peuvent-elles pas être prises en charge par les services d'addictologie classiques ? À quel besoin répond votre centre ressource ?

La première chose à savoir est que tous les services d’addictologie ne sont pas vraiment faits pour les addictions médicamenteuses qui nécessitent une prise en charge hybride, quelque part entre la médecine de la douleur et l'addictologie. Le second point, c'est que la réciproque est tout aussi vraie : les médecins et leurs patients ne sont pas forcément enthousiastes à l'idée d'aller se confronter à un service d'addictologie.

De plus, les Csapa (centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie, NDLR) sont souvent saturés en France, y adresser un patient l'oblige à attendre 10 mois avant d'être reçu.

Chez un patient qui souffre d'une dépendance médicamenteuse et qui a du mal à réduire les quantités consommées, il faut procéder à une titration ou une rotation des antalgiques. Pour ce qui concerne les douleurs associées, nous avons un accès privilégié aux centres de la douleur dont peuvent bénéficier les patients.

Quelle est la taille de la file active que vous vous attendez à recevoir ?

Cela fait quelques semaines que nous sommes ouverts et nous avons déjà énormément de demandes et un mois de délai d'attente. Nous arriverons facilement à notre estimation de l'ordre de 200 patients pour Lyon et sa métropole. Pour le moment, nous sommes deux médecins, un pharmacien, un attaché de recherche clinique (ARC) et une secrétaire, nous disposons chacun de 30 % de notre temps médical pour travailler au Cerlam. Nous attendons l'arrivée d'un médecin supplémentaire pour essayer d'élargir nos plages horaires.

Votre dispositif est le premier en France. Allez-vous procéder à une évaluation de sa pertinence ?

L’agence régionale de santé nous a soutenus pour mettre en place le Cerlam. C'est notamment elle qui finance nos 30 % de temps médical et le mi-temps d'ARC/chef de projet. Dans un an, nous allons procéder à une évaluation pour savoir si l'on prolonge l'expérience. Nous devrions bientôt recevoir un ARC en renfort pour nous aider à mettre en place une base de données et une cohorte de patients.

Cette base nous permettra de faire remonter des informations assez fines sur le sommeil, la dépression ou encore l'anxiété des patients atteints de telles addictions, mais aussi de répondre à des demandes individuelles de chercheurs ou encore de faire remonter des données épidémiologiques.

Il existe aussi des projets de collaboration avec l'observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma) et les centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance/addictovigilance.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin