« Je m’appuie sur des données scientifiques »

Publié le 02/09/2010
Article réservé aux abonnés
1286986562175585_IMG_41860_HR.jpg

1286986562175585_IMG_41860_HR.jpg
Crédit photo : AFP

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Vous vous êtes prononcée en faveur de l’expérimentation des centres d’injection supervisés. La MILDT et le gouvernement n’ont pas la même lecture que vous de l’expertise de l’INSERM ?

FRANÇOISE BARRÉ-SINOUSSI - Un certain nombre de personnes dont moi, avons une lecture divergente de ce rapport de l’INSERM. L’expertise est plutôt en faveur d’une approche expérimentale. Ce que nous demandons aujourd’hui n’est donc pas de mettre des salles d’injection partout mais de commencer par une phase expérimentale. Des centres pourraient être mis à disposition, - un site à Paris et un autre ailleurs - dans les zones les plus appropriées. Ces structures permettront de conduire une vraie étude en France. Celle-ci par définition n’existe pas puisqu’aucune salle d’injection n’existe en France.

Toutefois, nous disposons de données sur des expériences réalisées dans d’autres pays – 8 pays en Europe, au Canada et en Australie ont eu le courage de franchir le pas et ont déjà mis en place ces salles d’injection. Les données mettent très clairement en évidence, d’une part, une réduction de la morbidité et de la mortalité par overdoses chez les patients qui fréquentent ces centres et d’autre part, qu’un certain nombre d’entre eux demande eux-mêmes, au bout d’un certain temps, un sevrage. Je pense à l’étude de Vancouver réalisée par Julio Montaner (président de l’IAS jusqu’à juillet 2010) qui montre une augmentation de 30 % des recours aux cures de désintoxication.

Quel serait l’impact de ces centres sur l’infection par le VIH et par le VHC ?

Les approches actuelles de réduction des risques ont permis une réduction du risque de l’infection par le VIH mais les données sont beaucoup plus mitigées pour l’hépatite C. L’expérience de nos collègues dans d’autres pays met aussi en évidence une diminution du risque d’infection par le virus de l’hépatite C. Il est important de le prendre en considération.

Certains craignent que la mise en place de tels centres ne soit une incitation à l’usage de drogues ?

Là aussi les chiffres de nos collègues à l’étranger sont clairs. Il n’y a pas d’augmentation de l’utilisation de drogues à cause de la création de ce type de centre. Ni dans les centres ni à l’extérieur. Au contraire.

Selon vous le débat est-il plutôt idéologique ?

C’est pour cela que j’ai proposé à Act Up et à Jean-Pierre Couteron, président de l’association Anitea* (Association nationale des intervenants en toxicomanie et en addictologie) de les accompagner lors de la réunion à Matignon. Je suis une scientifique et je m’appuie sur des données scientifiques. Or les chiffres sont là, certes pas en France, mais dans des pays voisins et ils sont en faveur d’un bénéfice. Pourquoi ne faisons-nous pas le pas d’une simple phase expérimentale ? C’est cela que je ne comprends pas.

L’opinion publique et sans doute les médecins semblent partagés sur la question. Que leur dites-vous ?

C’est sans doute une crainte du gouvernement. Mais là aussi cela dépend de la façon dont on présente les choses. Je pense qu’il existe une méprise ou un malentendu parce que les choses n’ont pas été présentées correctement. Premièrement, il s’agit d’une phase expérimentale et il n’est pas question de généraliser ces centres. Deuxièmement, ce ne sont pas des structures créées uniquement pour que les toxicomanes et les populations précaires concernées viennent se droguer. La notion d’accompagnement est très importante. Je crois que, dans la discussion que nous avons eue avec Matignon, cette notion visiblement n’était pas comprise de la même façon par nous et par nos interlocuteurs. Pour nous, il s’agit bien sûr d’un accompagnement sanitaire et social qui n’est pas destiné à inciter les drogués qui fréquentent ces centres à prendre des décisions eux-mêmes sur leur futur mais qui, sans vouloir les obliger parce que cela ne servirait à rien, doit les amener pas à pas à arrêter leur consommation. Les chiffres de Vancouver vont bien dans ce sens.

La politique de réduction des risques est souvent citée comme un modèle. Est-ce toujours le cas ?

La décision prise en 1987 par Michèle Barzach a été extrêmement importante et très courageuse à l’époque. Cela n’a pas été simple mais on en a vu les bénéfices notamment sur l’infection à VIH. Là, nous sommes à une nouvelle étape. Beaucoup de drogués bénéficient des approches mises en place mais une certaine proportion d’entre eux, notamment la population précaire dans des quartiers chauds, n’y a pas accès. À Paris, ils représentent entre 500 et 1 500 personnes. C’est pour eux qu’il faut absolument prendre une décision. Pour eux et aussi pour les riverains qui sont dans les zones où ils se droguent parce que ce n’est pas agréable d’avoir cette population à proximité.

C’est un problème de santé publique. Nous n’avons pas le droit de ne rien faire pour cette population précaire et marginalisée. Une expérimentation est indispensable et c’est la seule chose qui est demandée à ce stade.

Vous avez aussi proposé une relecture de l’expertise de l’INSERM. Où en est votre demande ?

Ce que nous avons demandé, c’est une relecture du rapport INSERM en présence des auteurs car ils sont les mieux placés pour s’exprimer avec précision sur son contenu. Nous attendons une réponse et souhaitons qu’une réunion soit organisée avec eux.

En tant que prix Nobel, pensez-vous que votre voix pèsera dans ce débat ?

Je l’espère profondément parce que la France était assez en avance sur cette question. Là on va être en retard. Mais pour l’heure, je n’ai pas le sentiment d’être entendue des décideurs.

* membre du Collectif du 19 mai

 PROPOS RECUEILLIS PAR LE Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8807