Addictions

La Mildeca déploie sa stratégie interministérielle 2023-2027

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Publié le 24/03/2023
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Une nouvelle stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives couvrant la période 2023-2027 a été annoncée par le gouvernement. Vente aux mineurs, éducation des parents, prix minimum pour l'alcool, offres de soins et haltes soins addictions y sont évoqués.

Crédit photo : Voisin/Phanie

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) vient de publier sa stratégie 2023-2027. « Elle se déclinera à travers d'autres plans comme le programme national de lutte contre le tabagisme, le futur plan de lutte contre les stupéfiants, les feuilles de route des préfets et les projets régionaux de santé », résume son président, le Pr Nicolas Prisse.

Concomitamment, la Mildeca a publié une évaluation de la première stratégie couvrant la période 2013-2022. Un bilan qui a servi de base à l'élaboration de la nouvelle. « L'application de la première stratégie comporte des échecs et des succès », explique le Pr Prisse. Au chapitre des réussites : la débanalisation de l’usage du cannabis qui s'est accompagnée d'une diminution des usages chez les jeunes, confirmée par la dernière étude Escapad de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Les interdits protecteurs trop peu respectés

La Mildeca reconnaît en revanche une difficulté à faire respecter les « interdits protecteurs », c’est-à-dire l'interdiction de vente aux mineurs (préciser : d’alcool, de tabac et de jeu d’argent et de hasard). Jusque-là, les efforts étaient concentrés sur l'information, la formation des débitants et l'incitation des différents acteurs. « Des engagements avaient été pris par les opérateurs de jeux de hasard, les grandes surfaces, les buralistes… mais ce n'est pas suffisant, constate Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca. Nous souhaitons mettre l'accent sur le contrôle et les sanctions. La vente aux mineurs est encore trop forte en France. » Il n'est pas prévu de créer de nouvelles sanctions, mais de s'assurer que celles qui existent soient bien appliquées et mieux ciblées.

La famille constitue un des grands champs de bataille de la nouvelle stratégie qui entend en « promouvoir le rôle clé », « casser les chaînes de transmission intergénérationnelle » et améliorer le milieu de vie, à commencer par celui de l'enfant à naître. « L'alcoolisation fœtale reste la première cause de retard mental en France, l'exposition fœtale au tabac est aussi encore un gros problème, détaille le Pr Prisse. Dès qu'il y a un projet de grossesse, il faut arrêter ce genre de consommation. »

La stratégie entend impliquer les services de protection maternelle et infantile (PMI). Et les programmes de renforcement des compétences psychosociales dès la maternelle (à l'image du programme Primavera) sont au centre du dispositif, tout comme l'éducation des parents. « Cela ne sert pas à grand-chose d'éduquer les enfants sur les risques à long terme, en revanche, il faut que les parents soient informés », rappelle le Pr Prisse.

Autre chiffre que les autorités aimeraient voir baisser : 44 % des enfants de 11 ans ont déjà expérimenté l'alcool. La stratégie prévoit d'intégrer neuf compétences psychosociales (?) dans les pratiques pédagogiques et éducatives, de la maternelle à l’enseignement secondaire, sans oublier l'enseignement professionnel, l'apprentissage ou agricole.

Un prix minimum pour l'alcool ?

La question du prix minimum par volume d'alcool, longtemps taboue, est évoquée. Selon un travail de l’École d’économie de Paris et de l’Inrae soutenu par la Mildeca, une politique instaurant un minimum de 0,50 euro par verre standard est plus efficace qu'une augmentation des taxes et se traduirait par une baisse de 15 % de consommation d'alcool pur.

Ce prix minimum ne pénaliserait que les alcools bas de gamme, principalement importés, ceux produits en France ayant déjà un prix supérieur à celui proposé par l'Inrae. « Il faut évaluer l'impact de cette mesure dans les pays qui l'ont appliquée comme l'Écosse, explique Valérie Saintoyant. Cette mesure aurait la vertu de toucher surtout les alcools forts très consommés par les publics à risque. »

La déléguée de la Fédération Addiction Marie Öngün-Rombaldi reste quant à elle prudente sur ce sujet : « Il faudrait veiller à ce que cette mesure n'alimente pas les trafics, alerte-t-elle. Il ne faudrait pas que les consommateurs, et en particulier les plus précaires à la recherche d'une alcoolisation très rapide, ne se tournent vers des réseaux de contrebande. »

Corriger le défaut d'accès aux soins

La prise en charge de l'addiction est très lacunaire en France : moins de 20 % des personnes présentant un trouble de l’usage de substances bénéficient d’une prise en charge, et seul un tiers des patients dépendants à l’alcool a demandé de l’aide à un médecin. Cet état de fait est en partie lié à une offre de soins trop faible : 62 % des médecins généralistes n’ont pas suivi de formation spécifique en addictologie et 55 % d’entre eux ont du mal à parler d’alcool quand le sujet n’est pas l’objet de la consultation.

La stratégie entend y remédier en dotant les professionnels de référentiels de bonnes pratiques, en formant les infirmiers de pratique avancée à l’addictologie et en intégrant le repérage et la prise en charge des troubles du spectre de l'alcoolisation fœtale (TSAF) dans la stratégie nationale autisme. « L'important est de repérer les comportements suffisamment tôt, avant qu'il y ait des dommages, précise le Pr Prisse. Nous travaillons avec le Collège de la médecine générale pour rassurer les médecins vis-à-vis des outils de dépistage et de repérage simples. »

Cette volonté d'élargir l'accès aux soins risque de se heurter au vieillissement démographique des addictologues. « Il y a un problème d'attractivité qui va se poser au cours des prochaines années dans l'ensemble du médicosocial, explique Valérie Saintoyant. Il y a aussi un problème de manque de places à l'hôpital. »

La stratégie reprend également des éléments de la loi de 2016 sur l'accès aux soins en prison. « Dans les faits, la loi n'est pas encore appliquée, regrette Marie Öngün-Rombaldi. Il n'y a toujours pas de programme d'échange de seringues et le phénomène des consommations en prison est toujours nié. »

Les haltes soins addictions

Les haltes soins addictions (nouveau nom des salles de consommation à moindre risque) sont reconnues comme un moyen efficace de lutte contre les addictions au sein des publics les plus précaires. « C'est une bonne nouvelle », se réjouit Marie Öngün-Rombaldi, rappelant la farouche opposition du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin. La stratégie met en avant l'évaluation positive par le rapport d'expertise demandé par la Mildeca.

« Maintenant que c'est inscrit dans la stratégie interministérielle, il faut y aller ! On espère que cela ne restera pas une simple déclaration de bonne intention », exhorte Marie Öngün-Rombaldi.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin